jeudi 5 novembre 2020

"Art nouveau"

 Un roman de Paul Greveillac, "Art nouveau", publié chez Gallimard a attiré mon attention. Très "Mitteleuropa", ce récit remarquable évoque un architecte, Lajos Ligeti, à la fin du XIXe. Apprenti, il quitte Vienne qu'il déteste pour Budapest. Ses parents pharmaciens d'origine juive le laissent partir à regret. Sa vocation dévorante de l'architecture le pousse à conquérir sa place comme un jeune Rastignac à Paris. Il demande à un oncle de l'héberger dans sa modeste demeure. En 1896, la ville hongroise est en pleine effervescence culturelle avec ce fameux Art nouveau. Il est embauché dans un bureau d'architectes connus pour leur audace architecturale comme Odon Lechner. Autant les personnages qui gravitent autour de Lajos sont réels, autant le héros principal demeure une invention de l'écrivain. En dehors de ces architectes, on peut croiser Egon Schiele, Bela Bartok, des artistes emblématiques de cette époque troublée et troublante. Lajos Ligeti doit séduite ses patrons et ses donneurs d'ordre. Il parvient à s'imposer avec beaucoup de difficultés. Il se marie avec une très belle femme, Katarzina et une petite fille naît de leur union. Mais, rien ne va dans la vie professionnelle de l'architecte, ni dans sa vie privée. Il travaille avec un maître d'œuvre malhonnête, ne réalise pas un projet vital pour lui et trop ambitieux. Sa cité-jardin industrielle, baptisée Europa, sera plagiée, tronquée et nationalisée. Face à tous ses échecs personnels, à la faillite de ses ambitions alors qu'il avait réussi sa carrière, Lajos Ligeti bascule dans une certaine mélancolie, propre à cet esprit fin de siècle à Vienne et à Budapest. Il ne supporte plus de vivre dans ce marasme d'autant plus qu'il pressent la montée d'un nationalisme qui finira dans le nazisme. L'esprit nostalgique imprègne ce beau roman historique, délicieusement suranné. L'histoire de l'architecte s'appuie sur un travail documentaire concernant le monde de l'architecture "fin de siècle", le rôle des industriels, des commanditaires,  l'Art nouveau, la Sécession. Paul Greveillac aborde la délicate question de l'identité à travers le couple formé par Lajos et sa femme, originaire de Lemberg en Ukraine. Ils n'ont pas vraiment de patrie, se sentent étrangers dans leur pays d'accueil. Un roman pudique, élégant et érudit à découvrir dans les nouveautés de cette rentrée surtout si on aime la culture venue de l'Est avec des écrivains comme Zweig, Musil, Joseph Roth.