samedi 14 avril 2018

"Frankie Addams"

J'ai toujours une petite appréhension quand je relis un roman après quelques années. Je devais avoir la trentaine quand j'ai découvert Carson McCullers (1917-1967), un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. J'avais vraiment beaucoup aimé "Le cœur est un chasseur solitaire" et "Reflets dans un œil d'or" dans les années 70. J'ai tout dévoré à l'époque et j'ai gardé une grande tendresse pour l'univers de cette femme écrivain d'une ambiguïté poignante. La presse littéraire a remis à l'honneur Carson McCullers en 2017, évoquant le cinquantenaire de sa disparition. Ecrivain de la solitude, de l'incommunicabilité, les personnages se heurtent à l'absurdité de leur destin. J'ai donc proposé dans le cadre de l'atelier Lectures qui se tiendra le 24 avril, le thème des tourments de l'adolescence et j'ai pensé immédiatement au roman de Carson McCullers, "Frankie Addams", republié chez Stock dans l'excellente collection, "La Cosmopolite". J'ai donc relu ce roman sur l'adolescence et j'avoue qu'il n'a pas pris une ride alors qu'elle l'a composé en 1949. Frankie Addams est une jeune fille de douze ans, habitant un Sud américain suffocant de chaleur. Frankie se sent mal dans sa peau. Elle a grandi trop vite et ne supporte pas ses longues jambes, sa gaucherie corporelle. Elle vit avec son père, horloger dans une petite ville insignifiante où il ne se passe rien. L'adolescente n'a jamais connu sa mère, morte à sa naissance. Une nounou noire s'occupe d'elle et elle traîne dans le quartier en compagnie de son petit cousin, âgé de six ans. Elle apprend que son frère va se marier. Elle fomente alors dans sa tête un projet fou, insensé : partir avec son frère et sa belle-sœur, quitter la petite ville et voyager avec eux. Elle s'invente une nouvelle vie, une belle et bonne vie loin de l'ennui gluant qu'elle ressent en permanence. Je cite un des passages les plus intenses du roman quand Frankie demande à la nounou d'où lui vient ce sentiment d'enfermement (son corps, sa ville, sa famille) : "Tous on est comme des prisonniers. On vient au monde dans un endroit ou dans un autre et on ne sait pas pourquoi. (...) Mais peut-être qu'on voudrait s'évader et être libre. Mais on a beau faire, toujours on reste prisonnier. Chacun de nous il est comme prisonnier de lui même". Le personnage de Bérénice, l'employée de maison, précise qu'elle est doublement prisonnière avec sa peau noire. Carson McCullers avait dans les années 50 un rejet total du racisme et de la ségrégation aux Etats-Unis. Frankie finira par délirer auprès des habitants en leur confiant sa fuite avec son frère. Elle aura une étrange relation avec un soldat qui essaiera de l'abuser mais elle se défendra en l'assommant. Cette adolescente révoltée, en manque d'amour, rêvant d'un avenir meilleur, ressemble à toutes les filles et tous les garçons qui ont traversé cet âge avec difficulté. Elle va fuguer à la fin du roman et son père comprendra que leur vie doit changer... Un roman fort, un classique du genre et Frankie Addams, notre petite sœur...