lundi 25 juillet 2022

"Le Dernier Royaume, "Les Ombres errantes", 1

Depuis quelque temps, j'éprouve le besoin de "relire" tous les livres que j'ai aimés tout au long de mon existence. Evidemment, je crains de ne pas réaliser ce projet irrationnel car je ne dispose pas, hélas, de plusieurs vies et par conséquent, je dois m'organiser pour relire de façon raisonnable le plus grand nombre de ces romans, lus une seule fois méritant amplement une redécouverte salutaire. Il existe un écrivain qui possède cette capacité d'émerveillement car plus on le lit, plus on le comprend. Et quand on reprend un texte, tout s'éclaire différemment. Je parle de "mon" Pascal Quignard et de son "Dernier Royaume". Si je conserve ses œuvres dans ma bibliothèque, c'est bien pour le retrouver, le rencontrer, le redécouvrir. Récemment, j'ai donc ouvert le premier volume, "Les Ombres errantes", paru en 2002 chez Grasset. Cet ouvrage a obtenu le prix Goncourt la même année, un choix surprenant loin des habitudes institutionnelles de ce jury primant davantage des romans dits "accessibles" pour le plus grand nombre. Ouvrir un "Quignard" demeure toujours une expérience originale qui peut soit déplaire fortement, soit séduire immédiatement. Ce style de récit hybride mélange tous les genres : du poème au conte philosophique, de l'essai à la fiction. Des références sur les mondes anciens égrènent le texte : auteurs latins et grecs, citations, petits fragments, personnages réels ou fictifs, moments biographiques au détour d'un paragraphe. Ce texte atypique ressemble davantage à un morceau de musique, un ensemble de notes blanches et noires car son titre provient d'une chaconne de Couperin que Pascal Quignard affectionne particulièrement. Ces "ombres errantes", ces mystérieuses "ombres errantes" symbolisent peut-être les disparus, les discrets, les effacés, les perdus, toute une communauté de solitaires lettrés qui se mettent hors de la société normative. Quand j'ai relu ce premier tome, j'avais marqué d'une croix quelques phrases qui m'avaient frappée vingt ans auparavant. Je les soulignerai à nouveau : "Il y a dans le livre une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c'est errer. La lecture est errance". Pascal Quignard "vénère" l'acte de lire et je me reconnais parfois dans cette manie obsessionnelle : "L'attraction qu'exercent sur moi les livres est d'une nature qui restera toute ma vie plus mystérieuse et plus impérieuse qu'elle peut le sembler à d'autres lecteurs". Je me suis donc plongée dans la prose énigmatique, envoûtante et obsédante de cet écrivain majeur. Comme Julien Gracq, il n'a besoin d'aucun prix, ni du Goncourt, ni du Nobel pour être reconnu ! Ce sont ses lecteurs et ses lectrices qui lui accordent un prix mémorable, celui d'un intérêt passionné.