vendredi 25 octobre 2019

"Les Pays"

Ce roman, "Les Pays", écrit par Marie-Hélène Lafon et publié chez Buchet-Chastel en 2012, se lit d'une seule traite. Claire, jeune étudiante en Lettres, est originaire du Cantal. Elle poursuit ses études à Paris et se trouve confrontée à deux mondes fort différents : sa vie d'avant dans sa simple expression à la campagne et sa vie d'aujourd'hui à Paris dans la ville la plus urbanisée du pays. Ces deux cultures tissent un récit autour du sentiment ambigu de trahir ses origines : comment s'adapter  dans la capitale intimidante sans se renier ? Le thème de transfuge est traité magistralement par l'écrivaine. Annie Ernaux raconte la même histoire, celle d'une jeune fille émancipée qui quitte l'épicerie de ses parents pour devenir professeur et écrivaine. Dans les premières pages de l'ouvrage, le père de Claire a décidé de visiter le Salon de l'Agriculture avec ses deux grands enfants. Le père agriculteur s'inquiète pour son avenir et se bat pour maintenir sa ferme familiale. Ce voyage à Paris représente un exploit pour cet homme simple et effrayé par la complexité du lieu. Plus tard, Claire, restée seule, loin de son pays natal,  découvre Paris, la Sorbonne, le Louvre et invitée chez son professeur de grec avec d'autres étudiantes, elle décrit ce milieu ainsi : "Une vie comme celle que monsieur Jaffre menait dans cette maison et dans ce jardin était donc possible, ça tenait par les livres, ça tenait par l'arbre, et par mille autres liens dont on ne démêlerait pas l'enchevêtrement ; ça sentait la joie, une joie austère  et ardente". La jeune provinciale rencontre Lucie et se noue une belle amitié entre elles. Pendant les mois d'été, elle trouve un travail dans une banque tout en regrettant le temps des moissons et des travaux à la ferme. Son Cantal lui manque et le texte fourmille de souvenirs nostalgiques sur ce pays perdu. Claire comprend la différence sociale en fréquentant le milieu privilégié de son amie Lucie : "On vivait avec Bach".  Son initiation à la vie urbaine, loin de sa terre natale, s'affirme au fil des pages. Marie-Hélène Lafon consacre le dernier chapitre à son héroïne (qui lui ressemble comme une sœur jumelle) à l'âge de quarante ans quand celle-ci est devenue professeure à Paris. Elle a apprivoisé la capitale, la considère comme "un terrier dans la ville minérale" et là-bas, dans le Cantal, son "terrier des champs". La mue semble réussie en conjuguant ces deux amours sans les trahir. Un texte lumineux, d'une écriture toujours singulière, vibrante, un hommage à la nature (son pays natal) et à la culture (son pays adoptif).