samedi 29 septembre 2018

Santorin, 3

Il est indispensable de louer une voiture pour visiter Santorin même si c'est dommage d'utiliser ce moyen de locomotion. Les jeunes touristes parcourent l'île en quad car on en croise des dizaines sur toutes les routes santorines. Les transports publics sont quasi inexistants à part quelques bus aux horaires plus qu'aléatoires. Je ne vais pas prendre mon baluchon et mon bâton pour marcher à travers les sentiers afin de me rendre d'une ville à une autre… J'ai donc visité les deux petites cités cycladiques les plus peuplées de l'île : Fira et Oia. J'avais un objectif à Fira : visiter le musée archéologique qui expose les fresques d'Akrotiri. Heureusement, je suis arrivée tôt à Fira et je me suis baladée dans les ruelles typiques, bordées de maisons et de boutiques. Je me suis vite rendue compte que ces maisons de pays s'étaient transformées en hôtels ou en locations. La vie quotidienne grecque ne se remarque plus : aucun café d'autochtones, écoles invisibles, épiceries absentes, etc. Le tourisme a effacé les traces matérielles d'une vie simple et normale. J'avais l'impression de pénétrer dans un monde factice, un grand parc reconstitué où les chapelles, les ruelles, les maisons avaient été déposées comme un jeu de lego blanc et bleu. Les images diffusées dans le monde entier de Fira et d'Oia correspondent bien aux paysages enchanteurs de Santorin. Ce décor parfait, immaculé me semblait irréel. Vers onze heures du matin, les croisiéristes de ces énormes paquebots, des monstres d'acier,  débarquent dans le village qui n'arrive plus à digérer ce flux continue, une rivière humaine qui coule dans les ruelles principales. Toutes les nationalités se croisent et Fira devient ainsi une ville-monde. Pour trouver le calme, il faut fuir les lieux commerciaux (boutiques et restaurants) et se réfugier dans les églises orthodoxes et les musées. Victime de son succès, Fira étouffe, suffoque et mutile sa propre beauté. Pour apprécier ces deux villages accrochés au sommet du volcan, il vaut mieux les observer d'une autre rive ou les visiter tôt le matin quand les fêtards et les paquebotistes dorment… Le musée de Fira expose les très belles fresques d'Akrotiri : le petit pêcheur, des femmes, des singes bleus, des motifs floraux. J'ai retrouvé mes chers vases grecs à figures noires, des idoles cycladiques énigmatiques, des statuettes votives, des sculptures, des objets domestiques, etc. Un havre de paix, de beauté et de silence bienvenu après mes visites des ruelles encombrées… En retournant dans le sud de l'île, je me suis accordée une pause dans un domaine viticole où j'ai dégusté d'excellents vins blancs accompagnés d'un plat de charcuterie. Cette étape gourmande m'a vraiment rassurée sur la sauvegarde de quelques traditions millénaires à Santorin. Malgré la présence massive des touristes qui ne restent que deux heures à Fira, j'ai eu l'impression en restant trois jours de découvrir les trésors de l'île : paysages somptueux de la caldeira,  sites archéologiques, musées, maisonnettes cycladiques, villages épargnés, chapelles, et j'ajouterai la gentillesse légendaire (et la patience) des Cycladiens…   

