vendredi 30 août 2019

"Hôtel du Brésil"

Pierre Bergounioux revient sur la scène littéraire avec un récit bref (68 pages), dans un format poche et dans une collection éminemment particulière, "Connaissance de l'inconscient" chez Gallimard. L'écrivain français est obsédé par le monde paysan, qui se meurt à vive allure dans l'indifférence des citadins qui ont oublié ce mode de vie. Le récit autobiographique démarre quand le narrateur a seize ans. Il apprend le mot  "psychanalyste" dans un film de Bergmann, où "il leur suffisait de sonner à une porte que signalait la même plaque de cuivre fourbi qu'arboraient les médecins, les avocats, les experts-comptables de ma sous-préfecture, pour trouver quelqu'un qui ferait la lumière en eux, leur rendrait la paix". Le milieu familial de l'écrivain plongeait dans un mutisme total. Il part en pension et ce saut dans un lycée le libère de cette pesanteur silencieuse. Il découvre Marx, entend citer Freud en terminale sans s'arrêter sur ce nom mystérieux. Au fil du récit, des souvenirs surgissent sur ce monde virgilien, "la paysannerie antique" qui a aujourd'hui disparu. Son père l'inscrit à la bibliothèque municipale : "Entre une réalité muette, rebutante, impénétrable et les poudreux grimoires, c'est aux grimoires qu'il fallait aller, parce que, je l'avais constaté lors de lectures enfantines, il pouvait arriver, par raccroc et comme à leur insu, qu'ils jettent une clarté dans la pénombre environnante". Cette découverte essentielle, capitale, unique que représente la présence des livres transfigure l'auteur et le fait naître : "Je devais m'être résorbé, avoir passé corps et âme parmi les créatures de papier dont j'épousais les aspirations précises, les inquiétudes explicites, la vie même". Il devine que Freud a révélé un des secrets de la condition humaine : "Ce qu'il avançait, je le savais sans, bien sûr, le savoir. Je l'avais expérimenté jour après jour. La meilleure part, ou la pire, de ce que nous sommes vraiment, de ce que nous pensons se tient en retrait, dans l'ombre, d'où elle a beau jeu de troubler, gâter la vie que nous croyons mener".  Pour Pierre Bergounioux, la littérature a devancé la psychanalyse et il définit tout lecteur ainsi : "Tout lecteur éprouve le gain de lumière réalisé sur l'obscure notion qu'il avait de lui-même (…) Même les mauvais livres, les études historiques fastidieuses, les romans invraisemblables possédaient la magique vertu de contenir, de réduire le chaos". L'écrivain avoue à la fin du récit "qu'il n'a jamais poussé la porte d'un psychanalyste". Ce récit au style ciselé, magnifique, raconte un amour inconditionnel des livres qui représentent en fait une bouée de sauvetage, le salut, la clé de compréhension du monde. La lecture a sauvé Pierre Bergounioux et il n'est pas le seul…