jeudi 17 août 2017

Confidences sur la lecture, 4

Des rencontres heureuses surgissent à l'improviste dans la vie d'une lectrice. Vers l'âge de vingt ans, une voisine était venue me chercher pour mettre un peu d'ordre dans une bibliothèque de quartier. J'ai apporté mon aide pour ranger les livres par catégories et par ordre alphabétique (cette anecdote préfigurait mon futur métier de bibliothécaire). Je me baignais dans la littérature française et j'ai remarqué un ouvrage qui ne ressemblait pas à ces compagnons de papier. Je l'ai saisi dans mes mains. Sa couverture austère et d'un jaune bien fané ressemblait à un Budé de grec ancien. J'ai lu le titre "Le Rivage des Syrtes" et le nom de l'écrivain, Julien Gracq. Je ne connaissais pas cet écrivain à l'époque car il refusait d'être publié en poche. Je cite la première phrase : "J'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna". Et quand j'ai commencé à lire cette histoire somptueuse  dans un décor étrange, j'ai ressenti une émotion "littéraire" que j'ai toujours conservée dans ma mémoire. Julien Gracq est un peu délaissé de nos jours mais ce classique contemporain m'enchante toujours autant. Sa prose et son style m'ont éblouie. Après mon bac L, je me suis inscrite en Lettres Modernes (avec du latin obligatoire) à l'université des Pays de l'Adour à Pau. Pendant mes études littéraires, lire  ne ressemblait pas à une obligation, mais à une libération existentielle et à ma formation intellectuelle.  Mes professeurs m'ont appris à aimer tous les classiques : Rabelais, La Fontaine, La Bruyère, Gustave Flaubert, Nerval, Jules Vallès, Zola, Proust, etc. J'ai appris le latin, l'ancien français, la linguistique, la grammaire, la littérature comparée, et ces trois années universitaires m'ont confortée dans ma vocation "livresque". A cette époque, devenir professeur de français exilait tous les jeunes du Sud éclatant vers un Nord "horrifique". Je ne tentais pas le concours qui était d'ailleurs très dur avec une quarantaine de postes (au lieu de 1 000 aujourd'hui !). J'ai trouvé une place dans une excellente librairie de Bayonne qui portait le nom suivant "Le Livre" ! Un an après, je créais la mienne dans la rue Marengo, à côté du Musée basque. Je reviendrai sur la saga de ma librairie dans ce blog. Transmettre le goût de la lecture, rencontrer des lecteurs, promouvoir la bonne littérature, trouver le chemin des idées, toutes ces missions résument mon métier de libraire pendant six ans dans les années 75...