mercredi 24 mai 2023

Atelier Littérature, 4

 Véronique a évoqué un ouvrage sur la perte de l'odorat, "Les cinq parfums de notre histoire" de Laure Margerand. Charlotte, le personnage principal du roman, est devenue anosmique après la perte de son bébé. Elle se sépare de son mari après le drame et une amie veut l'aider pour la sortir de sa dépression. Charlotte est coach en écriture. Un célèbre écrivain lui demande de l'accompagner dans la composition d'un roman pour reconquérir la femme de sa vie. Des marque-pages intégrés dans le livre, parfumés concoctés par une parfumeuse de Grasse, vont produire des effets inattendus. Pascale a présenté le dernier roman de Constance Debré, "Offenses", publié chez Flammarion. Ce roman très court raconte l'histoire d'un meurtre puis d'un procès d'un jeune de banlieue, accusé de l'assassinat d'une octogénaire. Ce jeune homme, déjà père à vingt ans, endetté à cause de la drogue, tue sa voisine pour une somme d'argent dérisoire. L'écrivaine décrit le procès et analyse le contexte autour de ce geste abominable. Elle s'interroge : que sait-on du jeune homme ? L'agresseur peut-elle être aussi une victime ? Avec une plume scalpel, concis et précis, Constance Debré dénonce férocement une justice de classe. Ce roman peut se lire comme un procès contre la misère sociale et souligne l'abandon de l'Etat concernant les quartiers dits difficiles. Une lecture coup de poing, dérangeante et percutante. Odile a terminé la séance coups de cœur avec le dernier ouvrage de Pierre Michon, "Les deux Beune", publié chez Verdier. En 1996, paraissait "La Grande Beune", un roman du désir où un narrateur, instituteur, est envoyé dans une école de Dordogne, toute proche d'une grotte de Lascaux. Il rencontre Yvonne, la buraliste du village et il est fasciné par cette femme. La suite de ce roman porte le titre de "La Petite Beune" et l'on retrouve le même village, Castelnau, le paysage, des personnages modestes qui mènent des "vies minuscules" (titre d'un de ses romans). la belle Yvonne, l'instituteur et son désir revivifié, la présence des temps paléolithiques et la prose magnifique de Pierre Michon. Un grand écrivain français à lire et à relire. Voilà pour les coups de cœur du mois de mai. Nous nous retrouverons le jeudi 15 juin dans le dernier atelier de la saison avant les vacances d'été.  

mardi 23 mai 2023

Atelier Littérature, 3

 Après Milan Kundera, nous avons évoqué les coups de cœur du mois. Mylène a présenté avec enthousiasme le dernier roman d'Alice Ferney, "Deux innocents", publié chez Actes Sud. Le personnage principal, Claire, une quinquagénaire généreuse, enseigne dans un établissement associatif où elle s'occupe de jeunes gens en difficulté. Un jeune élève, Gabriel, s'attache à Claire mais cet histoire de tendresse bascule dans un drame quand l'enseignante est accusée d'avoir eu des "gestes déplacés" envers l'adolescent. Les soupçons et les silences s'installent dans l'institution et face à l'incompréhensible, l'écrivaine explore les conséquences psychologiques et sociales de ce malentendu fatal. Mylène aime beaucoup Alice Ferney pour son écriture "magnifique" et ses sujets intimes. La bienveillance et la tendresse ne sont peut-être plus à la "mode" dans les relations humaines. A l'heure de "Metoo", du harcèlement dans les réseaux sociaux, du soupçon généralisé, ce roman raconte les pièges de l'innocence. Danièle a pris la suite en parlant du roman magique d'Elsa Morante, "L'île d'Arturo". Le petit Arturo vit dans l'île de Procida, en face de Naples et grandit dans une solitude sauvage. Il rêve de son père qui habite sur le continent mais qu'il ne voit guère. Sa mère est morte à sa naissance et il n'apprécie guère sa belle-mère. Comme dans tous les romans denses et passionnants d'Elsa Morante, il faut se laisser emporter par cet océan de mots, de sensations, de sentiments dans un style fluide et percutant. L'écrivaine italienne, un peu oubliée aujourd'hui, décrit avec son génie légendaire, l'adolescence, un passage crucial dans la vie. Un grand roman inoubliable et en plus, venu d'Italie ! Annette a choisi "Le bureau d'éclaircissement des destins" de Gaëlle Nohant, publié chez Grasset en janvier. La jeune Irène travaille en Allemagne dans un centre de documentation sur les persécutions nazies. Méticuleuse et obsessionnelle, elle se dévoue corps et âme aux destins brisés des victimes du nazisme. Divorcée, elle vit avec son fils adolescent. Sa mission consiste à restituer des milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Cherchant les disparus, elle rencontre leurs familles à Varsovie, à Paris et à Berlin jusqu'en Argentine. Ce roman bien documenté évoque la tragédie des camps, la séparation des familles et leurs disparitions sans laisser des traces. Seuls, quelques objets les plus modestes (un foulard, une peluche), témoignent de l'existence de toutes ces victimes du nazisme. Un roman à découvrir. (La suite, demain)

