vendredi 20 septembre 2024

Atelier Littérature, les coups de coeur, 1

 L'Atelier Littérature a fait sa rentrée ce jeudi 19 mars dans un nouveau lieu de réunion, la Base, située dans le centre Malraux, Scène nationale. Ce lieu "d'échanges et de rencontres" m'a semblé bien adapté pour accueillir notre cercle de lecture. Odile a démarré la séance avec un premier roman, "Un fantôme dans la gorge" de la poétesse irlandaise, Doireann Ni Ghriofa. Le personnage principal, une femme d'origine modeste, passe sa vie dans les couches et le lait. La maternité la comble mais elle perd pied quand son quatrième enfant manque de mourir à sa naissance. Elle trouve du réconfort dans la lecture d'un poème irlandais du XVIIIe siècle, le "Caoineadn", composé par une poétesse inconnue. Ce roman hybride bouscule les genres entre biographie, autofiction et roman. Ce roman semble très original et Odile nous a donné envie de le lire tellement elle était enthousiaste. A découvrir sans tarder. Mylène a présenté avec conviction un roman de l'écrivaine iranienne, Azar Nefisi, "Lire Lolita à Téhéran", publié chez Zulma. L'écrivaine a refusé de porter le voile et elle est obligée de quitter l'université où elle enseignait la littérature. Clandestinement, elle réunit sept de ses étudiantes dans son salon. Elles vont débattre ensemble de "Lolita" de Nabokov, de "Gatsby" de Fitzgerald, "d'Orgueil et Préjugés" de Jane Austen et de "Whashington square" d'Henry James. Alors, malgré leur enfermement dans ce pays islamiste théocratique, un régime atroce pour les femmes, ces étudiantes découvrent avec passion le pouvoir de la fiction comme "une arme de résistance et un gage de liberté", un hommage vibrant et vivant à la littérature. Ce récit devrait être diffusé dans tous les lycées de France. Mylène nous a lu un extrait de cet ouvrage essentiel sur la condition des femmes en Iran (et dans d'autres pays comme l'Afghanistan). Annette a choisi "Le Barman du Ritz" de Philippe Collin, paru chez Albin Michel en avril 2024. En juin 40, les Allemands entrent dans Paris. Les occupants fréquentent le bar du Ritz où règne le plus grand barman, Frank Meier. Cet homme habile et diplomate gagne la sympathie des officiers allemands et pendant quatre ans, les hommes de la Gestapo vont trinquer avec Coco Chanel ou Sacha Guitry. Personne ne sait que Frank Meier est juif, émigré autrichien. Dans ce monde privilégié, des collabos et des résistants vont se croiser, s'aimer, se trahir. L'auteur raconte, avec une virtuosité toute chatoyante et avec une vérité historique, une époque troublée. Un très bon roman, selon Annette. (La suite, demain)

jeudi 19 septembre 2024

"Les Jardins de Torcello", Claudie Gallay

 Le roman, "Les Jardins de Torcello", de Claudie Gallay, publié chez Actes Sud, m'a permis de repartir vers une de mes destinations préférées : Venise ! Dès que j'ai ouvert la première page, j'étais sous le charme de ce texte romanesque adorablement vénitien. L'île de Torcello se situe dans la lagune et cet écrin de verdure a perdu presque tous ses habitants. Même les millions de touristes ne se hasardent pas dans ce lieu déserté. Jess, une guide touristique française, a quitté son pays après la mort accidentelle d'un ami. Elle est en quête d'une nouvelle vie et Venise représente cette renaissance. Elle loge dans un appartement sur la Guidecca qui va être vendu et cherche un complément de revenu pour louer un studio. Dans les visites qu'elle propose sur son site internet, elle veut présenter une Venise plus authentique, plus originale, loin des clichés et des préjugés. Une de ses connaissances lui parle de Maxence, un avocat franco-italien, qui pourrait l'embaucher pour quelques heures de ménage à Torcello, un lieu hors du temps : "Une basilique, quelques maisons. Des marais, avec des herbes hautes qui poussent dans l'eau. Et des oiseaux. Beaucoup d'oiseaux, c'est ce qui surprend quand on approche". Jess se rend à Torcello et rencontre l'avocat, Maxence, et son compagnon, Colin. Claudie Gallay avec son style limpide décrit une univers liquide avec un charme certain, teinté d'une inquiétude permanente concernant le phénomène récurrent de l'acqua alta, la marée haute à Venise, qui peut détruire la cité à tout moment. Cette angoisse de fin du monde se ressent dans cette contrée magique, hors du temps contemporain. Le passé grandiose de Venise se voit partout dans la moindre pierre blanche des palais baroques et des églises-musées. Jess explore cet univers avec une curiosité amoureuse et une nostalgie profonde. L'intrigue romanesque repose sur les trois personnages principaux mais elle semble bien secondaire par rapport à la Sérenessime. Maxence et Colin forment un couple complexe et Jess les aide à mieux se comprendre. Malgré les problèmes existentiels de chacun, la beauté de la lagune, des jardins de Torcello, de la nature apporte un apaisement perceptible, une fascination face à cette ville-miroir en danger. Jess va-t-elle découvrir sa vérité et le sens de sa vie ? Il faut lire ce très beau roman, un régal de lecture,  pour Venise surtout et pour Jess, évidemment ! 

