jeudi 7 mai 2015

"Portrait craché"

Jean-Claude Pirotte, avant de mourir d'un cancer en 2014, a écrit un texte autobiographique d'une émotion retenue. Le titre du livre, "Portrait craché" rappelle l'infirmité dont il souffrait dès la première phrase : "La paralysie faciale a déformé ses traits." L'auteur parle de lui à la troisième personne pour créer une distance ironique entre lui et son double malade. Poète, écrivain, peintre, il a toujours vécu pour la littérature et pour les livres. Son œuvre s'inscrit dans un mouvement "clandestin" littéraire et ses frères en écriture se nomment Georges Perros, Henri Thomas, Valérie Larbaud, André Dhôtel, etc. Pirotte ne figure pas dans les listes des best-sellers, la vente de ses livres dépasse rarement le millier d'exemplaires, mais, il a pour moi une très grande importance et peu importe s'il est peu connu du grand public. De temps en temps, il faut délaisser les auteurs à succès pour découvrir les authentiques amoureux du langage et de la littérature.  Dès les premières lignes, il parle de sa maladie, le cancer et il continue pourtant à savourer son tabac... Il affronte avec un courage philosophique la fin de sa vie, se sachant condamné. Il écrit : "La vie n'est qu'une longue attente du rien". Il a déménagé pour vivre près d'un hôpital et il est parti, le cœur brisé, sans sa bibliothèque. Son texte est un hommage magnifique aux livres et aux écrivains qui l'ont accompagné tout au long de son existence. Il évoque ses passions de toujours : Nerval, Joubert, Montaigne, Bachelard, Arland, entre autres. Je cite ce passage: "Ce sont, depuis l'enfance, les livres qui lui ont assuré la vie".  Plus loin, il ajoute : "Aussi physiquement diminué, soit-il, l'univers de la lecture ne cesse de s'ouvrir à lui, ménageant en dépit des avanies de destin les portes dérobées d'une intime jouissance." Malgré sa détresse morale et sa souffrance physique, il a gardé sa foi entière dans la littérature, "Le livre survivra à l'humanité moribonde. (...) Lieu commun des réprouvés, le livre scintille encore, en ce temps de barbarie exponentielle". Dans ce testament autobiographique,  Jean-Claude Pirotte raconte avec une sincérité poignante sa fin douloureuse dans la lumière des livres.