mercredi 16 février 2022

"Le Désert des Tartares"

Dans l'atelier Littérature de février, j'avais intégré dans ma liste de romans sur la fuite du temps, le texte culte de Dino Buzzati, "Le Désert des Tartares", publié en 1940. Huit décennies plus tard, cet ouvrage n'a pas pris une ride tellement son sujet demeure intemporel. Je l'ai redécouvert dans sa dimension philosophique et métaphysique. Giovanni Drogo, jeune lieutenant, sorti de l'Académie militaire, est expédié dans le fort Bastiani, près d'une frontière au Nord, à la limite d'un désert où des Tartares peuvent d'un moment à l'autre attaquer le fort pour envahir le pays. Le climat rude entre pluie et neige, le paysage de montagnes arides, la discipline routinière des soldats et des gradés forment un décor austère et inhospitalier mais cette ambiance menaçante va finir par fasciner le jeune Drogo. Pourtant, dès son arrivée, il voulait fuir mais le commandant lui recommande de rester quatre mois. Les quatre mois vont se transformer en quatre années. Le lieutenant assiste à quelques incidents dans le fort comme un cheval à l'abandon derrière la frontière, des ombres mouvantes, la mort d'un soldat que la sentinelle abat sans reconnaître un de ses camarades de combat. Il part en permission et retrouve son foyer familial mais il se sent étranger dans ce monde familier. Tout a changé en son absence : sa mère, ses amis et son amour de jeunesse. Il retourne dans sa garnison et les années passent dans un ennui contemplatif et dans une routine rassurante. Quand l'envie de partir lui revient, il apprend d'un Général qu'il n'est plus prioritaire et qu'une vingtaine d'officiers partira avant lui. Quinze ans après, il part en permission et revient vite dans le fort. Il n'est plus apte à la vie civile. Après vingt ans de présence, il tombe malade et il est mis en réserve alors que la guerre semble proche. Son dernier combat ne ressemble pas à celui qu'il avait attendu, combattre contre les Tartares, mais c'est la mort qui le cerne. Ce roman passionnant sur l'attente métaphysique a été écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale évoque aussi l'absurdité de la guerre, de l'héroïsme, de la solitude et de la mort. Drogo, ce personnage immensément seul, décrit sa vie ainsi : "Il est difficile de croire à quelque chose quand on est seul et que l'on ne peut en parler avec personne. Juste à cette époque, Drogo s'aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre, malgré l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie". Un chef d'œuvre de la littérature mondiale. Un joyau de l'Italie. J'ai pensé aussi à un roman fascinant de Julien Gracq, "Le Rivage des Syrtes" , un jumeau littéraire à découvrir.