vendredi 28 septembre 2018

Santorin, 2

Du côté d'Akrotiri, j'ai visité les plages en bateau car pour accéder à ces espaces escarpés, il faut adopter ce mode de déplacement. Le pilote approche son petit bateau au plus près de la plage et les touristes atteignent le bord en sautant dans l'eau. J'avoue que cet exercice physique a stoppé mes élans de baignade dans ces plages au sable noir. J'ai préféré rester dans la barque et j'ai ainsi vu un des plus beaux paysages de Santorin avec des falaises blanches spectaculaires et surtout la falaise rouge (la Red Beach) qui attire pas mal de monde sur son sentier vertigineux. J'ai même assisté à une scène surréaliste d'un couple d'asiatiques, posant sur le sommet devant une photographe. Ces scènes de mariage semblent grotesques et pathétiques et je ne comprends pas ce besoin effréné de ces touristes d'Asie pour célébrer leur union. Leurs traditions me semblent tellement mystérieuses… Entre leurs selfies intempestifs et leurs frénésies matrimoniales, j'éprouvais une incompréhension que je vais peut-être dissiper en lisant un ouvrage d'anthropologie sur l'éducation qu'ils reçoivent. Imagine-t-on un couple de Français sur un morceau de la muraille de Chine ? Ce romantisme de pacotille frôle la bêtise humaine, hélas, universelle… Il faut donc supporter avec humour ces scènes que j'ai encore vues à Fira, la capitale de Santorin. Heureusement, ces mariages n'ont pas encore investi les musées… A Akrotiri, un site archéologique (à vingt mètres de l'hôtel), est doté d'un toit immense bio-climatique. Des passerelles permettent de faire le tour du site cycladique, d'influence minoenne, datant de 3500 ans. J'ai surplombé avec intérêt ces vestiges antiques. Cet espace de douze mille carrés fut découvert par l'archéologue, Spyridon Marinatos, en 1967. Ce malchanceux archéologue meurt sur le site, quatorze ans plus tard en tombant d'un mur. Maisons à deux ou trois étages, magasins avec des pithoi (des jarres), ruelles, système d'égouts (incroyable !), ateliers d'artisans, ce décor montre le caractère avancé de la civilisation cycladique. Il ne reste aucune fresque car elles sont conservées au musée de Fira. J'ai surtout compris en arpentant les passerelles le travail immense et chirurgical des archéologues qui doivent effectuer des recherches sous une couche de quarante à cinquante mètres de cendres volcaniques. Aucun corps n'a été retrouvé sur le site et on peut imaginer que la population a eu le temps de fuir l'apocalypse volcanique. Les archéologues pensent qu'ils ont fouillé seulement 3% du site…  Parcourir ce site où dix mille habitants commerçaient déjà avec la Crète et Chypre m'a vraiment permis de rajeunir de presque trois mille cinq cents ans. Pas mal, quand même… 

jeudi 27 septembre 2018

Santorin, 1

Je suis arrivée tard le soir à Santorin et je n'ai découvert le paysage qu'au matin dans une lumière éblouissante, celle de la Grèce éternelle. Je n'avais pas choisi Fira trop touristique et je voulais aussi visiter les sites antiques d'Akrotiri et de Thera au sud, loin de la foule. Car dans ces textes que je vais consacrer à Santorin, Naxos et Mykonos, je vais aborder la question de la surfréquentation des lieux trop célèbres dans le monde entier. Il faut donc adapter une méthode d'indien furtif pour se retrouver un peu moins dérangé par les effets de la mondialisation touristique. J'ai trouvé un petit hôtel familial à Akrotiri face à la mer Egée. De conception cycladique, ma chambre était dotée d'une terrasse avec vue sur la mer. Dès que j'ai ouvert la porte, j'ai respiré l'air marin et je me suis imprégnée de ce bleu profond et chatoyant, offert par le ciel et l'eau, unis à tout jamais. Très peu de chambres étaient louées à cette époque de l'année. Le silence et le calme régnaient, deux précieuses denrées rares dans les lieux fréquentés. J'ai consacré la première journée à visiter le site archéologique de l'ancienne Théra en prenant les virages vertigineux (mon frère expert conduisait la petite voiture) de la montagne Messavouno où trône cette ville antique, un champ de ruines de huit cent mètres sur cent cinquante mètres. Au IXe siècle av. J.-C., les Doriens se sont installés sur ce sommet épineux avec leur chef Théras (d'où le nom du site) pour surveiller la mer Egée et ensuite les Egyptiens s'en emparèrent. Le temps a oublié cette vigie dénudée et venteuse. Il fallait grimper ardemment le sentier qui surplombait la mer où soufflait le meltemi, un vent violent et redoutable. Au fil de la balade, j'ai aperçu une basilique paléo-chrétienne et surtout, un temenos, un rocher avec des reliefs ptolémaïques (IIIe siècle av. J.-C.) représentant un aigle, un lion et un dauphin. Il ne reste aucune statue dans l'agora, ni aucune trace de temple à part quelques colonnes dispersées sur le site. On devine l'emplacement du théâtre face à la mer, un décor grandiose comme tous les théâtres grecs. Le paysage saisissant de beauté, les ruines mystérieuses, le vent redoutable, les falaises vertigineuses, tous ces éléments captent l'attention et plongent l'esprit dans une atmosphère de fin de monde, de civilisation disparue. L'imagination galope à toute allure et j'ai cru voir des "ombres errantes" dans cet espace invraisemblable, peu connu des touristes. Après cette visite fascinante, j'ai retrouvé la vallée de Kamari et de Pyrgos pour me rendre au cap d'Akrotiri où un phare domine la falaise. A Santorin, le mythe de l'Atlantide est évoqué car après l'éruption du volcan, un raz-de-marée aurait décimé la civilisation minoenne dans les Cyclades et en Crète. La caldeira, résultat de l'explosion volcanique, offre un décor naturel grandiose et même si je connaissais Santorin, photographié des milliards de fois, rien ne vaut le regard naturel sur ces falaises où l'on admire le savoir-faire des humains quand ils accrochent leurs maisons blanches et petites sur le dos cyclopéen de Santorin. Mon escapade cycladique commençait bien...