lundi 22 mai 2023

Atelier Littérature, 2

Pour résumer l'œuvre de Milan Kundera, j'ai donné quelques clefs de compréhension en évoquant les essais parfois plus difficiles à lire que les romans. Ces essais, "L'art du roman", "Les testaments trahis", "Le rideau", racontent un écrivain penseur, un philosophe du roman. Dans "L'art du roman", il a choisi 69 mots emblématiques de ses interrogations existentielles. D'aphorisme à beauté, de chapeau à crépuscule, de destin à Europe centrale, de l'infantocratie à kitsch, de métaphore à vieillesse, cet alphabet approfondit avec une clarté toute transparente les idées majeures qu'il a développées dans ses romans. L'infantocratie (ou immaturité), par exemple, est un concept kunderien :  "l'idéal de l'enfance imposé à l'humanité". Il décrit un motocycliste fonçant dans une rue vide dans un bruit du tonnerre. Le comportement juvénile relève de l'âge lyrique et on peut le constater sans cesse dans notre actualité contemporaine avec le succès des jeux vidéos, des rodéos urbains, de la société du spectacle permanent. Le kitsch ("miroir du mensonge embellissant") aussi appartient au monde de Milan Kundera, un concept inspiré par Hermann Broch, l'écrivain des "Somnambules". Il revient souvent à la signification du roman ainsi : "La grande forme de la prose où l'auteur, à travers des égos expérimentaux (personnages) examine jusqu'au bout quelques thèmes de l'existence". A la fin de son alphabet, il fait l'éloge surprenant de la vieillesse, l'âge de la liberté, de la maturité : "C'est seulement quand il est âgé  que l'homme peut ignorer l'opinion du troupeau, l'opinion du public et de l'avenir". Dans un discours qu'il a tenu à Jérusalem, il développe avec un flair prémonitoire la place de la bêtise dans les idées reçues qui, "inscrites dans les ordinateurs, propagées par les mass-média, risquent de devenir bientôt une force qui écrasera toute pensée originale et individuelle et étouffera ainsi l'essence même la culture européenne des Temps modernes". Milan Kundera est devenu un écrivain classique, un des plus grands du XXe siècle. Grâce à ses romans et à ses essais, il analyse l'état de la société totalitaire, le poids de l'Histoire dans la vie des citoyens, le rôle de la littérature et du roman pour devenir libre de tout dogmatisme et de toute idéologie. Mais, il ne faut pas considérer cet écrivain comme un homme engagé. Bien au contraire, il cherche à se retirer de la tragédie historique qu'a vécu son pays natal pour vivre sa propre liberté en entrant comme un moine dans la planète littérature. Je lui laisse la parole : "L'homme, à son insu, compose sa vie d'après les lois de la beauté jusque dans les instants du plus profond désespoir". J'étais heureuse de choisir Milan Kundera dans le cadre de l'Atelier Littérature. J'ai tellement de gratitude envers cet écrivain fabuleux que j'avais envie de la partager. 

vendredi 19 mai 2023

Atelier Littérature, 1

Dans la première partie de l'atelier Littérature du jeudi 11 mai, nous avons évoqué Milan Kundera et ses romans. Geneviève a beaucoup aimé "La valse aux adieux", publié en 1975, écrit à Prague avant l'exil de l'écrivain. Ce vaudeville se passe dans une ville thermale où un médecin gynécologue, le docteur Skreta, prend soin des patientes stériles. Il en prend tellement soin qu'il les insémine avec son propre sperme. Ce thème si contemporain, la procréation assistée, a été traité par Kundera comme une phénomène de société prémonitoire. Une galerie de personnages valse donc en s'écrasant moralement les pieds : le trompettiste Klima couche un soir avec une infirmière, Ruzena, employée des thermes et elle l'accuse de l'avoir mis enceinte alors que c'est un mensonge. Un autre personnage, Jacub, dissident, joue un rôle particulier car il cherche à fuir le pays. Milan Kundera livre dans son deuxième ouvrage une vision sombre de la condition humaine. Mais comme dans tout son registre romanesque, il utilise un humour corrosif, une ironie philosophique et analyse les relations amoureuses comme une vaste comédie loufoque. D'autres lectrices du groupe ont choisi la plus célèbre de ses œuvres, "L'insoutenable légèreté de l'être", publié en 1984. L'écrivain a qualifié ce texte de "méditation sur l'existence" et écrit : "Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde". Tomas est amoureux de Teresa mais comme il prône le libertinage, il la trompe souvent. Teresa symbolise la permanence, la fidélité, l'amour profond. Lui représente la légèreté et elle, une certaine pesanteur. Sabina, la femme artiste, maîtresse de Tomas, va fuir le pays communiste et s'installera en Amérique, seule et libre. Tomas, le volage, trouvera la sérénité et la fidélité avant de mourir dans un accident avec Teresa. Pascale a lu plusieurs citations du roman pour donner envie de le redécouvrir. Je retiendrai cette phrase de Kundera qui résume sa philosophie : "L'Histoire est aussi légère que la vie de l'individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s'envole, comme une chose qui va disparaître demain". Ce chef d'œuvre se savoure encore mieux dans une deuxième lecture. Odile a découvert "La lenteur", paru en 1995, le premier livre de la phase originale car l'écrivain l'a composé en français. Il a renouvelé son style, son univers et sa conception du roman comme des "variations musicales". Il est donc parfois impossible de résumer "La lenteur" tellement le narrateur utilise les digressions incessantes. Mais, notre lectrice n'a pas du tout été décontenancée et l'a lu avec un plaisir certain. Il est question d'un congrès d'entomologistes dans un château à la campagne, de Vivant Denon et de son roman libertin, "Point de lendemain", de réflexions sur la société contemporaine, etc. Milan Kundera écrit cette sage vérité : "Notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse". Un roman jouissif, érudit, ironique et un éloge de la lenteur, "génératrice de mémoire, de beauté, de liberté'. (la suite, lundi)

