lundi 1 juin 2020

"Un matin d'hiver"

Philippe Vilain déclare dans un entretien que le sujet de son dernier roman, "Un matin d'hiver", publié chez Grasset, s'est emparé de lui : "C'est quelque chose de magique pour ainsi dire et fatal en même temps qui ne me donne pas d'autre choix que d'écrire". En avant-propos du roman, il rappelle la matrice de ce livre. Lors d'un colloque universitaire, une femme lui a raconté une drôle d'histoire : son mari avait disparu sans laisser de traces. Cette conversation a submergé l'écrivain et, quelques mois plus tard,  il a alors demandé à cette femme "héroïque" selon lui, de se saisir de son destin en le romançant, en l'arrangeant pour lui donner une force romanesque. Philippe Vilain manifeste un intérêt passionné pour la "disparition de l'amour". Il s'agit d'un travail de "recomposition et d'ensecrètement inhérent à celui du roman". Quinze ans ont passé et la narratrice, trentenaire, revient sur la disparition de son mari. Elle est professeur de littérature. Son futur mari enseigne la sociologie dans la même université. Leurs différences les attirent car elle aime la solitude et lui préfère le social, les relations. Ils se rencontrent, s'aiment, se marient et une petite Marie est née. Une histoire banale et courante pour des millions de couples. Dan cache peut-être un mystère car il vient d'Atlanta et il retourne régulièrement dans cette ville américaine où vivent ses parents. Ses recherches le maintiennent régulièrement absent du foyer parisien. La narratrice raconte sa passion amoureuse pour cet homme qui garde sa part de mystère. Elle tombe enceinte et relate sa grossesse avec une vérité toute universelle : "J'apprenais le métier de mère avec passion". Ils achètent un appartement, vivent sur un petit nuage, celui de la naissance de Marie et la vie semble bien merveilleuse. Dan se révèle un père attentif, prévenant, organisé avec son bébé. Dan obtient une bourse de recherche à Atlanta pour étudier les ghettos de la ville. Ses absences se multiplient et sa femme ne se pose pas trop de questions sur ces allers-retours permanents : "Sans doute, n'avais-je pas vraiment cherché à savoir, par pudeur, par manque de curiosité ou peur de découvrir une part obscure de lui, je ne sais pas". Un jour, Dan part aux Etats-Unis et ne donne plus de nouvelles. Un bout d'un moment, sa disparition est enfin prise au sérieux et la police amorce une enquête. Une enquête qui ne donnera rien. Dans notre monde hyperconnecté, comment peut-on disparaître ? Je ne dévoilerai pas les hypothèses de la narratrice… Il faut lire ce roman précis, dense, romanesque. Philippe Vilain écrit sur l'absence, sur la disparition, sur la séparation amoureuse, sur le deuil de l'être aimé. Un roman d'une sincérité poignante et d'une modernité littéraire digne d'Annie Ernaux et de Marguerite Duras.