jeudi 14 juillet 2011

Une autre fille

Annie Ernaux nous confie un secret de famille dans ce petit livre de 77 pages aux Editions NIL, dans une nouvelle collection, "Les Affranchis". J'ai déjà parlé d'Annie Ernaux dans mon blog et je la considère comme une écrivaine à suivre dès qu'elle écrit un nouveau livre. On retrouve l'atmosphère de ses premières oeuvres dont "La place" où elle nous racontait son enfance et sa jeunesse dans une famille modeste, propriétaires d'une épicerie de village en Normandie. Annie Ernaux revient sur son enfance car elle découvre une vieille photo de famille qui montre un bébé. En fait, elle croit se reconnaître mais elle se rend compte qu'il s'agit de sa soeur aînée qu'elle n'a jamais connue. En fait, sa soeur est morte à six ans de la diphtérie. Les parents sont tellement effondrés qu'ils vont cacher ce deuil à leur fille jusqu'à leur mort. Ce mystère de la "petite morte" fait l'objet de cette lettre qu'elle écrit pour dissiper ce lourd malaise du silence familial. Sa place de seconde l'éclaire sur le malheur de ses parents qui semblaient préfèrer sa soeur trop tôt disparue. Annie Ernaux écrit au "scalpel", dissèque les liens familiaux sans concession et avec une lucidité distanciée. Si vous aimez cet univers si intimiste, vous apprécierez cette lettre qu'elle adresse à cette soeur inconnue. Annie Ernaux rend hommage à sa soeur et à ses parents, frappés par un si grand malheur que représente la perte d'un enfant. Je retiens ce passage : "A un moment, ils ont dû s'apercevoir - mais quand, à quels signes, je ne le saurai jamais- que j'étais au courant de ton existence. Il se faisait de plus en plus tard pour rompre le silence, le secret était trop vieux. C'était devenu trop compliqué pour eux de le lever. Il me semble que je vivais bien avec. Les enfants vivent mieux qu'on pense avec les secrets, avec ce qu'ils croient qu'il ne faut pas dire." Le secret d'un deuil reste un traumatisme à vie et grâce à l'écriture et à la littérature, ce dévoilement tardif fait renaître cette grande soeur, morte trop tôt, mais elle l'aura accompagnée en toute discrétion et émotion tout au long de sa propre vie.