vendredi 14 septembre 2018

Mon départ dans les Cyclades

Je reprends mes escapades après l'été car je préfère éviter les grosses chaleurs et surtout la masse des touristes partout en Europe pendant les mois de juillet et d'août. J'ai déjà expérimenté Biarritz à cette époque et il vaut mieux fuir ces périodes saturées. J'ai choisi de partir en mi-septembre pour les Cyclades jusqu'à la fin du mois. J'ai privilégié la Grèce continentale lors de précédents voyages, en particulier Athènes que j'aime vraiment beaucoup pour ses sites antiques. Je ne pouvais plus ignorer ces Cyclades plus que célèbres dans le monde entier. Les images de ces îles mythiques diffusent une iconographie paradisiaque. Il suffit de surfer sur les sites internet spécialisés dans la promotion pour tomber sur les couchers de soleil fantastiques à Santorin, les ânes esclaves et les plages noires volcaniques. Il paraîtrait que les Chinois se marient dans cet île à Fira, que les bateaux de croisière, usines à touristes, débarquent leurs clients de onze heures du matin à cinq heures de l'après-midi. Dans les blogs de voyageurs, les couples s'affichent avec des cocktails à la main derrière un décor de rêve avec une piscine bleue, une maison cycladique blanche. Au delà de ces photographies éculées et caricaturales,  je vais essayer à Santorin de visiter des lieux plus discrets comme les petits musées  et les sites archéologiques (Akrotiri et Théra), les églises byzantines, les paysages viticoles, les champs d'oliviers et surtout la mer. Je reste trois jours à Santorin, puis je me rends en ferry à Naxos, la plus grande île des Cyclades pour découvrir la richesse de son histoire. Il semblerait que Naxos n'attire pas les touristes alors qu'elle offre des paysages verdoyants et des plages magnifiques. Je dois aller à la recherche d'un Kouros dans une carrière qui dort depuis deux mille cinq cent ans… Verrai-je ce trésor ? Je repars ensuite à Mykonos avec le ferry, dernière étape de mon périple et j'ai remarqué aussi sur les guides et sur internet les clichés associés à ce lieu : les moulins, les fêtes nocturnes, la jet set homo, les boutiques de luxe, etc. Mais, j'ai une seule raison pour visiter Mykonos : la visite de Délos, une petite île sacrée, un sanctuaire archéologique que je rêve d'arpenter depuis des années. L'île n'est pas habitée et on prend un bateau pour la rejoindre. J'emporte dans ma valise les guides et surtout deux livres : une biographie d'Homère, écrite par Pierre Judet de la Combe et "Zorba le grec" de Kazantzaki, pour savourer la culture grecque de l'Antiquité aux années 60... Je sais bien que ces deux immenses écrivains ont chanté une Grèce mythique, mais c'est tellement réjouissant ! Je reprendrai mon blog dès le 27 septembre… 

jeudi 13 septembre 2018

"Bibliothèques idéales"

