mercredi 1 février 2023

"Sources", Marie-Hélène Lafon

Ce roman bref et dense, "Sources" de Marie-Hélène Lafon, vient de paraître en janvier et se déroule dans le Cantal, le pays natal de l'écrivaine. Un jeune couple et leurs deux petites filles, Isabelle et Claire, s'installent dans une belle ferme, située dans la vallée de la Santoire. Un fils, Gilles, naîtra quelques mois plus tard. Le récit se découpe en trois parties : la voix de la mère un jour en 1967, le point de vue du père en 1974 et l'épilogue. Le sujet du roman se résume en quelques mots : comment vivre avec un époux violent et caractériel ? Dominée et maltraitée par un homme "atrabilaire", la jeune femme résiste malgré tout au naufrage de son mariage à cause des enfants et aussi pour maintenir sa place dans son milieu paysan. Sa ferme lui procure une fierté sociale. Elle "tient son rang" et elle cache les difficultés qu'elle traverse à sa famille. Car personne ne se doute de la violence qu'elle subit en silence : "Elle sentira le regard de son père posé sur elle, mais son père est un doux, il ne peut rien pour elle, elle a fait sa vie comme ça ; elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il les regarde à peine, mais il est leur père, il est son mari et il a des droits". Une peur muette s'installe dans cette famille car le père hargneux et toujours maussade règne dans son domaine comme un maitre incontesté. La jeune épouse, par désespoir, se laisse aller, prend du poids, s'enlaidit et sa propre mère lui reproche cette attitude. Elle rumine à l'intérieur de sa tête sa propre libération et ne supporte plus que les enfants se sentent en danger : "Elle est comme une vache lourde, une vieille femme fatiguée, son père dirait fourbue, une vache fourbue : elle rumine et elle attend". Paralysée dans sa décision, figée dans son impuissance, apeurée par le déshonneur que représente le divorce, la jeune femme supporte son quotidien avec soumission. Mais, un jour, tout s'éclaire en elle et la délivrance surgit. La jeune femme déclare à sa mère qu'elle n'en peut plus. L'écrivaine donne ensuite la parole au mari, un homme violent, mal dans sa peau, vivant dans le souvenir d'un amour perdu au Maroc. Il a choisi avec détermination une vie dure d'éleveur de vaches et de producteur de Saint-Nectaire. Mais, rien ne peut excuser ses colères, ses éructations et son inaptitude à aimer. Dans la troisième partie du roman, Claire revient solder ce passé car la ferme est vendue et elle reconnaît l'arbre et la balançoire où elle se retrouvait avec sa fratrie. Un critique a parlé "d'archéofiction" pour qualifier ce roman autofictionnel. Un récit fort, contenu, pudique, d'une écriture tendue, un des meilleurs livres de cette écrivaine française, Marie-Hélène Lafon, une héritière de Pierre Michon, Pierre Bergounioux et surtout de son modèle, Jean Giono. Un roman d'une pudeur exceptionnelle, sans pathos, sans crise mais l'histoire de ce couple désaccordé prend une dimension universelle.