jeudi 13 juin 2019

"Le Nouveau"

J'ai lu le dernier ouvrage de Philippe Sollers, "Le Nouveau". J'ai retrouvé la patte "sollersienne" : une érudition littéraire fabuleuse, une ironie infinie, des bribes biographiques, une pensée libertaire traditionnelle. Je m'intéresse depuis longtemps à cet écrivain souvent critiqué et comparé au pape de Saint-Germain des Prés par son influence trop médiatique. Mais, je ne le vois pas du tout sous cet angle-là. Philippe Sollers résume son livre ainsi : "Ce livre est un roman. Nous sommes dans le Sud-Ouest de la France, vers Bordeaux et ses grands environs, d'où l'ensemble de l'Histoire, peu à peu se dévoile". Il donne ensuite quatre prénoms, Henri, Edna, Louis, Lena avec leur date de naissance et de mort et il ajoute un invité permanent, William Shakespeare. Les lecteurs qui n'aiment que l'ordre chronologique et une certaine logique dans un texte ne doivent absolument pas lire Sollers. Il faut abandonner ce cadre contraignant et se glisser dans la prose de cet écrivain sans préjugés, sans attente particulière. Dès les premières pages, il évoque les mouettes, la mer, un bateau, celui de son grand-père qui portait le nom "Le Nouveau". Son arrière-grand mère maternelle, Edna, venait d'Irlande. Son grand-père, Louis, était un escrimeur célèbre. L'écrivain revendique avec humour cet héritage : "Voilà ce qui coule dans mes veines : la marine, l'Irlande, les fleurets mouchetés. On ne tue pas, on touche. On n'espère rien, on navigue". Lena, sa mère, est une grande lectrice et grâce à la bibliothèque familiale, Philippe Sollers rencontre Proust à quinze ans en dévorant son œuvre. La structure d'un récit à la Sollers ressemble à des sauts de puce, une méthode basée sur la digression permanente. Il passe par exemple de ses ancêtres à Shakespeare en évoquant son génie littéraire. Parfois, au détour d'un paragraphe, le narrateur commente des faits d'actualité avec un esprit critique très pointu. Le monde se transforme décidément un grand spectacle tragique et parfois comique. Philippe Sollers cultive le doute, l'ironie, la provocation tranquille. Il n'aime au fond que la "littérature", sa véritable religion : "Je vais toucher un mot dans la masse, mon modèle est la mouette rieuse, vol plané, observation prolongée, piqué". Lire Sollers, c'est accepter de vagabonder dans une prose, parsemée de souvenirs, de réflexions philosophiques, d'hommages littéraires. Et oui, j'aime sa liberté de ton, sa passion de la vie et de la littérature. Un grand monsieur qui a atteint ses 80 ans, un éternel jeune homme. Et la maison Gallimard annonce la publication de ses œuvres dans la Pléiade...