J'aime bien farfouiller dans ma bibliothèque des livres que je n'ai pas ouverts depuis longtemps. Je conserve des spécimens originaux sur le thème de la littérature. Parfois, je ne me souviens plus où j'ai acheté l'ouvrage en question. Je regrette aujourd'hui mon manque d'imagination car à chaque livre acheté et conservé chez moi, j'aurais dû noter la date d'acquisition et surtout le nom de la librairie. Ainsi, en ouvrant la première page, je retrouverais les traces de mes lectures au fil des années et des nombreuses librairies que j'ai fréquentées.  Comme je vis à Chambéry depuis quinze ans, la plupart de mes achats se fait dans les librairies de la ville. Récemment, j'ai ouvert "Bibliothèques idéales", publié en 2002 chez un éditeur de province, Le Temps qu'il fait". Comment et où ai-je trouvé ce livre ? Aucune idée. Il était dans ma bibliothèque en sommeil et je l'ai réveillé pour mon plus grand plaisir. Ce livre a été édité à l'occasion du dixième anniversaire d'une manifestation littéraire, Lettres sur cour, organisées depuis 1992 dans le cadre du Festival de Jazz de Vienne. Tous les écrivains invités ont décliné leur liste de livres marquants, de livres essentiels, leurs livres fondateurs, en un mot magique, leur bibliothèque idéale. Cet exercice surgit souvent avant ou pendant l'été et j'avais lu dans Télérama les romans préférés de quelques écrivains contemporains. Ces "indications de lectures" comme le dit le préfacier, Georges Monti, proviennent d'auteurs qui ne sont pas des savants professeurs de littérature. Il décompte neuf citations pour Melville, huit fois Rimbaud, six fois Homère. J'ai remarqué les préférences de quelques écrivains (une trentaine) et je ne peux pas tous les citer. Mais, j'ai retrouvé Pierre Michon, Jacques Lacarrière, Charles Juliet, Régine Detambel, Gérard Macé, etc. Ces choix reflètent l'amour des écrivains pour leurs aînés dont ils sont les héritiers. En parcourant ces listes, je me suis mise à la place des invités et j'ai commencé à établir mes préférences. J'ai demandé à mes amies lectrices de dévoiler ainsi leurs dix livres préférés depuis qu'elles aiment s'adonner au bonheur de lire. Je leur donne rendez-vous le mardi 9 octobre pour la première rencontre de l'atelier Lectures. En attendant ce jour, je peux dévoiler un pan de la mienne : dans mon Panthéon de la littérature, j'ai choisi dix romans et poèmes de ces écrivains et poètes sans donner le titre : Marguerite Yourcenar, Pascal Quignard, Marcel Proust, Virginia Woolf, Homère, Milan Kundera, Annie Ernaux, René Char, Gerard de Nerval et Albert Camus, évidemment ! Quand je pense que ma vraie liste se compose d'une cinquantaine d'écrivains et de poètes… Je me sens frustrée ! 

mercredi 12 septembre 2018

"Souvenirs pieux"

Cet été, j'ai donc relu un de mes écrivains fétiches : je veux parler de Marguerite Yourcenar dont je possède toute l'œuvre dans la Pléiade. Ces Œuvres complètes, publiées chez Gallimard en 1982, m'accompagnent depuis cette année-là et je les ouvre fréquemment pour lire des textes courts, des nouvelles, des extraits, des essais… J'avais relu les "Mémoires d'Hadrien" que j'aime vraiment beaucoup car ce roman touche ma fibre "antique". Et cette relecture s'avérait encore plus somptueuse que la première. Je sais que cet hiver, je vais pénétrer pour la deuxième fois dans les pages de "L'Œuvre au noir" en me plongeant dans la fascinante période historique de la Renaissance. J'ai préféré relire pendant mon été livresque, les mémoires autobiographiques en trois volumes qui portent le beau titre du "Labyrinthe du monde". J'ai commencé par "Souvenirs pieux", publiés en 1974. L'écrivaine explore le côté maternel de sa famille. Sa mère meurt peu après la naissance de Marguerite le 8 juin 1903 et l'auteur décrit l'accouchement comme si elle se souvenait de cet évènement fondateur de son être. Elle évoque ensuite le mariage de ses parents et imagine la grossesse de sa mère. Toujours à la recherche d'une authenticité historique, elle part à la recherche de la tombe de sa mère, mais "sa tombe ne l'attendrissait plus autant que celle d'une inconnue".  L'écrivaine avouera que l'absence de sa mère ne l'a jamais traumatisée… Elle remonte très loin dans sa généalogie vers le XIVe siècle où ses ancêtres occupaient des fonctions politiques à Liège. Une partie importante de l'ouvrage est consacrée à deux oncles maternels : Octave et Fernand. L'un est un écrivain estimé à son époque et l'autre s'est suicidé. Marguerite Yourcenar éprouve une compassion infinie pour cet oncle trop tôt disparu et une admiration, teintée d'irritation, pour l'oncle écrivain un peu raté. Elle revient sur l'enfance de sa mère à la fin du livre, sa rencontre avec son père et leurs voyages en Allemagne. L'écrivaine se transforme en archéologue extraodinaire de ses origines familiales. Ses fouilles expertes traquent les lettres nombreuses de ses ancêtres, les témoignages oraux, les photographies et les "souvenirs pieux". Sources familiales, sources historiques, l'écrivaine exploite à merveille le passé de ses proches parentaux et de ses proches lointains en cultivant l'exigence, la rigueur et l'honnêteté. Au fond, Marguerite Yourcenar interroge avec son génie littéraire "l'épaisseur des temps" pour comprendre sa propre existence. Héritière de ces générations singulières, elle se demande si elle partage avec ses ancêtres, des miettes d'identité commune et ce vertige existentiel rejoint le champ de la littérature philosophique, loin de la généalogie notariale. Ces mémoires autobiographiques m'ont de nouveau charmée, captivée et cette deuxième lecture m'a bien confirmée que les grands livres, nos classiques, échappent à la médiocrité éditoriale d'aujourd'hui. "Souvenirs pieux", premier tome du Labyrinthe du monde, une œuvre majeure du XXe siècle, un regard essentiel sur l'Histoire, la grande et la petite… 

