lundi 16 juillet 2018

"Bilan de faillite"

Les premiers mots de Regis Debray dans ce "Bilan de faillite" posent le sujet principal : "Tu as seize ans, moi soixante seize. Un abîme. Avoir duré plus que de raison ne donne pas à un père l'autorité requise pour se faire écouter d'un fils. Tu me demandes quoi faire de ta vie. Je me demande ce que j'ai fait de la mienne. Tu voudrais sortir de l'enfance, je rêve d'y retourner. Comment t'orienter dans les jungles de demain ?". Antoine, le fils de Régis Debray, doit choisir sa filière pour le bac : S ou L. L'écrivain conseille la section scientifique pour éviter à son fils une vie dont le bilan ressemblerait à une faillite comme l'indique le titre du livre. L'écrivain se raconte sans fard, sans maquillage et se livre comme jamais. Tout le monde connaît son itinéraire exceptionnel : révolutionnaire, proche de Che Guevara, emprisonné en Bolivie, rapatrié en France par Mitterrand, conseiller du Prince socialiste, médiologue sans attaches universitaires, sociologue du religieux, républicain gaulliste, militant d'une gauche perdue et surtout, écrivain. Si l'on veut comprendre le monde intellectuel français, il faut lire les récits autobiographiques de l'écrivain dont "Un Candide à sa fenêtre". Sa force de frappe se situe dans son style inimitable, brillant, plein d'humour, de lucidité et d'ironie. La planète Debray : un passé oublié où les professeurs, les gens de lettres, les littéraires avaient toute leur place dans la société. Aujourd'hui, "On ne nous avait pas préparés au culte du gagnant. On ne nous avait pas prévenus que les footballeurs deviendraient des demi-dieux, feuilletés d'or comme des bouddhas birmans ; ni que chanteurs, acteurs et actrices, avec oscars, noces et obsèques en direct, seraient les phares de nos étés, les héros de nos hivers et les mentors de nos mentors". L'écrivain déconseille à son fils les milieux de la politique, du militantisme, de la diplomatie, de la littérature, des sciences humaines. Il avoue sa désillusion de ne pas avoir été lu et reconnu à sa juste valeur. Il évoque la médiologie, dont il a été le précurseur et que l'université ne considère pas comme une science. Ce récit tonique démontre que toute vie génère des réussites et des échecs. Régis Debray conseille à son fils d'être lui-même, de choisir sa voie sans son avis et surtout, d'éviter l'inquiétante fascination du conformisme ambiant où les "followers", les "like", et autres "fans" du net confondent le réel et le virtuel… Régis Debray conserve malgré tout un humour sans égal, une nostalgie du temps des livres, et des regrets sur son agitation politique. Un ouvrage très instructif et un style flamboyant...