mardi 17 septembre 2024

Marguerite Yourcenar, Hommage pour un centenaire, 2

L'écrivain Philippe Le Guillou salue l'audace de Marguerite Yourcenar quand elle a publié, "Alexis ou le vain combat", en 1929 : "Contre l'oppression, contre les ruminations du secret et de la honte, ces mots font se lever un vent de liberté magnifique". La confession d'Alexis sur son homosexualité n'est en aucun cas un manifeste politique et libertaire. L'écrivaine défend surtout la liberté absolue de l'individu. Dans sa carrière littéraire, elle a aussi traduit quelques écrivains comme Henry James, Constantin Cavafy et surtout Virginia Woolf. Christine Jordis, la grande spécialiste des romancières anglaises, relate la rencontre inédite entre les deux grandes stylistes. Elles n'ont passé que deux heures ensemble pour régler des problèmes de traduction des "Vagues", un roman polyphonique à six voix : "Dans ces Vagues, les quelques personnages ne sont plus que des mouettes au bord d'un Temps-Océan et les souvenirs, les rêves, les concrétions parfaites et fragiles de la vie humaine nous font l'effet de coquillages au bord de majestueuses houles éternelles". Comme j'aime tout particulièrement ces deux écrivaines majeures, je peux imaginer leur dialogue d'une intelligence probable mais peut-être ont-elles parlé que de Londres, de la météo, du thé qu'elles buvaient sans aborder des questions sur l'oeuvre woolfienne. Colette Fellous a écrit un article intimiste vraiment intéressant sur l'effet "Yourcenar" dans sa vie de lectrice. Elle cite en exergue cette phrase d'Anna Soror : "L'étrange état qui est celui de toute existence où tout flue comme l'eau qui coule, mais où, seuls, les faits qui ont compté, au lieu de se déposer au fond, émergent à la surface et gagnent avec nous la mer". Dans cet article, Colette Fellous voit Marguerite à Tivoli, à Naples, à Pompéi dans la "Villa des Mystères" : "On peut rétrécir à son gré la distance des siècles". Cette remarque me plaît beaucoup tant j'aime arpenter les sites archéologiques où chaque grec ou romain me semble très proche de moi. J'annule ainsi les deux mille ans qui nous séparent. Hadrien, Zénon, Nathanaël, Alexis, tous ses héros deviennent nos contemporains. Marguerite Yourcenar avait la passion des voyages, des rencontres, des villes, des paysages, du passé comme du présent, de la vie tout simplement. Ce recueil rend un hommage vivant et admiratif pour la puissance narrative de l'écrivaine qui a voué sa vie à la littérature. Vraiment, une grande dame des Lettres françaises. Certains critiques la jugent compassée, vieillote, marmoréenne... Je suis persuadée qu'ils ne l'ont pas bien lue ! Bien au contraire, sa planète imaginaire explore le temps humain d'Hadrien à Michel, son père et avec elle, je voyage dans tous les siècles. 