mardi 11 septembre 2018

Eloge des marque-pages

J'ai arrêté depuis longtemps de collectionner des objets divers. J'avais commencé dans les années 90 une collection d'encriers anciens, sympathiques et symboliques outils d'écriture à la plume. J'en ai conservé quelques uns, les plus beaux, que j'ai déposés sur les rayonnages de ma bibliothèque. J'ai compris que ce style d'objets allait prendre trop de place dans ma petite maison. Déjà, les livres prennent leurs aises chez moi et je leur donne une priorité absolue. J'ai donc commencé à m'intéresser à un compagnon utile des livres : le marque-page. Cet objet possède à mes yeux un nombre indéniable de qualités : sa légèreté (sauf s'il est en plomb), sa dimension (il ne dépasse pas quinze à vingt centimètres), sa texture agréable (papier ou autres), son utilité (pour marquer la lecture), ses citations, son élégance, sa discrétion. Depuis que je lis, j'ai toujours utilisé un marque-page car il ne faut pas blesser un livre en lui cornant les feuilles. J'en possède donc une bonne centaine rangée dans un tiroir selon leur typologie. Le matériau le plus courant utilisé est le papier cartonné, solide et indéchirable. Mais, il m'est arrivé d'acquérir dans mes escapades des supports originaux : métal, cuir, tissu, magnet et même en bois. Une amie m'a récemment offert un marque-page en bois, fabriqué en France, sur lequel sont gravés des mots relevant de la lecture : poème, rêver, lire, découvrir, roman, etc. Ma mère, connaissant ma passion des livres m'avait offert deux marque-pages brodés de sa main. Je les conserve précieusement comme si elle me tenait toujours compagnie. J'ai aussi un marque-page en cuir qui a voyagé d'Oxford à Chambéry après un séjour linguistique de mon fils quand il avait quatorze ans. En fait, ces objets ne sont pas seulement des marque-pages, mais, à mes yeux, je pourrais les nommer des marque-mémoires, des marques du passé, des marques de mes émotions, des petits cailloux en papier d'un parcours au milieu des livres. Dès que je visite un musée, je repars avec des marque-pages sur des tableaux ou des sculptures. J'ai ainsi une collection d'art et quel plaisir d'en utiliser un avec Caravage, Brueghel, Morandi, etc. A Lisbonne, j'ai trouvé le portrait de Pessoa. A Athènes, j'ai acheté une série des philosophes grecs avec des citations. Je débusque ces petits trésors modestes dans mes escapades et je les glisse dans ma valise sans aucun souci… Je change ces bouts de papier dans mon livre du moment selon mon humeur du jour. Au fait, j'ai encore de la place dans la maison pour les collectionner et heureusement, car je ne vais jamais me passer de ce plaisir simple et peu couteux : former un bataillon de marque-pages pour mes lectures d'aujourd'hui et de demain et aussi en offrir à tout mon entourage ! 

