jeudi 13 mai 2021

"La Lumière du Sud-Ouest"

 Roland Barthes, né à Cherbourg, a vécu toute son enfance à Bayonne et à Urt, de 1916 à 1924. Il n'a cessé d'y retourner jusqu'à ses derniers jours. J'ai relu récemment un de ses textes, publié en 1977 et recueilli dans un ouvrage, "Incidents", édité au Seuil en 1987. Il propose une analyse sur cette grande région, le Sud-Ouest et lui rend un hommage vibrant. Il évoque, évidemment, l'accent qui n'est pas celui de Marseille ou du Sud de la France, "plus lourd, moins chantant". Puis, il évoque le trajet entre Paris et les portes du Sud-Ouest : "J'entre dans le pays de mon enfance ; un bosquet de pins sur le côté ; un palmier dans la cour d'une maison ; une certaine hauteur des nuages qui donne au terrain la mobilité d'un visage". Vient ensuite le passage sur la lumière de la région, "noble et subtile à la fois", "une lumière espace", "une lumière lumineuse". Il pleut souvent dans ce pays mais Roland Barthes précise que "ces accidents de la lumière n'engendrent aucun spleen". Son troisième Sud-Ouest, après l'accent et après la lumière, c'est Urt, son village près de Bayonne. Il aime tellement ce lieu qu'il donne le conseil suivant : "Pour juger, pour aimer, il faut venir et rester, de façon à pouvoir parcourir toute la moire des lieux, des saisons, des temps, des lumières". Il n'oublie pas l'Adour, "un très beau fleuve méconnu". Il aborde ensuite le rôle du corps dans les premières impressions de son enfance avec les odeurs, les couleurs, les sons. Un quartier de Bayonne (le petit-Bayonne) l'a particulièrement marqué : "Tous les objets du petit commerce s'y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales, le chocolat, l'huile espagnole, l'air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale". Ces sensations olfactives ont forgé la relation étroite entre ce territoire et l'écrivain. Il termine ce texte avec cette phrase : "Car, "lire" un pays, c'est d'abord le percevoir selon le corps et la mémoire, selon la mémoire du corps. (...) C'est pourquoi l'enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n'est Pays que de l'enfance". Je partage avec Roland Barthes ce goût pour mon pays que j'ai quitté à l'âge de trente ans. Dès que je pose mes pieds sur le tarmac de l'aéroport de Biarritz, l'air est chargé de sel, d'une humidité océanique. Je me blottis dans une atmosphère d'enfance où tous ces paysages maintes fois traversés me sont familiers, intimes, proches. Comme la crise sanitaire s'affaiblit, je prends ma valise et je file  demain dans ce beau pays, tant aimé de Roland Barthes. Il a lui offert des belles lettres de noblesse dans ce texte court et dense qui ressemble à la belle lumière du Sud-Ouest.