lundi 26 août 2019

"L'énigme Elsa Weiss"

Le premier roman, "L'énigme Elsa Weiss", de Michal Ben-Naftali, paru en janvier de cette année, est publié chez Actes Sud.   Editrice et traductrice, l'auteure traduit Maurice Blanchot, Annie Ernaux, André Breton et d'autres écrivains français en hébreu. Elle évoque une femme, Elsa Weiss, qui s'est suicidée trente ans avant le récit qu'elle lui consacre. Tirée d'une histoire vraie, le premier chapitre frappe déjà le lecteur(trice) : "Avec la même cruauté glaciale qui lui faisait gratter le tableau de ses ongles longs pour signifier aux élèves de se taire, Elsa Weiss avait mis fin à sa vie". La narratrice est une de ses anciennes étudiantes et elle tente l'impossible dans ce texte : redonner vie à cette femme fantôme, mystérieuse et secrète. Elsa Weiss se murait dans un silence hautain, inviolable : "Elle n'a pas laissé de témoignage (…), elle avait le visage d'un animal, avec l'orgueil et l'obstination de ceux qui ne parlent à personne, visage de madone et de prêtresse, oppressant, tourmenté et, parvenu au paroxysme d'une angoisse existentielle émoussée, il se muait en un masque opaque qui mettait le regard en fuite". Ce professeur ne voulait se mêler de rien, surtout pas de la vie de ses lycéennes. Mais, cette vie auprès de ses jeunes adolescents était la seule qu'elle menait : "Nous étions tout son monde ou du moins l'essentiel, qui se cousait et se défaisait tous les ans, un engagement à vie". Elle exerçait son métier de façon autoritaire, parfois humiliante, sans discussion, en se faisant respecter de tous et de toutes. Ses colères impressionnaient la classe et personne n'osait entamer un quelconque dialogue avec elle. Comme la narratrice ne possède aucun élément biographique d'Elsa Weiss, elle utilise la fiction pour raconter cette vie glaçante : "Je sais exactement qu'elle est née en 1917, qu'elle a mis fin à sa vie en 1982, qu'elle a quitté ses parents en 1944. Je sais qu'elle a traversé des continents et des jours. Je sais tout et rien. Soit. A partir de ce point, tout est fiction". Elle est née en Hongrie dans une famille juive réformiste. Elle fait un séjour à Paris et se marie avec Erik, dans leur ville natale. Le nazisme fait irruption dans sa vie et elle est déportée à Bergen-Belsen. La narratrice évoque le train où 1600 juifs furent sauvés par un avocat, Rudolf Kastner, qui avait négocié avec Eichmann, la libération des déportés en Suisse.  Elle imagine d'Elsa Weiss dans ce wagon, forcée par ses parents d'y embarquer. La jeune femme, sauvée malgré elle, ressentira un sentiment insoutenable de culpabilité. Michal Ben-Naftali propose dans ce roman une analyse psychologique en profondeur sur les traumatismes irréversibles des rescapés de la Shoah que la société israélienne n'a pas suffisamment traités, car trop empressée de tourner la page d'un passé inoubliable. Ce roman fort et grave dresse le portrait d'une femme désarmée face à la tragédie de l'Histoire. Ce n'est pas un livre d'été mais parfois la lecture doit constituer un devoir de mémoire en toutes saisons et en tous temps.