lundi 16 septembre 2024

Marguerite Yourcenar, Hommage pour un centenaire, 1

 Cet été, en farfouillant dans ma bibliothèque, j'ai trouvé un exemplaire des "Cahiers de la NRF" paru chez Gallimard en 2003 à l'occasion du Centenaire de la naissance de Marguerite Yourcenar. Je ne l'avais jamais lu et je ne me souviens même plus comment ce Cahier est arrivé chez moi. Un achat très instructif malgré mon oubli. Quand j'aime tout particulièrement un écrivain, je lis tout de lui ou d'elle et aussi sur lui ou elle : biographies, essais, souvenirs, mémoires. Tout m'intéresse et ma boulimie de connaissance ne s'épuisera jamais. Concernant Marguerite Yourcenar, je pensais bien la connaître surtout après avoir relu ses mémoires magnifiques, "Le labyrinthe du monde" en trois volumes. Cet été, j'ai redécouvert "Quoi l'éternité", le dernier tome inachevé. Dans ce recueil de vingt textes, des auteurs évoquent leur passion, leur reconnaissance et leur admiration pour leur collègue, Marguerite. La responsable de ce recueil, Anne-Yvonne Julien, présente sa démarche : "Il ne me semble donc pas inopportun d'avoir convié ici personnalités des arts et des lettres, romanciers, poètes, critiques, auteurs-réalisateurs de films, à dire sur quels sentiers de traverse ou à proximité de quels carrefours de vie et d'écriture, ils ont croisé celle qui se voulut, sans contradiction, être de solitude et être d'ouverture". Jean d'Ormesson l'a sollicitée pour entrer à l'Académie française en 1980, la première femme au sein de cette honorable assemblée masculine. Il la décrit comme "une femme forte, énergique, puissante, très éloignée de toute affèterie, de toute facilité, de toute espèce de jeu littéraire. Elle était entrée en littérature comme on entre en religion". Le même Jean d'Ormesson lui avait déclaré dans la cérémonie : "Vous êtes plongée dans les mers de l'histoire et du temps". Même dans sa vieillesse, l'écrivaine avouait : "Plus je vieillis moi-même, plus je constate que l'enfance et la vieillesse non seulement se rejoignent,  mais encore sont les deux états les plus profonds qu'il nous soit donné de vivre". Josyane Savigneau, sa biographe, évoque ses rencontres fructueuses dans la maison des Monts-Déserts dans le Maine pour offrir aux lecteurs et aux lectrices un éclairage nouveau sur la vie de Marguerite Yourcenar. Jacqueline de Romilly, immense helleniste, adoube la culture gréco-latine de l'écrivaine, fascinée par l'empereur Hadrien et par la mythologie. La grande universitaire s'écrie : "Elle a su dire, et cela mieux que personne au monde, pour quelle raison nous autres qui vivons au contact des textes grecs, nous ne cessons de nous émerveiller". (La suite, demain)

jeudi 12 septembre 2024

"Archipels", Hélène Gaudy, 2

Hélène Gaudy analyse ce besoin paternel des collections dont des flacons de sable qu'il ramassait dans ses voyages : "Accumuler, c'est le contraire d'habiter. C'est combler le moindre espave vide jusqu'à s'exclure soi-même, jusqu'à se remplacer".  Son père lui confie des carnets d'adolescence et de jeunesse et elle intègre dans son récit, des fragments de son écriture  : son enfance à Chartres, à Caen, son service militaire en Algérie. Avant la naissance de sa fille, Jean-Charles et sa femme ont traversé la France en scooter, ont voyagé dans le monde. Dans les traces qu'elle recherche, elle trouve une photo de son grand-père paternel. Un premier récit d'un passé lointain dévoile la vie de ses grands-parents, engagés communistes dans la Résistance. Lui s'évadera d'un camp et son père, petit garçon, devra se taire au cas où il serait interrogé. Première manifestation de son silence. Sa démarche d'exploratrice intérieure se dérobe sans cesse. Son père ne se dévoile pas : "Il est encore là, il n'a pas disparu, il est juste un peu plus loin devant. Il se noie dans la brume, il martèle la neige, je me dépêche. Je cherche à créer une archive du présent". Un père "puzzle", un père de "papier". Seules, les archives personnelles peuvent raconter la vie de cet homme si singulier. Les photographies de famille révèlent aussi des secrets cachés. Un jour, la narratrice rend une visite à son grand-père à Menton qui ne reçoit plus personne. Sa solitude volontaire donne une clé de compréhension pour son père. Il accumulait lui aussi des remparts d'objets autour de lui. Un fouillis de lettres, de comptes, de relevés, d'articles de presse. Un maniaque du trop plein. La narratrice raconte ses parents, leur rencontre, leur vie d'avant sa naissance. Elle perçoit peut-être une vérité sur son père, un homme enfant : "le devoir de rester, toute sa vie, au seuil de son enfance comme d'un lieu où on a oublié quelque chose et qu'on ne peut quitter". Au fond, son enquête s'avère impossible. Il faut accepter qu'un proche pourtant si familier conserve une part d'inconnu. Hélène Gaudy admire ce père présent-absent, cet homme solitaire-solidaire, et la seule leçon qu'elle tire de cette enquête porte sur la notion de famille : "Chaque famille est une île, un écosystème, enrichi ou perturbé par les espèces invasives, une ile dont le tréfonds repose au fond de l'eau". L'écrivaine offre une réflexion profonde, poétique des relations familiales, une "psychogénéalogie" passionnante. Et son dernier message ressemble à un art de vivre. Son père lui dit simplement : "Regarde". Et Hélène Gaudy cultive cet art du regard. La littérature n'est-elle pas un regard sur la vie ? 