lundi 10 septembre 2018

"A son image"

Jérôme Ferrari, lauréat du prix Goncourt en 2012, pour "Le sermon sur la chute de Rome", vient de publier chez Actes Sud, "A son image". Ce roman a déjà obtenu le prix du journal Le Monde à la rentrée. L'écrivain raconte dans son dernier opus la vie fulgurante d'une photographe, Antonia. La jeune femme trentenaire décède dans un accident de voiture à Calvi et dès les premières pages, son oncle, le prêtre du village, célèbre l'office de la défunte. Il lui avait offert un appareil photo quand elle avait quatorze ans car elle se passionnait pour les photos de famille. Pendant la messe, cet oncle, submergé par la douleur, reconstitue le destin d'Antonia. Dans les années 80, elle est tombée follement amoureuse d'un nationaliste corse, un certain Pascal B., un homme violent et incontrôlable. Elle se fait engager dans un journal local pour couvrir les faits locaux : mariages, fêtes, événements sportifs. La qualité de ses photos magnifie ce petit monde qui représente "la petite histoire". Antonia veut partir sur un terrain de guerre et elle réussit à quitter la Corse pour "croiser la grande Histoire". Elle a choisi de rejoindre la Yougoslavie en pleine guerre civile en 1991 où elle rencontre un légionnaire, Dragan. Sa découverte des horreurs de la guerre la sidère et quand elle revient dans son pays, elle n'expose pas les photos des cadavres qu'elle a vus sur son chemin. Elle refuse de représenter la mort et la jubilation des meurtriers de tous bords. Parallèlement, Antonia vit aussi dans son pays l'outrance pitoyable des guerres intestines des clans nationalistes. L'écrivain qui semble très bien connaître la mouvance corse décrit ce microcosme en dénonçant sa violence et son aspect carnavalesque lors des conférences clandestines, des règlements de compte et des scissions permanentes. Antonia finit par rompre avec son militant quand celui-ci part en prison. La jeune femme se retrouve dans une impasse, marginalisée par sa décision d'avoir trahi son "soldat". En brossant le portrait de cette jeune femme prise au piège d'un milieu asphyxiant, Jérôme Ferrari évoque l'échec d'une vie, l'impossibilité de rendre compte du réel par la photographie. L'oncle d'Antonia, le prêtre du village, ressemble au curé de campagne de Bernanos avec sa profonde humanité, son empathie et ses doutes existentiels. Jérôme Ferrari, professeur de philosophie, propose aussi dans ces pages une réflexion inédite sur le rôle de l'image, de la photographie dans nos sociétés. Un très bon roman sur la tragédie et aussi une certaine comédie humaine. 

dimanche 9 septembre 2018

"Un monde à portée de main"

