lundi 9 novembre 2020

"Les Inséparables"

 La fille adoptive de Simone de Beauvoir a décidé de publier un roman inédit de la plus grande écrivaine féministe française et je n'ai pas hésité une seconde, je l'ai acheté chez Garin dès sa sortie. Ce roman court et dense, "Les Inséparables", écrit en 1954 et publié chez L'Herne, a donc mis plus de soixante ans pour sortir du tiroir. L'écrivaine reprend l'histoire qu'elle a vécu avec Zaza, son amie de cœur, son premier amour qu'elle a rencontré à l'âge de dix ans. Son autobiographie monumentale publié dans la Pléiade évoque cet amitié amoureuse dans le premier tome, "Souvenirs d'une jeune fille rangée". Les deux petites filles se rencontrent dans un cours catholique et ne vont plus se quitter. La jeune Andrée (Zaza) fascine Sylvie (Simone) à cause de son caractère bien trempé, de sa culture littéraire, de son esprit de liberté. Au collège, les professeurs la trouvaient très originale, un peu trop subversive. Andrée excelle à l'école, joue au piano et au violon, aime cuisiner et coudre. La narratrice constate avec admiration qu'elle a reçu "un don", celui de la "personnalité", "une enfant prodige". Sylvie se rend vite compte de cet attachement pour Andrée : "Je comprenais soudain avec stupeur et joie, que le vide de mon cœur, le goût morne de mes journées n'avaient qu'une cause : l'absence d'Andrée. Vivre sans elle, ce n'était plus vivre". Andrée se sent trop surveillée par sa famille très catholique et corsetée par les préjugés de sa classe. Elle veut choisir sa vie en se libérant de la tutelle familiale. On retrouve un personnage emblématique prénommé Pascal (le philosophe existentialiste, Maurice Merleau-Ponty), qui refuse de se marier avec Andrée, très amoureuse de lui. Avec Andrée, la jeune Sylvie découvre la cruauté d'un monde bourgeois, l'étroitesse d'esprit et le conformisme étouffant. Le destin de la jeune fille se termine tragiquement car elle meurt d'une encéphalite foudroyante à l'âge de 23 ans. Ce roman retrace donc un double destin : les deux jeunes filles subissent une assignation dans leur famille. L'une va en mourir, l'autre va survivre et deviendra une icône de la littérature française. Ce roman constitue une pièce de curiosité dans l'œuvre entière de l'écrivaine qui revient fortement sur le devant de la scène littéraire avec une biographie monumentale de l'universitaire anglaise Kate Kirkpatrick, "Devenir Beauvoir", publiée chez Flammarion. Après la découverte de ce roman d'apprentissage où affleure déjà le besoin de liberté de nos deux héroïnes, je vais me remettre à lire l'autobiographie dans la Pléiade, une plongée culturelle vivifiante dans la France du XXe, un âge d'or de la pensée française avec le couple mythique Sartre-Beauvoir.