mercredi 17 mai 2023

Philippe Sollers, la légèreté d'être, d'écrire, de vivre

J'étais attristée d'apprendre la mort de Philippe Sollers à l'âge de 86 ans. Je sais bien qu'il faut bien partir un jour mais quand même, je revendique pour les écrivains et les écrivaines qu'ils disparaissent le plus tard possible. Tant qu'ils restent vivants, j'attends toujours leur dernière publication comme si j'avais un rendez-vous amical d'une régularité appréciable. J'ai lu beaucoup de romans et d'essais de cet écrivain français parfois méconnu du grand public. Pourtant, il symbolise toute la vie littéraire de la deuxième moitié du XXe jusqu'au début du XXIe siècle. Comment parler de lui alors que la presse et les médias ont évoqué assez largement sa disparition ? Il faut absolument lire son dernier récit autobiographique, "Agent secret", pour appréhender sa vie si riche, si pleine, si passionnante. Philippe Sollers ou la liberté faite chair. Enfant aimé et choyé dans une famille bordelaise, il a trouvé peut-être la recette du bonheur en cultivant profondément son propre art de vivre. Quelle est donc son Graal ?  L'amour, la littérature, la culture ! Il a vécu l'amour des femmes, en particulier avec ses deux compagnes, Julia Kristeva, l'officielle, mère de son fils David, et Dominique Rolin, écrivaine belge, la secrète. Sa passion de la littérature l'a comblé : plus de 80 livres à son compte dès l'âge de 22 ans, une vie littéraire foisonnante chez Gallimard avec sa revue l'Infini, véritable laboratoire d'avant-garde des lettres françaises. Il faut ajouter sa culture érudite vertigineuse sur l'art et sur la musique. De nombreux essais rappellent cette activité de critique d'art dont "La guerre du goût". Dans ses derniers ouvrages, il mentionne les lieux magiques, ses lieux d'écriture  : l'Ile de Ré, Paris et Venise. Je me souviens encore de la Pension Calcina à Venise où j'avais remarqué la plaque dans l'entrée de l'hôtel indiquant les séjours réguliers du couple Sollers-Rolin. Quand je me promenais sur le Campo San Agnese, souvent désert, je m'imaginais rencontrer l'écrivain sur un banc de la place. Il fréquentait l'église des Gesuati où il admirait le plafond peint par Tiepolo. Et il nous a offert son merveilleux "Dictionnaire amoureux de Venise", lu et relu pour retrouver la magie vénitienne. Ce gourmand de la vie était doué pour un bonheur jalousement caché. Comme il aimait passionnément Mozart et la musique baroque, il cultivait la fugue, la légèreté d'être (selon Kundera), l'ironie, l'ambiguïté, la liberté. Il n'a jamais déclaré une appartenance politique, ni une allégeance philosophique. Cet écrivain français n'aura pas obtenu le Nobel (trop intelligent pour le comité ?), ni une reconnaissance universitaire. Il ne bénéficiera pas aussi d'une cérémonie aux Invalides (comme Belmondo !). Il a choisi son village de l'Ile de Ré pour se reposer dans l'éternité et sur la notice nécrologique du journal Le Monde, sa maison Gallimard a choisi ces mots : "L'auteur qui n'a jamais renoncé à dire que "le bonheur est possible", a rejoint la vérité du "grand merveilleux silence", "Je suis venu, j'ai vécu, j'ai rêvé".  Son corps est parti, mais son esprit, son bel esprit, demeure dans ses écrits. Il disait dans une belle émission de France Culture (A voix nue), "Pour écrire, il faut lire. Pour lire, il faut savoir vivre" et avec un humour corrosif, il se qualifiait de "dernier dinosaure" du monde littéraire...  

