jeudi 7 mars 2024

"Une autre vie", Marie-Hélène Lafon

Un ouvrage de Marie-Hélène Lafon m'a attiré l'oeil à la Médiathèque de Chambéry, "Une autre vie", publié dans une maison d'édition aveyronnaise, Lamaidonne. Intégré dans la collection, "Poursuites et Ricochets', le livre en question correspond bien à la citation de Denis Roche : "Ne rêvons pas... Laissons aux photos d'être des ricochets et aux phrases d'être des poursuites". Quelle belle idée d'exploiter des vieilles photos de famille qui dorment trop souvent dans des boîtes, cachées dans des placards ! Ce joli fascicule, bien conçu, présente huit photos du père de l'écrivaine quand il était au Maroc pendant son service militaire entre 1956 et 1959. Ces photos en noir et blanc montrent son père sur la plage, en maillot de bain, en uniforme de militaire dans une chambre, déguisé en femme dans le jardin du colonel, torse nu dans une rue. Dans la présentation de ce portrait, Marie-Hélène Lafon écrit : "Un autre père, un autre corps, une autre vie". Ce père soldat, jeune et joyeux semble mener une vie insouciante, légère et cette image ne reflète en aucun cas l'homme qui est revenu de son service militaire, s'est marié et s'est figé dans une ferme du Cantal en donnant naissance à sa fille Marie-Hélène. Il meurt en 2021 et ce retour aux sources de la jeunesse paternelle ne cesse de la questionner sur cet homme qu'elle ne connaissait pas. Jeune, il était souriant alors qu'elle l'a toujours vu sérieux et distant. Cette parenthèse enchantée de Casablanca demeure un mystère pour la narratrice : "Le sourire de mon père me saute à la gueule. Toujours les traces des corps, des gestes, des voix, des intonations des ascendants dans les corps, les gestes, les voix, les intonations des descendants émeuvent, bouleversent, retournent, me retournent. Ce sont des résurgences, elles me traversent, me travaillent, travaillent les textes que j'écris depuis plus d'un quart de siècle ; elles strient les textes, les scarifient, les secouent, les caressent, frémissent dans leurs silences". En lisant ce récit, j'ai pensé à Roland Barthes et à sa "Chambre claire" où il évoque une photo de sa mère. Quand il observe cette photo, il retrouve la bonté essentielle de sa mère. Marie-Hélène Lafon introduit dans son texte l'effet "punctum", un terme barthésien, qui signifie en latin, la piqûre, le petit trou, la petite tache. Ce détail provoque une forte émotion chez le "regardeur". L'écrivaine s'est sentie happée par ces photos révélant un côté solaire de son père, qu'il n'a jamais montré à sa famille. Cet ouvrage s'inscrit dans la démarche de Marie-Hélène Lafon qui creuse comme une archéologue les figures familiales d'une modestie émouvante en leur redonnant une seconde vie (ou une vie éternelle) grâce à la littérature...