mardi 7 novembre 2017

"Toutes les familles heureuses"

Hervé Le Tellier se déclare volontiers comme un "oulipien", amateur de contraintes littéraires à la façon de Georges Perec. Homme de radio, cet écrivain singulier possède une voix particulière. Il a donc publié cet automne "Toutes les familles heureuses", édité chez Lattès. Le titre ironique, tiré d'un livre de Toltoï, résume le projet de ce récit autobiographique. Malgré le sentiment de saturation que le lecteur(trice) peut éprouver pour ce sujet, la famille, ce texte renouvelle le genre en posant tout de suite la distance nécessaire pour ne pas sombrer dans la caricature "Familles, je vous hais" d'André Gide. Dès la première phrase, le décor psychologique est planté : "Il y aurait du scandale à ne pas avoir aimé ses parents. Du scandale à s'être posé la question de savoir s'il était ou non honteux de ne pas trouver en soi, malgré des efforts de jeunesse, un sentiment si commun, l'amour dit filial". L'auteur se considère comme un "monstre" en éprouvant une indifférence glaciale quand il apprend la mort de son beau-père, Serge. Il avait un an quand sa mère divorce et se marie avec cet homme insipide, incolore et vivant sous le joug de sa femme, autoritaire et névrosée. Il n'a jamais joué un rôle de père auprès du petit garçon. Hervé Le Tellier annonce dès le début du récit que sa mère est folle. Il décrit la généalogie familiale dans une France du XXe siècle en évoquant son grand-père charismatique, Raphaël, un homme d'influence de l'ancien temps, un patriarche traditionnel. Sa fille, Marcelline, ne se remettra jamais de l'abandon de son premier mari. Sa jalousie envers sa propre sœur devient maladive et elle bascule dans un comportement hystérique souvent agressif. Les relations mère-fils virent toujours aux rapports conflictuels. Sa mère en demande 'trop" et ne supporte pas la liberté de son fils quittant le nid familial dès sa majorité. Le père naturel ne vient jamais en aide et refait sa vie dans l'oubli de son propre fils. Hervé Le Tellier décrypte au scalpel ces adultes  égocentriques et irresponsables. Ce portrait de famille au vitriol pourrait déranger les lecteurs(trices) plus habitués au "bonheur" familial. Ce sujet abondamment traité dans la littérature (je pense aux romans de Lionel Duroy) me semble inépuisable et inépuisé. Hervé Le Tellier ne ressent pas d'amertume envers sa mère malade, la lâcheté de son beau-père et envers son enfance malheureuse. Il écrit à la fin de ce récit dense : "Un enfant n'a parfois que le choix de la fuite ; il devra à son évasion, au risque de la fragilité, d'aimer plus fort encore la vie". Un très beau récit autobiographique qui m'a fait penser à la phrase d'Henri Calet : "ne me secouez pas trop car je suis plein de larmes"...