samedi 19 février 2022

"L'amour la mer"

 Pascal Quignard, le plus grand écrivain français d'aujourd'hui à mes yeux, publie son nouveau roman, "L'amour la mer", publié chez Gallimard. L'univers de cet écrivain secret et fabuleux ne ressemble en rien à celui de l'autre "grand écrivain", Michel Houellebecq, mille fois, cent mille fois plus célèbre que le discret Quignard comme l'était Julien Gracq. Tous les deux partagent le côté "moine copiste du XIVe" et se retirent du cirque médiatique des lettres pour mieux se consacrer à la littérature qui prend une dimension sacrée. L'œuvre multiforme de Pascal Quignard englobe des genres anciens, les contes, les légendes, le romanesque, la psychanalyse et la philosophie. Il est aussi créateur d'aphorismes, de pensées fulgurantes, de références savantes. Il arrive que son lecteur(trice) perde parfois le fil du récit ou s'égare dans tant de chemins inconnus. Il vit au cœur des siècles sans se soucier des trépidations contemporaines. Lire Quignard représente un plongeon dans le temps comme le figure l'image du plongeur, Boutès, dans une fresque de Paestum. Dans son dernier roman, il ressuscite quelques personnages de son univers romanesque comme le fantomatique Monsieur de Sainte Colombe, le musicien emblématique de "Tous les matins du monde". Il évoque des grands musiciens, le luthiste Charles Fleury de Blancrocher qui se tua en chutant dans un escalier, le claveciniste Froberger, mort dans la cuisine du château de Héricourt. La vie de ces musiciens constamment en tournée dans les banquets s'avérait dangereuse dans ce XVIIe siècle pendant les guerres de religion et le brigandage. Une histoire d'amour surgit dans ce roman polyphonique entre la violiste scandinave, Thullyn, et l'organiste compositeur Lambert Hatten de Mulhouse. Il décrit la sensualité de la jeune femme et la force d'Hatten mais cette histoire désespérée ne peut pas survivre dans le temps long : "Ils vécurent ensemble deux fois neuf mois, parfaitement heureux. Ils auraient dû vivre ensemble toujours".  il n'est pas toujours facile de suivre l'intrigue amoureuse tant les fils du roman se chevauchent comme dans une broderie féminine, avec des lieux multiples, des périodes temporelles différentes, la présence de la musique, de la mer, de l'amour. Dès que j'ai terminé ce livre étrange, incandescent, hermétique, lumineux, je me suis dit qu'il fallait le relire dans quelques mois pour retrouver la musique de Pascal Quignard, un magicien des mots, des images, des sensations, des senteurs et des sentiments. Ce roman mystérieux et secret résume à lui seul l'univers atemporel de cet écrivain qui me fascine depuis des décennies...  je l'avais rencontré à Paris lors d'une de ses conférences à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand en 2020 et ce brève aparté avec lui restera toujours gravé dans ma mémoire...