vendredi 28 août 2020

"Fille"

 Je suis allée en librairie dès le premier jour de la rentrée littéraire et je suis repartie avec "Fille" de Camille Laurens. Le roman démarre avec ces mots : "C'est une fille". Ca commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir". La petite Laurence naît à Rouen dans un milieu assez aisé, d'un père médecin et d'une mère au foyer. Evidemment, comme beaucoup de pères à l'époque, il aurait préféré un garçon : "Il n'y a rien à voir. Circulez. C'est une fille". Surtout que Laurence arrive après sa sœur : "Ton père va le matin à la mairie déclarer la naissance. La née-sans". La narratrice raconte avec un humour féroce et joyeux sa vie de bébé, ses parents, sa sœur Claude. Sa mère se retrouve enceinte après quatre mois de sa naissance, mais elle perd cette troisième fille. Après cet événement dramatique, la petite Laurence grandit avec ce tabou familial. Elle constate la différence sexuelle à l'école avec la non-mixité à l'époque. Et elle observe ses parents qui vivent différemment : "A première vue, ça n'en pas l'air folichon. (...)  Ils dorment ensemble, ils mangent ensemble, ils ne se parlent pas, sauf d'argent ou de nous". Des anecdotes sur son enfance donnent un rythme vivant et vibrant au récit. Cette petite fille, l'écrivaine, entraîne le lecteur(trice) dans une réflexion permanente sur l'identité féminine. Qu'est-ce qu'une fille ? Ce postulat traverse le livre de la première ligne à la dernière. Laurence devient femme, se marie avec Christian, souvent absent, puis mère d'une petite Alice et je ne dévoilerai pas ce qui arrive à cette narratrice jubilatoire. Fille, épouse et mère, elle fait l'expérience de la féminité avec ses réussites et avec ses échecs. Sa fille, vrai garçon manqué, lui réserve une belle surprise. Il est question de transmission, d'héritage culturel, de recherche d'identité, de genres. Au fond, la narratrice se moque souvent d'elle dans une forme d'auto-dérision. Cette autobiographie déguisée parle des années écoulées, des bonheurs comme des vicissitudes de la vie, des souffrances muettes, des mésaventures familiales de Camille Laurens. Les changements d'époque, les mentalités sociétales se révèlent dans ce texte vraiment passionnant à lire. Les derniers mots du livre : "Un fille, c'est merveilleux" répond à la question lancinante qui structure le récit : que veut dire "être une fille" dans une société patriarcale ? Un défi, un enjeu, un destin à conquérir malgré toutes les entraves et toutes les injustices faites aux filles, aux femmes, à la moitié de l'humanité. Un des meilleurs romans de la rentrée littéraire 2020 !