mercredi 11 septembre 2024

"Archipels", Hélène Gaudy, 1

 C'est parti pour la lecture des nouveautés de la rentrée littéraire : je viens de terminer le roman d'Hélène Gaudy, "Archipels", publié au Seuil. J'avais lu "Un monde sans rivage" en 2021 et j'avais remarqué l'élégance de son style et son goût des paysages sauvages. Dans les premières pages, elle évoque une île en Louisiane dans le delta du Mississipi. Ce morceau de terre va disparaître à cause de la hausse du niveau des eaux. Ce bout du monde se nomme Jean-Charles, le prénom de son père. Et ce père quasiment insaissisable devient cette île méconnue qui va sombrer sous l'eau. L'écrivaine s'empare de la personnalité opaque de cet homme, artiste peintre, campant dans un silence secret. Tout son récit va donc se dérouler dans ce magma familial à Paris. Dans son roman, "Un monde sans rivage", elle racontait des histoires d'explorations arctiques, des disparitions inexpliquées et elle effectue la même démarche : explorer un continent inconnu, une forêt vierge, une île souterraine en la personne de son père. La narratrice mène son enquête avec précaution, avec délicatesse sans heurter en aucune manière l'édifice familial. Jean-Charles ne se souvient ni de son enfance, ni de son adolescence. Il a toujours accumulé d'innombrables objets dans son atelier, recueillis dans les marchés, les brocantes et les bazars. Il ne vendait pas ses toiles et se moquait de la reconnaissance de son état d'artiste. Elle le décrit ainsi : "Un homme enfant qui ne sait rien de son enfance, à la fantaisie inébranlable et au sérieux inquiet, un homme qui, toute sa vie, s'est efforcé de sauver ce qu'il pouvait sauver alors que son propre passé lui reste inaccessible". Cette accumulation de choses autour de lui comble un manque, un abîme. Il commence à prendre de l'âge (80 ans) et les renoncements que sa santé défaillante implique, l'enragent. Le "Jamais plus" l'insupporte. Dans cet atelier, ses "falaises d'objets" le protégeaient du pire. Quand son père accompagne sa fille dans cet atelier, la scène dévoile la volonté secrète d'un héritage à conserver. Que faire de tous ces objets qui deviendront alors orphelins : "On passe dea années à étaler de la peinture, à noircir des feuilles, à meubler nos intérieurs, et un jour, on se retrouve à dire à nos enfants qu'ils pourront tout jeter si nos vies les encombrent". (La suite, demain)