lundi 15 mai 2023

Escapade italienne, Pavie

J'ai donc pratiqué une boucle en Italie du Nord et j'ai souvent hésité en préparant mon escapade entre Vérone ou Mantoue, Bergame ou Brescia, Bologne ou Ferrare, Crémone ou Pavie. L'Italie est un pays inépuisable de beauté. Ma dernière étape de mon escapade s'appelait Pavie. De Chambéry à Chambéry en passant par toutes ces villes, j'ai accumulé plus de 1300 kilomètres mais sans trop les ressentir dans la mesure où les étapes mesuraient une centaine de kilomètres sur le territoire italien. Quand je suis arrivée à Pavie, je n'ai pas ressenti le même choc esthétique que j'ai vécu pour les autres cités. Cette ville moyenne de plus de 70 000 habitants possède pourtant un passé très riche (comme partout en Italie) : place forte romaine, capitale de la Lombardie, cité des Visconti, création d'une des plus anciennes universités du monde. La brique rouge ponctue le paysage urbain. Je l'ai tout de suite vérifié devant le Duomo car j'avais loué une chambre avec vue sur la cathédrale. L'édifice immense détient le record en dimension de la troisième coupole après celle du Vatican et celle de Florence. En me baladant dans les rues du centre, j'ai vu les cours de l'université où l'on aperçoit les statues et les pierres tombales des professeurs illustres ! Ce n'est pas dans notre pays que l'on verrait cet hommage au savoir, à l'enseignement et à la connaissance ! J'ai visité le Musée civique du Château Visconti, érigé en 1360. Cet espace muséal quasi désert présente plusieurs salles d'expositions et j'ai surtout remarqué quelques tableaux intéressants dans l'aile de la pinacothèque Malaspina dont une merveilleuse "Vierge" de Giovanni Bellini. Plusieurs églises méritaient aussi mon attention et je peux citer surtout celle qui contient les reliques de Saint Augustin : la Basilique San Pietro in Ciel d'Oro. Les reliques du saint philosophe, auteur des "Confessions" ont été apportées en 720 après J.-C. Son magnifique tombeau enchâssé dans l'autel comporte plus de 90 statues ! Mon escapade a pris fin à Pavie devant cette façade de la Basilique que Dante a mentionné dans son Paradis. Bergame, Mantoue, Ferrare, Parme et Pavie, une belle escapade italienne, des villes-joyaux de la Renaissance, de la beauté dans les musées, dans les églises, dans les monuments comme l'Italie nous en offre tant. Un pays que j'aime décidément beaucoup et qui ne me déçoit jamais ! Un miracle peut-être italien, ce qui ne m'étonne guère avec la présence très prégnante de la religion catholique... 

vendredi 12 mai 2023

Escapade italienne, Parme, la Fondation Magnani Rocca

Avant de repartir pour Pavie, j'ai fait un petit crochet pour visiter la Fondation Magnani Rocca, à une dizaine de kilomètres de Parme à Mamiano de Traversetolo. Comme j'utilise l'infatigable Routard, le guide le plus utile pour voyager, j'ai remarqué une page sur cette institution que je ne connaissais pas. Au cœur d'une paisible campagne toute verdie par le printemps, surgit une imposante villa entourée d'un grand parc. Luigi Magnani (1906-1984), un héritier d'une grande entreprise laitière, était féru d'art, de musique et de poésie. Il a suivi des études de lettres et d'art. Il a tenu ensuite une chaire à l'Université de la Sapienza à Rome. Musicologue, écrivain, historien de l'art, le mécène élabore sa collection comme son "œuvre" propre, constituée au fil des années auprès des spécialistes de l'art. J'ai donc admiré des œuvres remarquables de Lippi, Durer, Le Titien, Rubens, Goya, Monet, Cézanne, De Chirico, De Pisis et tant d'autres. J'ai même rencontré un Nicolas de Staël sur Paris. Malheureusement, les natures mortes de Morandi s'étaient envolées à Londres ! Dans la villa, l'ameublement de l'époque donne une atmosphère surannée et les placards exposent aussi les vêtements et les objets dans une mise en scène étonnante. La Fondation, ouverte en 1990, organise régulièrement de grandes expositions et j'ai eu la chance de découvrir Felice Casorati (1883-1963), proche du réalisme magique. Passionné de musique, ce peintre commence pourtant à peindre en 1907 à Padoue. Influencé par l'Art nouveau et par le mouvement de la Sécession viennoise, le peintre s'installe à Turin en 1917 et fonde une école d'art pour tous les jeunes artistes en dehors des normes académiques. Cette belle exposition reconstitue l'itinéraire de l'artiste avec une soixantaine de tableaux. La musique est la clé d'entrée de l'œuvre picturale de Casorati. J'ai découvert avec surprise ce peintre et je suis repartie avec son catalogue pour mieux connaître sa démarche artistique. Après cette visite, je suis partie à Pavie, ma dernière étape de mon escapade italienne printanière. 

