jeudi 9 juin 2022

"Journal de nage"

 Chantal Thomas vient d'écrire son dernier opus, "Journal de nage", sorti au Seuil en mai. J'ai acheté son livre dans une librairie de Rennes très sympathique, "La Nuit des Temps", en hommage à René Barjavel. J'aime musarder dans les librairies quand je pars en escapade et celle-ci proposait un fonds de littérature très intéressant. J'ai retrouvé dans ce "Journal de nage" le charme littéraire de Chantal Thomas. Comme la nage qu'elle pratique avec passion à Nice, son écriture se rapproche de cette activité physique : une prose liquide, fluide, scintillante. Pendant l'été 2021, l'écrivaine tient son journal intime et nous livre ses impressions sensuelles, ses rencontres hasardeuses, ses réflexions subtiles sur la société actuelle. Comme elle l'intitule "journal de nage" (j'avais lu neige au premier abord), j'ai pensé à son récit émouvant sur sa mère, infatigable nageuse, dans "Souvenirs de la marée basse", composé en 2017.  Elle observe ses contemporains avec malice : "La vie intérieure des gens au XXIe siècle est une conversation téléphonique sans répit. Elle serpente et s'étire à l'horizontale". Elle évoque la période du Covid quand la France vivait au rythme des chiffres sur le nombre de cas, sur les morts à l'hôpital, sur le danger de sortir de chez soi. Tout en relatant ce temps en suspension, Chantal Thomas se sent accompagnée par la littérature, en particulier par le Journal de Kafka (qu'elle donne envie de lire). Mais, sa plus grande occupation se nomme la nage : "Je suis entrée dans l'eau. Je suis entrée dans un mode d'être". Près de sa plage préférée à Nice, elle observe les passants, raconte des anecdotes souriantes et glisse aussi des remarques sur son environnement. Quand elle observe des pères avec leurs fils qui jettent des cailloux dans l'eau, elle songe à Virginia Woolf qui s'est noyée en mettant des cailloux dans les poches de son manteau. Elle nage le matin, le soir, comme une respiration harmonieuse, une réconciliation avec son corps et compare sa présence dans la mer au rêve. Ce journal fourmille de détails pittoresques, de références littéraires, de scènes cocasses. Un régal de lecture d'une légèreté bienfaisante. Chantal Thomas définit l'écriture ainsi : "L'écriture est le coup de talon qui opère la bascule de la mort à la vie. Elle est la force unique, et mystérieuse, de sauvetage. De salut". Belle définition, très belle formule sur l'acte d'écrire.