vendredi 3 février 2023

"Double V", Laura Ulonati

 Ma visite hebdomadaire chez Garin porte souvent ses fruits car j'ai trouvé sur une des tables de nouveautés un roman original, "Double V" de Laura Ulonati, jeune écrivaine, publié chez Actes Sud. Née en Italie, elle a grandi et fait ses études en France. Ce troisième roman s'inspire de la vie des sœurs Stephen. Sur la couverture du livre, une photo en noir et blanc représente Vanessa et Virginia. Une des deux jeunes filles porte un patronyme célèbre, Woolf. L'une se passionne pour le dessin, l'autre écrit un journal intime. L'aînée aura des enfants, l'autre non. Vanessa aura une vie de peintre à peine reconnue, Virginia connaîtra de son vivant la gloire littéraire. L'écrivaine se saisit de ces deux destins, deux personnalités si différentes. Les deux sœurs reçoivent la même éducation intellectuelle dans le milieu de la haute bourgeoisie londonienne. Mais, malgré leur culture classique, elles naissent femmes et au début du XXe siècle, cela ressemble à un combat de tous les jours dans ce monde d'hommes. Elles vont devenir orphelines avec la perte de leur mère en 1895 et celle de leur père en 1904. Les liens fraternels passionnent Laura Ulonati car elle évoque aussi sa sœur dans ce roman en intégrant son histoire biographique.  Elle présente son livre ainsi en évoquant sa sœur : "Ma sœur et moi avons très tôt divisé le monde en deux règnes : les livres pour moi, le dessin pour elle. (...) Ma sœur demeure centrale dans mon existence. Elle est ma relation la plus intime, la plus durable. Celle qui survit à mes parents (...) Celle dont les éclats de rire ou les larmes excluent le reste du monde". Ce roman miroir raconte avec un vrai talent d'écriture les méandres tourmentés d'une relation "sororale" où la rivalité et la jalousie tissent une toile mortifère. Vanessa peignait et Virginia écrivait et ses deux activités créatrices leur servaient de "remède" à leur mal être. L'aînée éprouve une jalousie envers le couple que forme sa sœur avec Léonard : "Ils donnent un sens à leur existence : inventent leur vie ensemble dans une jungle de livres, qui les envahit, même dans la cuisine où Léonard prépare les caractères pour les volumes à publier en même temps que le haddock et les pommes de terre". Le roman fourmille de détails sur la vie de Vanessa, la femme oubliée, négligée par rapport au génie de Virginia. Laura Ulonati analyse le portrait des filles Stephen : "Deux sœurs qui ont fait des choix difficiles pour être libres, pour briser des chaînes auxquelles elles n'ont peut-être qu'ajouté des maillons". Plus loin, l'autrice résume le destin de ces créatrices unies par un amour sororal indéfectible malgré des malentendus : "Pour une femme qui décide, il y a toujours un prix. Quelque chose à laisser en gage". Ce livre intense et poétique se lit avec un plaisir certain surtout pour retrouver le personnage emblématique de Virginia Woolf. Par contre, j'ai fait la connaissance de Vanessa et de sa peinture. Quelle "sororie" (le mot existe, j'ai vérifié)  !