mardi 10 septembre 2024

"J'habite près de mon silence", Georges Perros

 En mai dernier, je me suis recueillie sur la tombe de Georges Perros (1923-1978) à Douarnenez. Les écrivains font partie en quelque sorte de ma famille et quand je me déplace dans un coin de France ou à l'étranger, je ne manque pas ces rendez-vous d'hommage. J'ai relu cet été un recueil de poèmes, "J'habite près de mon silence", publié chez Finitude en 2006. Les vingt-huit poèmes réunis traduisent l'attachement de Perros à la Bretagne, aux marins, aux mouettes et au silence. Son style concret, réaliste, simple est à des années lumière des poèmes hermétiques de Mallarmé ou de René Char. Georges Perros avait écrit son autobiographie poétique dans "La vie ordinaire", publiée chez Gallimard. Sa présence au monde se révèle dans cette approche qui donne l'impression d'être au bord de la vie, dans une fragilité émouvante. Mais, cette mélancolie se teinte d'un humour délicat. L'écriture poétique ressemble à une bouée qu'il jette dans l'océan pour s'y accrocher. L'écriture fragmentaire du poète dans ses "Papiers collés" en trois volumes montre une démarche cohérente pour s'emparer d'un réel insaisissable qu'il traque pour restituer sa "part secrète et prégnante". Son désenchantement ne l'empêche pas d'éprouver un sentiment fraternel pour ses frères humains à la façon de Villon. Quand il évoque le silence, il le vivra dans sa chair car il sera victime d'un cancer de la gorge qui lui ôtera sa voix. Ce silence, il l'a trouvé dans cette cité marine du bout du monde, "Douar an enez", en breton, la terre de l'île, loin du vacarme parisien dans lequel il a vécu. Georges Perros avait trouvé son Ithaque et il a fini par se confondre aux hommes de la mer, ces taiseux farouches. La présence de la mer, des mouettes et des goélands l'inspire : "Car rien ne vaut, l'amour des flots, la mer sait laver nos blessures, notre remords, elle rassure, l'éternité y fait son nid, l'eau à la bouche, l'air au cri". Comment ne pas aimer ces quelques vers océaniques à retenir par coeur. Un poète sans fioritures, sobre et sensible. Le dernier poème du recueil est à méditer : "J'habite près de mon silence, à deux pas du puits et les mots, morts d'amour doutant que je pense, y viennent boire en gros sabots, comme fantômes de l'automne, mais toute la mèche est à vendre, il est tari le puits, tari". Dans nos lectures variées et diverses, n'oublions pas la poésie...         

lundi 9 septembre 2024

Les essais de la rentrée littéraire

 Dans cette rentrée littéraire, il ne faut pas oublier la publication des essais et documents, plus de 1300 titres d'août à octobre. Ce secteur éditorial très important est lié aux préoccupations de la société. Evidemment, la guerre en Ukraine donne naissance à une série d'ouvrages sur Poutine, en particulier. Les attaques terroristes du 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza soulèvent des questions délicates des deux côtés de la frontière. Sur les sujets de société, l'école semble prioritaire avec des auteurs réputés comme Philippe Mérieu, François Dubet, Philippe Nemo. Les titres parlent d'eux-mêmes : "Repenser l'enseignement", "Emanciper ou contrôler", "Rallumons les Lumières". Après l'école, il est aussi question de Metoo, du genre, de la discrimination sexuelle, de l'homophobie et du déclin du désir. Ces essais militants ont souvent une durée de vie courte tant ces questions semblent bien changeantes pour l'opinion. La pensée écologique reste bien présente dans la masse des essais : de "La vie des arbres" à la "Beauté du vivant", en passant par la "Planète Aqua", les lecteurs sensibles à notre planète malade peuvent aisèment trouver un grand choix d'ouvrages dans les librairies. Des pays attirent aussi l'attention des éditeurs comme la situation en Iran et aux Etats-Unis. De grands essayistes font leur rentrée : Marcel Gauchet avec "Le Noeud démocratique", Pierre-Henri Tavoillot avec "Voulons-nous encore vivre ensemble" et Corinne Pelluchon, "L'être et la mer". Je citerai aussi Charles Dantzig, Michel Winock, Antoine Compagnon, Pierre Rosenvallon. Un ouvrage m'intéressera tout particulièrement, celui d'Elizabeth Crouzet-Pavan, "Une autre histoire de la Renaissance". Le rayon Histoire s'avère bien fourni comme tous les ans. Un dernier essai philosophique a retenu mon attention : "Pourquoi a-t-on besoin de donner un sens à sa vie ?" de Stéphane Breton et celui Pascal Chabot, "Le sens à la vie, enquête philosophique sur l'essentiel".  Pourquoi lire ces documents, ces essais ? Pour comprendre le monde, la socièté, l'air du temps, notre époque contemporaine. La littérature me comble la plupart du temps mais je ne néglige pas cette catégorie d'ouvrages. Je me demande si certains se vendent en milliers d'exemplaires mais j'en doute. D'autres se diffusent à plus de 3 000 exemplaires alors que les romans peuvent atteindre des chiffres astronomiques comme un prix Goncourt. En cette rentrée de septembre, je vais mettre à mon programme de lectures quelques essais éclairants ! 