mercredi 10 mai 2023

Escapade italienne, Parme

 En prononçant le mot "Parme", on pense le plus souvent à sa réputation culinaire : le jambon de Parme (le prosciutto di Parma) et le parmesan (le parmigiano reggiano). Je suis gourmande de naissance et j'apprécie fortement ces nourritures terrestres authentiques. J'ajouterai surtout un roman enchanteur, "La Chartreuse de Parme" de notre écrivain français, Stendhal, l'amoureux ardent de l'Italie ! Marcel Proust évoque Parme dans "Du côté de chez Swann" : "Le nom de Parme, une ville où je désirais aller depuis que j'avais lu la Chartreuse, m'apparaissait compact, lisse, mauve et doux". J'ai donc organisé mon escapade en fonction de ma quatrième étape, Parme en Emilie-Romagne. Dès que j'ai pénétré dans le centre ancien, j'ai vite remarqué la richesse de la ville grâce à ses entreprises agroalimentaires dont la marque célèbre Barilla. Dotée d'une université d'avant-garde sur le plan scientifique et littéraire, plus de 30 000 étudiants fréquentent les dix facultés. J'ai commencé par la visite du Baptistère, érigé en 1196, dédié à Saint Jean-Baptiste. Ce magnifique édifice est l'œuvre de Benedetto Antelami. De forme octogonale, la lumière joue sur l'alternance des marbres blancs et roses de Vérone. A l'intérieur, les murs présentent seize côtés et sont habillés de fresques représentant la vie de Jésus. Des statues ponctuent l'espace et symbolisent les activités liées aux mois de l'année. C'est l'un des baptistères les plus importants du monde chrétien. Le Duomo proche du Baptistère affiche un style roman lombard. Le Corrège a signé les fresques de la coupole symbolisant l'assomption de la Vierge Marie. J'ai retrouvé ce  même Le Corrège dans la Chambre de l'Abbesse, située dans l'ancien couvent des bénédictines de San Paulo. Une chambre au plafond fantastique avec un décor de jardin verdoyant peuplé de personnages de la mythologie classique. L'Abbesse est représentée sous les traits de Diane, déesse de la chasse. Après une pause restaurant dans la "Forchetta", un établissement incontournable de Parme, j'ai poursuivi ma découverte de la ville. Le Palazzo della Pilotta, un imposant palais du XVe siècle se compose de trois cours et abrite le théâtre Farnese, la Galerie nationale de Parme et le Musée archéologique. Le Théâtre peut contenir 5 000 spectateurs. Il a été détruit pendant la guerre de 39-45 et reconstruit à l'identique. La Galerie, l'une des plus intéressantes du pays, expose des tableaux de Fra Angelico, de Canaletto, du Corrège, du Parmesan, de Tintoret sans oublier un sublime Léonard de Vinci, la délicieuse "Scapigliata". J'ai admiré dans le Musée archéologique national mes chers vases grecs et étrusques, trouvés dans les fouilles près de Plaisance. J'ai terminé ma soirée dans une terrasse de bar où j'ai remarqué la bonne humeur des Italiens et des Italiennes qui pratiquent vraiment un certain art de vivre, la dolce vita, Cette douceur de vivre n'est pas une légende car je l'ai bien remarquée dans chaque ville traversée de Bergame à Pavie ! Un effet du prosecco peut-être... 

mardi 9 mai 2023

Escapade italienne, Ferrare

Le lendemain, j'ai commencé ma journée avec le Musée archéologique national, installé dans le Palais de Ludivico il Moro, un joyau du XVIe siècle. Le musée abrite l'art et l'architecture de la Renaissance dont des fresques de Garofalo. En plus de ces trésors artistiques, j'ai apprécié tout particulièrement la collection unique de la civilisation étrusque découverte en 1922 dans l'ancienne ville de Spina, située sur le delta du Pô. Cette nécropole a permis de mettre à jour plus de 4000 tombeaux riches de bijoux, vases grecs, poteries, statuettes votives en bronze, éléments architecturaux, sarcophages, objets de toilette, miroirs, etc. J'étais heureuse de retrouver les traces des Etrusques, un peuple raffiné et encore assez mystérieux par leur écriture et leurs rites religieux. L'Italie des origines étrusques et romaines me fascine toujours autant. Ce très beau musée n'attire que peu de touristes et pourtant, c'est un des trésors cachés de Ferrare. Après quelques instants d'archéologie passionnante, j'ai visité un deuxième palais, baptisé "Schifanoia", construit par la famille d'Este. Ce vocable Schifanoia signifie "échapper à l'ennui". Le salon des mois (Salone dei Mesi) abrite des fresques étranges où sont représentés, pour chaque mois de l'année, les chars des dieux de l'Olympe, entourés de leurs animaux attitrés correspondant aux signes du Zodiaque. Après la visite, j'ai savouré le calme et la fraîcheur dans un jardin du palais où était installé un petit restaurant bien sympathique d'une simplicité modeste, sans chichis, ni tralala. Après la pause repas champêtre, j'ai repris le chemin de la culture ferraraise avec le célèbre Palais des Diamants, construit en 1492 par Hercule Ier d'Este. Cet édifice porte ce nom car sa façade est composé de plus de 8500 blocs de marbre taillés en forme de pointes-de-diamant. Le palais accueille la Pinacothèque nationale avec des œuvres de l'école de Ferrare du Moyen Age au XVIIIe siècle. J'ai retrouvé l'étrange Cosmè Tura, Mantegna, Gentile de Fabriano, et même un Greco. J'ai terminé la journée en me rendant à la Bibliothèque municipale, le Palazzo Paradiso, un lieu d'esprit où il est bon de se recueillir autour des livres. J'ai vu une exposition photographique sur Giorgio Bassani et Pasolini avec leurs éditions originales dans des vitrines. Le plafond de la Sala Ariosto est décoré de fresques et de médaillons représentant les fondateurs de la bibliothèque. Nommer la bibliothèque, Palais Paradis, me rappelait un phrase de Borgès : "Et j'imaginais le paradis sous la forme d'une bibliothèque". Ferrare, la secrète,  la littéraire, l'universitaire, méritait amplement une visite approfondie entre palais, églises, bibliothèques et monuments. Je relirai mieux Giorgio Bassani depuis que j'ai découvert le charme secret de cette cité médiévale hors des sentiers battus. Aucun touriste étranger dans mon escapade ferraraise ! Qu'elle conserve longtemps sa liberté de ne pas être envahie comme à Bergame !

