mercredi 12 septembre 2018

"Souvenirs pieux"

Cet été, j'ai donc relu un de mes écrivains fétiches : je veux parler de Marguerite Yourcenar dont je possède toute l'œuvre dans la Pléiade. Ces Œuvres complètes, publiées chez Gallimard en 1982, m'accompagnent depuis cette année-là et je les ouvre fréquemment pour lire des textes courts, des nouvelles, des extraits, des essais… J'avais relu les "Mémoires d'Hadrien" que j'aime vraiment beaucoup car ce roman touche ma fibre "antique". Et cette relecture s'avérait encore plus somptueuse que la première. Je sais que cet hiver, je vais pénétrer pour la deuxième fois dans les pages de "L'Œuvre au noir" en me plongeant dans la fascinante période historique de la Renaissance. J'ai préféré relire pendant mon été livresque, les mémoires autobiographiques en trois volumes qui portent le beau titre du "Labyrinthe du monde". J'ai commencé par "Souvenirs pieux", publiés en 1974. L'écrivaine explore le côté maternel de sa famille. Sa mère meurt peu après la naissance de Marguerite le 8 juin 1903 et l'auteur décrit l'accouchement comme si elle se souvenait de cet évènement fondateur de son être. Elle évoque ensuite le mariage de ses parents et imagine la grossesse de sa mère. Toujours à la recherche d'une authenticité historique, elle part à la recherche de la tombe de sa mère, mais "sa tombe ne l'attendrissait plus autant que celle d'une inconnue".  L'écrivaine avouera que l'absence de sa mère ne l'a jamais traumatisée… Elle remonte très loin dans sa généalogie vers le XIVe siècle où ses ancêtres occupaient des fonctions politiques à Liège. Une partie importante de l'ouvrage est consacrée à deux oncles maternels : Octave et Fernand. L'un est un écrivain estimé à son époque et l'autre s'est suicidé. Marguerite Yourcenar éprouve une compassion infinie pour cet oncle trop tôt disparu et une admiration, teintée d'irritation, pour l'oncle écrivain un peu raté. Elle revient sur l'enfance de sa mère à la fin du livre, sa rencontre avec son père et leurs voyages en Allemagne. L'écrivaine se transforme en archéologue extraodinaire de ses origines familiales. Ses fouilles expertes traquent les lettres nombreuses de ses ancêtres, les témoignages oraux, les photographies et les "souvenirs pieux". Sources familiales, sources historiques, l'écrivaine exploite à merveille le passé de ses proches parentaux et de ses proches lointains en cultivant l'exigence, la rigueur et l'honnêteté. Au fond, Marguerite Yourcenar interroge avec son génie littéraire "l'épaisseur des temps" pour comprendre sa propre existence. Héritière de ces générations singulières, elle se demande si elle partage avec ses ancêtres, des miettes d'identité commune et ce vertige existentiel rejoint le champ de la littérature philosophique, loin de la généalogie notariale. Ces mémoires autobiographiques m'ont de nouveau charmée, captivée et cette deuxième lecture m'a bien confirmée que les grands livres, nos classiques, échappent à la médiocrité éditoriale d'aujourd'hui. "Souvenirs pieux", premier tome du Labyrinthe du monde, une œuvre majeure du XXe siècle, un regard essentiel sur l'Histoire, la grande et la petite…