vendredi 6 septembre 2024

"Sodome et Gomorrhe", Marcel Proust, 2

 J'avoue que ce n'est pas toujours facile de lire la Recherche. Mais, quand j'ai ouvert pour la première fois "Du côté de chez Swann", j'étais sous le charme du style proustien, de pensées de l'auteur, du narrateur et de sa mère, de l'enfance. Une explosion de sensations, de senteurs, de sentiments. Je ne l'ai plus jamais quittée depuis mes études de lettres en 1970. Quel régal à le lire comme Colette dans son évocation d'une France disparue mais qui a laissé des traces profondes dans nos souvenirs. En écoutant des podcasts sur France Culture, consacrés à l'écrivain, j'ai découvert en profondeur le personnage du baron de Charlus, un être monstrueux, "un Guignol sublime", un homme shakespearien, dans toute sa noirceur, une tragédie à lui tout seul dans son rôle de diva incomprise. Il devient même émouvant tellement sa solitude semble irrémédiable. Au fond, il symbolise la cohorte des mal-aimés. Marcel Proust dévoile dans son oeuvre l'ambiguité des êtres humains, leur grandeur comme leur petitesse, leur combat singulier contre leur démon intérieur et surtout, leur métamorphose perpétuelle. Albertine illustre cette profondeur psychologique dans sa manière de se dérober sans cesse au narrateur. Aucune empathie chez elle mais sa personnalité étrange fascine le narrateur. La suite de la Recherche poursuit cette aventure amoureuse, teintée de chagrin et de rancoeur entre ces deux êtres si dissociés. Quand je lis Proust, j'aime avant tout ses réflexions, ses pensées, ses commentaires sur la vie. Chaque personnage de la Recherche représente un caractère humain comme chez Balzac. Dans ce magnifique puzzle, le thème essentiel du temps perdu finit par être retrouvé grâce à l'art et l'écrivain retient désespérement dans ses filets tous les moments vécus. J'ai retenu cette réflexion : "Nous désirons passionnèment qu'il y ait une autre vie où nous serions pareils à ce que nous sommes ici-bas. Mais nous ne réfléchissons pas que, même sans attendre cette autre vie, dans celle-ci, au bout de quelques années, nous sommes infidèles à ce que nous avons été, à ce que nous voulions rester immortellement". Plus loin, il ajoute : "On rêve beaucoup du paradis, ou plutôt de nombreux paradis successifs, mais ce sont tous, bien avant qu'on ne meure, des paradis perdus et où l'on se sentirait perdu". L'univers proustien me fascine toujours autant et même plus que dans mes jeunes années. Mais pour ouvrir les portes de ce monde fabuleux que l'on a la chance de lire dans notre langue, il suffit de se jeter, sans préjugés, dans cet océan de mots, de phrases et de sensations au risque de se perdre avec bonheur dans ce labyrinthe... 

jeudi 5 septembre 2024

"Sodome et Gomorrhe", Marcel Proust, 1

 Tous les ans, je relis un volume de la Recherche. Cet été, j'ai saisi ma Pléiade et Marcel Proust est revenu dans ma vie de lectrice. "Sodome et Gomorrhe", le quatrième tome de la " A la Recherche du temps perdu" a été publié en 1921. Ce texte révèle l'homosexualité de Charlus dans une scène emblématique où le narrateur surprend le baron discutant avec Jupien. Il entend leurs ébats et comprend alors le sort des homosexuels qu'il compare à celui des Juifs. La princesse de Guermantes reçoit le narrateur et cette invitation se transforme en poste de vigie sur les modes de relation entre les membres de l'aristocratie. Marcel Proust, sociologue et ethnologue de son milieu, n'épargne personne et décrit une société des apparences dans une hiérarchie paralysante. Il est question de l'Affaire Dreyfus, les Guermantes sont dreyfusards alors que l'ami du narrateur, Saint-Loup, se déclare anti-dreyfusard. Une jeune femme rythme la vie du narrateur et elle s'appelle Albertine. Sa relation amoureuse oscille entre amour et jalousie. Les tourments incessants du narrateur se portent sur sa méfiance envers elle. Il la voit danser au Casino avec son amie Andrée et le Docteur Cottard commente cette valse comme un aveu de complicité amoureuse. Mais, celle-ci nie tout penchant homosexuel. Les soupçons du narrateur ne s'atténuent guère après quelques signes évidents de la trahison d'Albertine. Le personnage le plus important de "Sodome et Gomorrhe" se nomme Charlus, un homme que Proust décrit avec une âme féminine. La modernité de l'écrivain éclate avec ce thème de l'identité sexuelle, un sujet scabreux à son époque. Ce baron, toujours attiré par les jeunes hommes, tombe amoureux de Charles Morel, un violoniste talentueux qui exploite sa générosité. Dans ce texte très dense, le narrateur explore la galaxie des Verdurin, un couple invraisemblable avec toute la faune sociale décrite avec une ironie mordante : le docteur Cottard, le sculpteur Ski, Saniette, le professeur Brichot. Une comédie humaine à la Balzac. Le narrateur et Albertine entament une liaison mais quand il apprend que son amie connaît Mademoiselle Vinteuil, il comprend alors qu'elle est attirée par les femmes. Fou de jalousie, il décide de se marier avec Albertine alors que sa mère désapprouve cette union. Dans un deuxième billet sur ce livre, j'évoquerai l'intêret de découvrir ou relire Marcel Proust à travers ce quatrième volume de la Recherche. 

