lundi 6 décembre 2021

"La plus secrète mémoire des hommes"

 Le verdict est tombé le 3 novembre : le Prix Goncourt a été attribué à Mohamed Mbougar Sarr pour "La plus secrète mémoire des hommes", publié chez Philippe Rey. Ce jeune écrivain sénégalais francophone de 31 ans a déjà écrit trois romans et pour ce quatrième, la critique l'avait donné gagnant pour le Goncourt alors que le Médicis lui convenait davantage. Ce roman polyphonique où plusieurs voix s'entremêlent raconte le destin d'un "Rimbaud nègre", auteur fulgurant d'un ouvrage mythique et introuvable en librairie, "Le labyrinthe de l'inhumain", paru en 1938. Ce portrait d'un poète maudit s'inspire d'un écrivain africain, "l'affaire Ouologuem", ayant obtenu le Prix Renaudot dans les années 70. Le narrateur, un jeune écrivain, Diégane Latyr Faye, se saisit de cette quête quasi mystique pour découvrir cet écrivain accusé injustement de plagiat. T. C. Elimane aurait utilisé sans le préciser une légende africaine. Le jeune narrateur s'engage dans cette enquête en employant la méthode des témoins, tous ceux et toutes celles qui ont rencontré l'auteur mystère. Se détache dans cette fresque romanesque, la figure emblématique de Siga, la sulfureuse autrice, espoir de la littérature africaine francophone. L'histoire commence donc dans le Paris littéraire des années 2010, côté afro, où se pose la question de la littérature et de sa mission. Le texte devient presque vertigineux à lire car le narrateur passe du présent à Paris aux années 30 au Sénégal, de la Deuxième Guerre Mondiale aux dictatures sudaméricaines. Il traverse les continents : de Paris à Dakar, d'Amsterdam à Buenos Aires. Le portrait tout en mosaïque d'Elimane reste inaccessible, flou, équivoque. Plus le texte avance, plus la quête de l'écrivain maudit s'opacifie. Il faut aussi tenir la corde dans les différents registres littéraires que le narrateur emploie :  journal intime, monologues, coupures de presse, entretiens, lettres, extraits d'ouvrages. L'auteur évoque des écrivains fétiches comme Ernest Sabato et Gombrowicz, amis d'Elimane. Ce roman-monde brasse des personnages singuliers, des faits historiques comme la colonisation, la vie politique au Sénégal, le rôle des ancêtres. Cette enquête littéraire sur un écrivain africain se termine par une découverte sur la fin de sa vie. Tous les accusateurs se sont suicidés ou morts brutalement. Et Elimane a enfin rejoint sa terre natale pour mourir en paix. Mohamed Mbougar Sarr rend un hommage intense et immense à la littérature et aux livres en intégrant de nombreuses citations.  Il écrit : "Aucune blessure n'est unique. Rien d'humain n'est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l'impasse : mais c'est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître". Un roman exigeant, déroutant, complexe. A découvrir.