samedi 8 octobre 2022

"Les liens artificiels", Nathan Devers

 Nathan Devers, très jeune écrivain et surtout philosophe de formation, anime aussi la revue de B.-H. Lévy, "La Règle du Jeu". Il intervient souvent sur une chaîne de télévision. Il sort donc son premier roman, "Les liens artificiels", publié chez Albin Michel en septembre. Ce livre fait partie de la sélection du Goncourt et continue à figurer sur la liste. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce nouveau type de texte qui dénonce l'emprise des jeux vidéo dans notre société. Ce phénomène mondial touche des millions de jeunes et d'adultes qui préfèrent vivre virtuellement tant la réalité les rebute. Ils choisissent ce mode d'être pour fuir un réel décevant. Clément Rosset avait évoqué cette attitude dans son ouvrage de philosophie, "Le réel et son double", un texte prophétique sur ce dédoublement de la personnalité, un pied sur la terre et l'autre dans le métavers. Nathan Devers a déclaré : "Il fallait raconter cette spirale. La spirale de ceux qui tournent en rond entre le virtuel et la réalité. Qui perdent pied à mesure que s'estompe la frontière entre les écrans et les choses, les mirages et le réel, le monde et les réseaux. Le cercle vicieux d'une génération qui se connecte à tout, excepté à la vie". Le héros malheureux du roman s'appelle Julien Libérat, jeune musicien sans succès, amoureux dépité et quitté. Son couple s'est fané par ennui : "Ils avaient observé leur amour s'ennuyer devant eux, transformant l'instant en avenir et l'avenir en rien". Il donne des cours de piano et s'installe à Rungis, un choix économique contraint. En éprouvant un profond ennui, il finit par rejoindre l'Antimonde. Le créateur de ce monstre virtuel, Adrien Sterner, propose une utopie, une planète B "où tout est bien meilleur que chez vous". Sous le pseudonyme de Vangel, Julien s'invente un avatar poète au succès foudroyant. Il gagne des sommes énormes en monnaie virtuelle, achète un appartement de luxe au sommet de la Tour Eifel, rencontre des femmes. Cette seconde vie se transforme pour lui en véritable vie et il ne fait plus de différence entre les deux. Adrien Sterner manipule Julien jusqu'à la fin du jeu, qui devient aussi pour Julien le suicide final. Ce roman surprenant et bien écrit traite d'un sujet essentiel : l'emprise des nouvelles technologies dans nos vies. L'addiction aux jeux vidéo concerne des pans entiers de la population et agit comme une drogue douce qui, à long terme, anesthésie tout élan vital. Bien que je n'apprécie guère ce mode de vie, cette religion virtuelle aussi pesante que les univers totalitaires, j'ai lu ce jeune écrivain avec plaisir et je pense qu'il mériterait un prix littéraire automnal. Le métavers n'a plus de mystère pour moi ! Et ce monde ne sera jamais le mien, quitte à rester seule sur notre Terre !