vendredi 18 mars 2016

"L'intérêt de l'enfant"

Il est assez rare de lire un chef d'œuvre et après avoir terminé "L'intérêt de l'enfant" de l'écrivain anglais, Ian McEwan, je suis convaincue d'avoir vécu une expérience de lecture dense, percutante, profonde. Ian McEwan nous a habitués à écrire des romans fulgurants et je pense à "Samedi", l'histoire d'un neurochirurgien pris dans la tourmente de la violence sociale. Dans ce dernier livre, il est question d'une femme juge, Fiona Maye, 59 ans, magistrate spécialisée en droit de la famille. Elle veut comprendre un cas difficile qu'elle doit résoudre. Un adolescent de 17 ans refuse au nom de la religion, la transfusion sanguine qui le sauverait de sa leucémie. Ses parents, témoins de Jéhovah, soutiennent leur fils dans cette absurde décision. Fiona traverse aussi une crise conjugale car son mari veut la quitter pour rejoindre sa maîtresse plus jeune. Elle décide de rencontrer le jeune Adam à l'hôpital pour préparer son jugement : va-t-elle contraindre Adam à la transfusion pour survivre ou  choisir le respect de la religion ? En dialoguant avec le jeune malade, elle se rend compte qu'il aime la musique, la poésie, qu'il est intelligent mais elle analyse vite l'emprise de la religion sur sa personnalité fragile et immature. Ce dilemme la ronge et lui révèle aussi la complexité des croyances dogmatiques et des contraintes familiales. Elle prend une décision déterminante pour l'avenir du garçon : elle opte pour la transfusion pour son "intérêt". Mais, le roman ne se termine pas avec ce dénouement. Adam se remet de la leucémie, lui écrit des lettres pour la remercier. Entre eux deux s'installe une relation ambiguë alors que son couple chancelle après quelques années de bonne entente. Je préfère ne pas dévoiler la fin de l'intrigue, détonante et surprenante. L'écrivain, dans un article de la revue Page, relate cette observation : "Le roman est un instrument parfaitement accordé pour explorer l'intimité. Nos relations les plus profondes, qu'elles soient sexuelles, amicales ou familiales, sont autant sources de joies que de peines. Rien dans nos vies ne reste figé bien longtemps. D'où la relation complexe du roman avec la temporalité." Ian McEwan pose le problème de la croyance et de la rationalité avec en filigrane, celui la liberté de l'individu et du sens de la vie. Ce grand roman "judiciaire" confirme le talent extraordinaire de cet écrivain, sorcier littéraire qui n'hésite pas à se nicher dans une Fiona Maye, hésitante, épuisée et pourtant passionnée par la justice.