mercredi 4 septembre 2024

"'L'art d'être distrait, Se perdre pour se trouver", Marina van Zuylen

 J'ai trouvé sur la table des nouveautés de la Médiathèque un essai revigorant, d'une lecture agréable, "L'art d'être distrait, Se perdre pour se trouver" de la philosophe franco-américaine, Marina van Zuylen, publié chez Flammarion. Se faire traiter de "distrait" ne ressemble pas à un compliment de nos jours. Il vaut mieux choisir une concentration extrême et certains médicaments ingurgités permettent de renforcer cette aptitude pour mieux réussir dans la vie sociale. L'essayiste consacre son livre sur cet art si poétique de la distraction. Pour mettre à l'honneur cette qualité indispensable, elle s'appuie sur sa culture philosophique sans adopter une langue alambiquée. Cette faculté d'évasion mentale permet la créativité artistique. Elle cite Montaigne : "Une merveilleuse grâce à se laisser ainsi rouler au vent", un modèle du distrait littéraire et ses "Essais" traduisent cette approche vagabonde de la pensée ; "un style pot-pourri". Le rapport au monde intègre une intimité poétique que l'on retrouve chez Rousseau, Proust, Nietzsche. Le philosophe allemand pratiquait la marche et dans sa déambulation, il pensait à ses concepts. L'exemple de Darwin illustre la thèse sur la distraction car, à la fin de sa vie, ce grand scientifique regrettait d'avoir négligé la lecture de Shakespeare pour vivre des émotions. Dans un entretien, la philosophe se confie sur ses propres "rêvasseries". Petite fille, elle était "dans la lune" et elle a inventé des stratégies pour palier sa "distraction". Elle évoque "l'éparpillement mental" qui permet aussi l'alternance entre légéreté et profondeur. Un ouvrage d'Albert Piette, "Anthropologie existentiale (avec un a !) lui a ouvert les yeux sur les notions de "présence-absence" et de "l'attention distraite". Il faut, dit-elle, "se laisser bercer par la paresse, par un roman, un poème (...), rien n'est plus doux alors que ce temps vacant, que ce bienheureux sentiment d'improductivité végétative". Ce pas de côté insuffle à nos vies un air de liberté tout à fait appréciable. Certains se consacrent à la performance permanente, d'autres choisissent une certaine "distraction" vers un oubli d'un soi trop sérieux. Marina van Zuylen prône une existence dans un "espace intermédiaire et allégé". Cet essai salutaire convient très bien à tous ceux et à toutes celles qui aiment la lecture, un art de se distraire intelligemment ! 

