mardi 8 février 2022

"Les Enchanteurs"

Dans cette rentrée littéraire de janvier et derrière le mastodonte Houellebecq, j'ai repéré le dernier roman de Geneviève Brisac, "Les Enchanteurs", publié chez l'Olivier. Ecrivaine du familier, elle séduit ses lecteurs(trices) par son regard narquois et elle raconte avec un talent fou le côté loufoque et absurde de la vie en société. Dans une émission sur France Culture, elle expliquait la matrice de son livre : elle voulait décrire le monde du travail, le monde du tertiaire, de la vie des bureaux. On retrouve Nouk, personnage récurrent de l'écrivaine, un double d'elle-même : "C'est ma marionnette ; elle se nourrit de moi et je ne le cache pas". Qui est Nouk ? Elle a fait un parcours scolaire d'excellence : Ecole Normale Supérieure et Agrégation de lettres. Révoltée et féministe, elle a traversé l'extrême gauche dans les années 70. Plus tard, elle travaille dans le monde de l'édition pour tourner le dos à l'enseignement. L'écrivaine connaît à la perfection ce milieu car elle a dirigé longtemps l'Ecole des Loisirs de 1989 à 2016. Pendant quarante ans, elle a vécu les transformations du travail avec l'arrivée de l'informatique et surtout avec l'irruption de l'implacable loi de la rentabilité. Geneviève Brisac manie l'humour mordant en intégrant dans son texte des scènes quasi théâtrales, des tableaux vivants à la manière de Carpaccio. Sa jeunesse mouvementée lui fait dire : "Pour survivre, il ne faut ni obéir, ni désobéir, il faut ruser. Contourner. Mais à quel prix ?". Elle rencontre Berg, un militant politique, avec qui elle donne naissance à une petite fille. Un éditeur charismatique et original, Olaf, la recrute et la petite entreprise se révèle un champ de bataille, jonché de rivalités, de jalousies et de coups bas. Elle perd ce premier poste, ayant perdu la confiance de son gourou de patron qui se jouait d'elle en la mettant en concurrence avec les autres femmes de son "harem". Werther, son deuxième employeur, semble plus sérieux et plus compétent. La vie de bureau est décrit comme un monde ritualisé avec des alliances et des rivalités. Des scènes se succèdent à un rythme syncopée, où l'écrivaine a un goût de l'ellipse, du raccourci en ciblant l'essentiel. Elle raconte dans ce roman toutes les mutations du monde de l'édition où a régné une misogynie flagrante.  Sa causticité rageuse dénonce en basse continue les petitesses des humains dans le travail avec cette culture d'entreprise souvent humiliante. Ce roman virevoltant se lit avec beaucoup d'intérêt et j'ai particulièrement apprécié le "tempérament" volcanique de la narratrice. Son amour inconditionnel de la littérature se manifeste par les nombreuses citations qui parsèment le texte. Et en plus, elle affirme que le Journal de Virginia Woolf  "qui lui a sauvé la vie tant de fois". Un roman vivifiant de cette rentrée de janvier.