lundi 8 mai 2023

Escapade italienne, Ferrare

Ma troisième étape s'appelait Ferrare, une ville où la magie littéraire l'avait nimbée d'une aura irrésistible comme Trieste que je verrai bien un jour. J'ai donc réalisé une de mes rêveries en découvrant Ferrare, la ville de Giorgio Bassani. J'avais beaucoup aimé "Le jardin des Finzi-Contini" et "Les lunettes d'or". Je me souviens encore du film "Gli occhiali d'oro" (1987) porté à l'écran par Giuliano Montaldo et interprété par Philippe Noiret. Ces lectures ont laissé des traces dans ma mémoire et Ferrare me "parlait". Pendant les années qui ont suivi les "Lois raciales" édictées par le gouvernement fasciste, la ville devint le théâtre de persécutions rappelés par l'écrivain d'origine juive. Dès que je suis arrivée dans le centre ancien, j'ai tout de suite remarqué l'imposant Château d'Este, un édifice en briques rouges, doté de quatre tours défensives. Construit en 1385, il domine la ville et l'écrase un peu par sa monumentalité. J'ai visité ce château pour ses fresques grandioses sur les plafonds mais le temps a abîmé considérablement ces vestiges. Sur les fresques, des bandes de papier jauni calfeutraient les fissures. Ces dégradations réparées de cette façon gâchaient la beauté des plafonds peints. L'Italie possède un patrimoine gigantesque et peut-être que l'Etat ne peut pas tout restaurer. Dommage. La cathédrale Saint Georges était aussi en pleine rénovation à l'intérieur comme à l'extérieur. J'ai quand même deviné malgré le matériel de chantier la splendeur de ce Duomo. Le musée de la cathédrale est installé dans un magnifique édifice religieux autour d'un cloître où c'est un régal de retrouver le silence et la paix en pleine ville. Dans le premier étage, alors que je traversais les différentes salles, un air musical a jailli et j'ai vu un violoncelliste qui répétait pour un concert. Déambuler avec cet air de musique classique pendant que je regardais les œuvres exposées de la Renaissance se révélait comme un moment de "grâce" ou de "sacré". J'ai ensuite repris le chemin de mon hébergement dans un quartier proche du centre. Ferrare déplie sur son territoire des rues interminables avec des immeubles à deux ou trois étages comme un labyrinthe mystérieux. Autant Bergame et Mantoue se livrent d'emblée dans un écrin architectural merveilleux, autant Ferrare se dérobe à nos yeux et il faut partir à la chasse aux trésors. Et cette cité recèle des trésors cachés que j'ai dénichés pendant ces deux jours ! 

vendredi 5 mai 2023

Escapade italienne, Mantoue

 En fin d'après-midi, je voulais me promener dans le parc Virgilinia pour voir la statue de Virgile, né à Mantoue ! Virgile dit "le Cygne de Mantoue" est né en 70 av. J.-C. à Andes (à côté de Mantoue) en Lombardie et il est mort en 19 av. J.-C. à Brindisi. L'auteur de "l'Enéide", des "Bucoliques" et des Géorgiques" a rendu célèbre cette cité lombarde. Je me suis recueillie devant la stèle comme je le fais souvent quand je croise un écrivain même âgé de plus de deux mille ans ! J'ai ensuite longé les bords du fleuve et il régnait une grande tranquillité quand j'ai arpenté le centre ancien dans la soirée. Un petit verre de vin blanc et une focaccia savoureuse sur une terrasse demeure un plaisir irrésistible en Italie. Le lendemain, j'ai visité deux palais : le Palazzo d'Arco et le Palazzo Te. Le premier palais, résidence aristocratique de la famille d'Arco, s'est transformé en musée en 1973. Une guide nous a raconté l'histoire de ce palais et j'ai donc traversé de nombreuses salles dont celle des ancêtres et surtout la salle du Zodiaque aménagée dans un petit édifice Renaissance dans le jardin. Ce cycle de fresques, exécuté en 1510 par le peintre Falconetto, m'a vraiment étonnée. J'ai aussi apprécié la bibliothèque toute baroque dans des tons de gris, d'un cabinet de curiosités avec des oiseaux empaillés, des coquillages de toutes dimensions. Même la cuisine du palais affichait une collection invraisemblable d'ustensiles pour fabriquer des montagnes de gâteaux ! Le deuxième palais, le "Te", dans le style maniériste, fut élaboré par Jules Romain, formé par Raphaël. Sur le modèle idéal de la maison romaine, ce palais ample et majestueux, possède un chef d'œuvre spectaculaire : la Chambre des Géants. Les personnages représentés sur les murs et le plafond racontent un banquet olympien chaotique et terrifiant. Les visages des géants ont certainement provoqué des cauchemars aux nombreux résidents du palais ! Le marquis de Mantoue, Frédéric II, a reçu dans ses murs l'illustre Charles Quint en 1530. Cette deuxième étape restera gravée dans ma mémoire. Mantoue, une ville adorable, calme, sereine avec ses palais et ses églises, ses places et ses rues pavées, une cité médiévale qui se rapproche beaucoup du concept de cité idéale ! 