mardi 3 septembre 2024

"Les Derniers jours", Jean Clair, 2

 Jean Clair, enfant de parents modestes, doit toute sa vocation à l'école et en particulier à la bibliothécaire de son lycée qui lui a mis dans les mains un livre de Sigmund Freud, "Les essais de psychanalyse appliquée" : "Pareil livre était le sésame du monde qui s'ouvrait à moi et j'en partageais le secret avec ceux qui avaient envers la psychanalyse la même attirance, née de la même façon d'interroger les rêves et de supporter l'étrangeté qu'en naissant on apporte avec soi". Il rend compte de quelques uns de ses rêves dans ce journal intime hybride. Quand il prend sa plume comme historien d'art, il est d'une culture rare et profonde. Son analyse d'un tableau de Bellini à Venise m'a particulièrement interessée tellement j'apprécie cette oeuvre touchante de beauté et de bonté. Il évoque à plusieurs reprises le peintre slovène, Zoran Music, peu connu du grand public mais un immense artiste. Quelques chapitres sont consacrés à des thématiques esthétiques : la Pieta, le visage et l'autoportrait, la lumière de Bonnard. Jean Clair revient ensuite sur ses origines paysannes et ce monde rude a définitivement disparu : "Ils vivaient petit mais ils habitaient large". Sur la paysannerie, il s'écrie : "J'appartiens à un peuple disparu. A ma naissance, il constituait encore près de 60 % de la population française. Aujourd'hui, il n'en fait pas même pas 2 %". Il évoque ses parents avec amour et reconnaissance. Son texte fourmille d'anecdotes surprenantes : son goût pour les voyages en avion (très mal vu aujourd'hui), sa méfiance pour la notion de transparence, pour l'absence de frontières, pour un monde trop connecté ("La société comme un amas désormais fortuit de cellules identitiques"). L'écrivain voue un culte au singulier, à la différence, à l'unique comme beaucoup d'artistes. Il revendique cette liberté d'être loin de toute "socialisation" globalisante. Il parle évidemment des musées, son univers professionnel et paradoxalement, il rend un hommage vibrant aux musées d'histoire naturelle, en particulier au vieux Museum des jardins des plantes à Paris. Ces collections accumulées depuis des siècles portent la mémoire du monde. Evidemment, dans ce texte très littéraire, il s'agace des hordes de touristes dans les musées et son élitisme culturel peut déranger. Ce récit autobiographique d'une écriture somptueuse se termine en chant de cygne. Il ne comprend plus ce monde du XXI siècle car les siècles précédents lui convenaient mieux... Ce témoignage d'un homme tourmenté par la disparition de ses repères culturels a quand même vécu à l'abri de l'art et de la littérature. une immense consolation. 

lundi 2 septembre 2024

"Les Derniers jours", Jean Clair, 1

J'aime bien les écrivains non conformistes et Jean Clair, né en 1940, essayiste et historien de l'art, appartient à la catégorie des frondeurs et des électrons libres. Pourtant, il occupait des fonctions très illustres : Académicien, Ancien directeur du musée Picasso, Conservateur général du patrimoine, Commissaire d'expositions mémorables. Dés les années 80, il a élaboré "Les Réalismes", "Vienne", "Balthus", "Mélancolie" à Paris. Mais, il dérange un lectorat éminement progressiste qui ne supporte aucune critique sur le devenir merveilleux de l'humanité. Tout va très bien sur notre planète. Mais, les écrivains ne respectent pas toujours ce pacte du "politiquement correct". J'ai donc eu la curiosité d'ouvrir un de ses livres, "Les Derniers jours", publié en 2013. Ce récit mêle des éléments biographiques à des réflexions personnelles. Il est certain qu'il partage avec son ami, Alain Finkielkraut, une certaine nostalgie du passé, un défaut majeur de nos jours car regretter le monde d'avant relève d'une régression pessimiste, Son regard critique sur notre monde moderne n'est pas aussi dépourvu d'humour et d'ironie. Jean Clair est réputé par sa critique radicale de l'art contemporain, un art, selon lui, du vide sidéral. Son conservatisme sociétal peut se comprendre si on le rapproche de la citation d'Albert Camus, homme de gauche, qui avait écrit : "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse".  Dès les premières pages, l'écrivain évoque l'art de lire, ce qui me touche tout particulièrement : "Les humains disparaissent ou s'effacent sous le mince dépôt gris du présent, mais, si les choses se détériorent, les livres les inscrivent d'un doigt léger dans la cendre, et elles sont toujours là, au même endroit. L'art a-t-il eu meilleure raison que d'assurer cette permanence ?". Il aime les livres et par conséquent, il adore les bibliothèques : "Il existe à travers le monde une fraternité secrète des gens qui possèdent, dans leur bibliothèque, les livres que vous avez chez vous". Il n'oublie pas de citer l'utilité de la dictée et cette mention "archaïque" m'a fait sourire en pensant aux milliers de dictée que j'ai écrites dans la moitié du XXe siècle ! Et ces dictées obsolètes que je considérais comme un jeu m'ont donné le goût de la littérature. Les souvenirs scolaires de l'écrivain rappelent ceux des générations nées avant 1960. Jean Clair raconte sa scolarité dans un bon lycée parisien alors que ses parents d'origine paysanne avaient fui la campagne pour une meilleure vie. Très bon élève, le futur écrivain rend un hommage vibrant à l'école publique. (La suite, demain)