vendredi 21 avril 2023

"Parlons travail", Philip Roth et Milan Kundera

Dans l'excellente bibliographie sur Milan Kundera que j'ai lue dans la Pléiade, j'ai trouvé un chapitre dans l'essai de Philip Roth, "Parlons travail", publié chez Folio. Tous les "grands" de la littérature sont aussi d'immenses lecteurs. L'écrivain américain se pose la question : "Comment la littérature se fait dans la conscience de l'écrivain sans cesse sollicitée par les affaires du monde". Dans ces entretiens, Philip Roth en auditeur passionné et attentif rencontre Primo Levi, Aharon Appelfeld, Ivan Klima, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera et Edna O'Brien. J'ai donc relu avec plaisir le chapitre consacré à Milan Kundera qui éclaire à merveille les thèmes majeurs de ses écrits. Les deux géants se sont retrouvés à deux reprises dans les années 80, une fois à Londres et une autre fois en Amérique. La première question choc de Roth : "Vous pensez que la destruction du monde est pour demain ?". Réponse de Kundera : "Pour qu'une peur habite l'esprit humain depuis les âges les plus reculés, il faut bien qu'elle ait un fondement". Ils échangent sur la fragilité de l'Europe Centrale qui peut être engloutie par la Russie (quelle vision prémonitoire dès 1980 !). Milan Kundera retrace son parcours d'exilé de l'ancienne Tchécoslovaquie à Rennes et s'il a choisi la France, c'est pour sa littérature en particulier pour Rabelais et Diderot. Il propose sa vision du roman : "Le romancier saisit son sujet sous tous les angles, d'une façon aussi complète que possible. Essai ironique, récit romanesque, fragment autobiographique, fait historique, envolées dans la fantaisie : la force synthétique du roman en fait un tout comme si c'étaient des voix de la musique polyphonique". L'écrivain aborde la question du rire : "Je suis terrifié par un monde qui perd son humour". Il revient sur le concept du totalitarisme stalinien : "Toute la période de la terreur stalinienne a été une période de délire lyrique collectif". Le thème de l'oubli est abordé par Philip Roth quand il s'interroge sur la confrontation permanente entre vie privée et vie publique. Son collègue en littérature lui répond que "L'oubli est une forme de mort toujours présente dans la vie". Le chapitre se termine par ces mots kundériens : "La bêtise des hommes vient de ce ce qu'ils ont réponse à tout. La sagesse du roman c'est d'avoir question à tout. Dans un monde construit sur des certitudes sacro-saintes, le roman est mort". Pessimiste ou optimiste, Milan Kundera ? L'écrivain refuse de répondre à cette question trop simpliste...