jeudi 4 mai 2023

Escapade italienne, Mantoue

J'ai choisi Mantoue (Mantova) en Lombardie comme deuxième étape de mon escapade italienne. Inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité en 2008, cette cité magnifique présente une harmonie architecturale due à la maison de Gonzague et elle est classée première dans le classement des meilleures villes italiennes pour la qualité de son environnement. Visiter Mantoue comme Bergame, c'est aussi éviter une circulation dense de voitures et autres objets mobiles à part les vélos. Les centres anciens bénéficient d'une tranquillité bienvenue même si l'on doit jongler avec sa voiture et la garer pendant le séjour dans les parkings ou garages que les hôtels proposent. Dans l'Antiquité, Mantoue était un village étrusque et son nom proviendrait du dieu Mantus (Hadès), seigneur des morts du panthéon tyrrhénien puis conquise par les Romains. Grâce à la famille Gonzague, la cité va connaître une stabilité exceptionnelle pendant toute la Renaissance.  Dès que j'ai approché la ville, j'ai été surprise par la beauté du paysage urbain car Mantoue est entourée de trois étendues d'eau artificielles, provenant d'une boucle du fleuve Mincio. Se promener dans les places et les rues pavées (plates) du centre ancien procure un plaisir esthétique évident. Je retrouvais cette magie du lieu comme à Bergame. Le bâtiment imposant du centre ancien, le Palais ducal, est composé de nombreux espaces reliés entre eux par des couloirs et des galeries, enrichis de cours intérieures et de jardins suspendus. J'ai réservé ma première visite au musée archéologique intégré au Palais ducal, présentant des objets funéraires provenant des nécropoles étrusques de la région. J'ai surtout remarqué les céramiques, les amphores et les ustensiles de cuisine sans oublier quelques bijoux raffinés. Dans le site archéologique de Valdaro, fut retrouvée une sépulture étrusque appelée "les deux amants" enlacés dans un unique tombeau. Ce couple de jeunes gens enterrés ensemble pourrait inspirer un romancier qui raconterait leur belle histoire d'amour. Dans le château Saint-Georges, j'avais réservé un créneau d'horaire pour visiter la célèbre "Chambre des époux", décorée de fresques par Andrea Mantegna et dédiée à Louis III de Mantoue et à son épouse, Barbara. Mantegna travaille pendant neuf ans de 1465 à 1474 en mettant en scène les personnages de la cour et le plafond appelé oculus montre des anges (putti) et un baquet en équilibre sur le puits, symbole de la fragilité humaine. Dans un article de wikipedia, j'ai appris que Mantegna apparaît comme "l'un des fondateurs de la peinture idéologique laïque et comme l'inventeur du paysage composé moderne". Cette visite de quelques minutes devant ce spectacle en trompe l'œil m'a donné l'illusion de vivre en pleine Renaissance. 

mercredi 3 mai 2023

Escapade italienne, Bergame

 Un musée important attire de nombreux amateurs et amatrices d'art : l'Academie Carrara. Né à la fin du XVIIIe siècle, Giaccomo Carrara, mécène et collectionneur, fait un legs généreux à la ville de Bergame. Installée dans un bâtiment au style néo-classique en 1810, la galerie présente près de 1800 tableaux. Il faut s'imaginer en 1793 quand ce comte ouvrait sa collection au public pour la première fois, un geste démocratique à souligner. Il souhaita aussi que des cours de dessin et de peinture soient donnés dans le même lieu. J'apprécie les musées à taille humaine et celui de Bergame correspondait tout à fait à mes souhaits et quelle collection ! Devant mes yeux, Pisanello, Botticelli, Mantegna, Bellini, Titien, Tiepolo, Canaletto : que des peintres d'une Renaissance italienne d'une beauté éblouissante. Mais, j'aime aussi découvrir des artistes que je ne connais pas et à Bergame, j'ai rencontré un inconnu, Evaristo Baschenis, né à Bergame (1617-1677), un peintre baroque de l'école vénitienne. J'ai été charmée par ses natures mortes car ses tableaux évoquent des instruments de musique, des partitions, mêlés d'écritoire, de boîtes, de fruits, d'encriers et autres objets, exposés sur des tables couvertes de beaux tissus soyeux. La perfection picturale ! Il arrive même à rendre la poussière sur les objets avec une maestria époustouflante. Pour admirer ce peintre exceptionnel, il faut donc aller à Bergame, ou à Cologne, Bruxelles, Milan, Venise car il n'existe qu'une dizaine de toiles exposées dans les musées. J'ai remarqué un beau Raphaël (Le Saint Sébastien), un Carpaccio, un très étonnant Cosme Tura que l'on reconnaît toujours par l'originalité de ses personnages. Un régal de l'esprit, ce musée Carrara de Bergame. En face de cette institution remarquable, un musée d'art moderne et contemporain (le GAMEC), présentait une collection d'œuvres sur "l'art au-delà de la matière", consacrée à "l'investigation de la matière dans l'art des XXe et XXIe siècle"s. J'avoue que cette exposition m'a un peu sidérée. A part un Magritte, un Picasso et un Kupka, je n'ai vue que des objets du numérique exposés montrant les flux immatériels. Bref, l'art contemporain peine à me plaire... Après la pinacothèque Carrara, le choc était rude ! Pourtant, j'essaie de comprendre l'art conceptuel très courant dans ces institutions. Je me suis alors souvenue des natures mortes de Baschenis, des Botticelli, et de tant d'autres peintres de la Renaissance que j'avais admirés avant de voir ces œuvres dites contemporains. J'avais choisi mon camp, celui du passé mais quel beau passé !

