lundi 4 juillet 2016

"Rien où poser sa tête"

J'ai découvert l'ouvrage de Françoise Frenkel, "Rien où poser sa tête", en lisant une critique dans le Monde des Livres, parue en octobre 2015. En 1921, cette femme juive polonaise, passionnée par notre culture et notre langue, s'installe à Berlin et ouvre la première librairie française, "La Maison du Livre". Elle raconte cette aventure culturelle dans les premières pages du récit : "Je ne sais à quel âge remonte, en réalité, ma vocation de libraire.  Toute petite, je pouvais passer des heures à feuilleter un livre d'images ou un grand volume illustré." Elle vient à Paris pour apprendre le métier et fréquente la Sorbonne et les bibliothèques. Le consul de France lui déconseille d'ouvrir sa librairie trouvant le climat social inquiétant dans les années 20. Mais, elle s'obstine et réalise son projet avec le soutien des éditeurs français. Elle organise des conférences en invitant les écrivains de l'époque comme Gide, Barbusse, Martin du Gard, Maurois, Soupault, etc. En proposant aussi des pièces de théâtre dans sa librairie, elle en fait un pôle culturel de premier ordre. Puis, son commerce commence à traverser des problèmes provoqués par la montée des nazis au pouvoir. La police saisit des ouvrages des auteurs mis à l'index comme Romain Rolland. Elle est convoquée à la Gestapo à cause d'un voyage à Bruxelles où elle rejoint sa famille. Elle témoigne de la Nuit de Cristal en 1938 et quitte Berlin. Françoise Merkel raconte son exode à travers la France à Nice, en passant par Avignon, Vichy, Grenoble, Annecy. Elle tente en vain de passer la frontière suisse mais la police de Vichy l'arrête et la met en prison. Elle sera enfin libérée grâce à des soutiens amicaux et pourra franchir la frontière pour se réfugier en Suisse. Elle décrit sa peur et son angoisse des rafles constantes que subissaient les juifs. Son courage, sa détermination, son obstination la sauvent du chaos et de la déportation, une mort assurée. Ce récit, publié en 1945, a été retrouvé par hasard dans un stock de livres d'Emmaüs. Patrick Modiano a écrit la préface pour présenter ce récit singulier : "Son livre demeurera toujours, pour moi, la lettre d'une inconnue, oubliée poste restante depuis une éternité et que vous recevez par erreur, semble-t-il mais qui vous était peut-être destinée." Je reprends une définition d'une journaliste du Monde : Françoise Frenkel nous a adressé "un témoignage intense et généreux".