mardi 2 mai 2023

Escapade italienne, Bergame

Depuis des années, je rêvais de Bergame ! Ce nom magique me rappelait un rêve musical, "La suite bergamesque" de Claude Debussy. La ville a inventé les personnages de la Commedia dell'arte avec Arlequin. Pendant le Covid en 2020, Bergame a été durement frappée par l'épidémie avec des centaines de morts et de malades (plus de 30% de la population). Située à une soixantaine de kilomètres de Milan, la cité est divisée en "citta alta" et en "citta bassa". Les remparts vénitiens qui entourent la ville sont demeurés intacts depuis des siècles. Dès que je suis arrivée, j'ai vu une foule compacte dans les rues de la ville haute car en Italie, ce lundi 24 avril, c'était un jour férié (Libération de l'Italie en 1945) ! Malgré ces très nombreux Italiens en famille qui arpentaient avec un certain plaisir cette belle cité, je me suis vite rendue compte que je me trouvais dans une "cité idéale" de la Renaissance. Les monuments les plus emblématiques se concentrent autour de la fontaine Contarini (1780) : le Palais de la Raison, la Tour civique, la bibliothèque Angelo Mai. Derrière la place, une Basilique et le Duomo s'imposent majestueusement dans l'espace à côté du Baptistère et de la Chapelle Colleoni. Cette chapelle de style Renaissance présente une façade en marbre polychrome et sa coupole est peinte par Tiepolo sur la vie de Saint Jean Baptiste. Se balader dans cette Piazza Vecchia constituait un retour vers un passé glorieux de la ville médiévale. La Tour Campanone haute de 52 mètres domine la place, "La plus belle place d'Europe", selon Le Corbusier. L'après-midi, après avoir dégusté des "casoncelli", une sorte de raviolis frais farcis à la viande, j'ai visité l'Eglise San Michele al Pozzo Bianco où un grand artiste de la Renaissance, Lorenzo Lotto, a peint les scènes de la vie de Marie sur des fresques émouvantes. Plus loin, un palais baroque, le "Moroni", s'est offert à mes yeux et j'ai arpenté avec plaisir ses jardins suspendus en terrasse. La "dolce vita" sous un beau soleil printanier s'imprégnait en moi et cela faisait à peine quelques heures que je me retrouvais en Lombardie. J'ai terminé ma soirée dans un restaurant réputé, "Le Circolino", installé dans un ancien monastère, pour déguster une pizza délicieuse. J'imaginais ce lieu occupé par les moines et ils avaient disparu pour laisser la place aux gourmets et aux gourmands de ce restaurant où les fresques apparaissent sur les murs. En revenant vers mon B&B, j'ai traversé la Piazza Vecchia pratiquement déserte et j'ai admiré cette place la nuit avec les monuments éclairés. Il semble aussi que Stendhal appréciait Bergame... Je connais sa passion pour l'Italie et j'étais de son avis : Bergame, dit-on, est une perle secrète de l'Italie du Nord. Je commençais bien mon escapade ce lundi ensoleillé d'avril. 

lundi 1 mai 2023

"La maison", Julien Gracq

 Dans ma jeunesse, j'ai découvert Julien Gracq et son "Rivage des Syrtes". Depuis ce jour-là, dans les années 70, j'ai commencé à lire toute son œuvre, du "Château d'Argol" au "Beau Ténébreux", du "Balcon en forêt" aux "Lettrines", puis "En lisant, en écrivant" et bien d'autres essais. Je possède évidemment les Pléiades qui me permettent de voyager dans ces œuvres d'une écriture somptueuse, envoûtante. Quand j'ai appris qu'un inédit de Julien Gracq paraissait en avril, je ne pouvais que le lire au plus vite. Ce court récit d'à peine 35 pages, "La Maison", édité chez José Corti, raconte l'histoire d'un narrateur sans identité précise. Il prend régulièrement un bus pour effectuer un trajet entre V. et A. à travers de la M. en passant par le petit bourg de G. Une indication historique situe le texte pendant l'Occupation allemande. Ce sont les seuls repères spatiaux et temporels que l'écrivain donne pour entrer dans cette rêverie géographique. Julien Gracq observe la nature comme un géographe poète dans tous ses romans. Dans le car, le narrateur remarque dans ce paysage breton, une maison à l'abandon : "De la route, elle paraissait prise étroitement dans la masse des taillis, coulée à fond dans les branchages comme une barque trop lourdement chargée". Cette bâtisse l'obsède : "Semaine après semaine, sortant de la brume, ou frottée de la lumière plâtreuse d'un ciel blanc qu'elle semblait vieillir ou jaunir, l'apparition venait s'enchâsser dans le film usé et indifférent du voyage". Puis, un jour, il se décide et se met en route. Il veut voir la maison de près comme s'il souhaitait de la voir réelle et non fantasmée. Il s'aventure dans ce chemin : "La route toute entière feutrée et épiante, n'était plus qu'une oreille collée contre la lisère des bois (...) Après quelques allées et venues assez incertaines au long de la route, l'envie me vint une minute, devant cet obstacle absurde, de renoncer à mon équipée, mais la curiosité fut la plus forte". Soudain, il entend des coups de feu qui lui rappellent la guerre menaçante. Alors qu'il rebroussait chemin, il entend une voix venant de la maison : "Je demeurais là de longues minutes, envoûté, suspendu, ne respirant plus que selon le souffle de la voix ensorcelée". D'où vient cette voix féminine ? Le mystère reste complet à la fin de ce texte sur cette apparition enchantée. Julien Gracq met en scène une fascination, un désir de beauté et nous fait entrevoir "l'infini pouvoir de suggestions embusqué dans les choses". Un récit emblématique pour découvrir la prose poétique de cet écrivain discret et inoubliable.