J'attendais avec impatience le nouveau roman de Maylis de Kerangal, "Un monde à portée de main" et je l'ai acheté dès sa sortie en librairie en fin août. Les critiques soulignent déjà une légère déception de la part de ses "fans" car son livre précèdent, "Réparer les vivants" traitait d'un sujet hautement sensible, la transplantation cardiaque, qui touchait la vie et la mort des personnages. Dans "Un mode à portée de main", l'écrivaine poursuit sa méthode d'écriture : décrire au scalpel une réalité dans le monde de l'art, de la copie, du trompe l'œil. J'ai retrouvé son style puissant, des personnages complexes, le milieu fascinant de l'art. La première phrase donne le rythme, le tempo du texte : dix huit lignes pour décrire Paula Karst, sa fougue, sa jeunesse, sa détermination. Paula a enfin trouvé sa voie : elle s'est inscrite dans une école d'art où elle va apprendre les techniques picturales de la copie, de la fresque, de la décoration intérieure. Pourtant, Paula, "cette fille moyenne, protégée, routinière, et assez glandeuse", se prend de passion pour découvrir l'apprentissage des couleurs, des techniques du dessin, des outils, Une plongée dans une planète du fac-similé, de la copie et pour reproduire le réel, il faut une panoplie technique inouïe… Paula se lie d'amitié avec Kate et Jonas, deux étudiants de l'école avec lesquels elle partage une colocation. Cette aventure artistique se conjugue donc à trois, et ce lien infaillible va aider Paula à surmonter cette initiation épuisante. Son corps constamment en mouvement est soumis à une rude épreuve dans les exercices que leur professeur, la grande initiatrice exigeante, leur impose. La question du temps semble un des sujets majeurs du roman. Quand elle évoque, avec une minutie de miniaturiste, le dessin du marbre, des écorces d'arbre, des roches, Maylis de Kerangal élabore la théorie de "la sédimentation mémorielle", une vision d'une identité qui se construit par couches successives produites par l'expérience, les souvenirs, les lectures. Avant de peindre (ou d'écrire), Paula observe les matières, étudie les lieux, lit des ouvrages documentaires. Comme si l'écrivaine devenait Paula en révélant que le travail en amont transcende la réalité et stimule l'imagination. Dans un article du Monde, Maylis de Kerangal se confie : "la documentation émancipe la fiction, nourrit l'imaginaire". Paula part à Rome pour réaliser des décors de cinéma, chez des particuliers et à Lascaux pour créer le fac-similé de la grotte. Paula s'est enfin réalisée, devenue une artiste complète. Ce roman d'éducation, d'initiation montre l'infinie patience qu'il faut pour atteindre une forme de sérénité et d'accomplissement. L'écrivaine renouvelle dans "Un monde à portée de main" son art inimitable de raconter une histoire magnifique, interprétée par des personnages émouvants et jouée sur un air endiablé… Et surtout un des plus beaux styles de la littérature contemporaine.

samedi 8 septembre 2018

"La sauvagerie maternelle"

Anne Dufourmantelle, psychanalyste et écrivain, nous a quittés l'été dernier après avoir sauvé deux enfants qui se noyaient sur la plage de Ramatuelle. Elle a succombé à une crise cardiaque après tous les efforts fournis lors du sauvetage des enfants. J'ai lu récemment son ouvrage, "La sauvagerie maternelle", publié chez Payot. J'ai retrouvé dans ce livre le monde feutré et doux de la psychanalyste qui évoque les histoires de ses patients anonymes et prend des exemples fictifs tirés de la littérature. Elle s'interroge sur le maternel : une mère est-elle sauvage par moments ? Tout le temps, répond Anne Dufourmantelle. La toute puissance maternelle s'exerce sur leurs enfants en imprimant leurs marques sur leur psychisme : "La sauvagerie (…) est un territoire de rituels, de traces, d'emblèmes, de frontières, de pulsions chaotiques et violentes, submergé par d'étranges raz-de-marée auxquels les rives de notre identité furent de tous temps exposés". Elle évacue tout de suite la notion de monstre en précisant bien que le lien unique, mère-enfant, s'apparente à une "forme de folie". Pour illustrer son concept, la psychanalyste raconte des vies, celles de ses patients. Sa méthode d'analyste se dévoile dans ces portraits : les mots, les rêves, les silences, les attitudes forment un terreau sur lequel elle va déterrer des secrets de famille, des non-dits, des oublis. Elle écrit : "Laissez le temps à l'inconscient de revenir à la surface, c'est comme l'enroulement des vagues, un jour ou l'autre, si vous ne brusquez rien, elles remontent avec le secret et déposent sur la plage". La psychanalyste explore des mères sauvages dans la littérature comme Anna Karénine et le personnage de la mère dans le roman de Marguerite Duras, "Un barrage contre le Pacifique". Comment se défaire d'un lien aussi unique ? Comment se libérer de l'emprise ? Naître une deuxième fois après avoir brisé le serment secret de la mère qui souffle à son enfant : "Reste avec moi, ne m'abandonne pas". Anne Dufourmantelle n'hésite pas à se confier : "Etre psychanalyste, c'est écouter la musique blanche des vies désertées, de la joie empêchée, de la peur d'aimer, de l'attente, du refus de pleurer". L'ouvrage se lit assez facilement mais, il vaut mieux connaître le vocabulaire de la psychanalyse qu'elle intègre naturellement dans son texte. Son art de l'écriture facilite la rencontre avec son lecteur(trice). Anne Dufourmantelle marchait sur les traces de J.B. Pontalis, au service de la littérature et de la psychanalyse mêlées … 

vendredi 7 septembre 2018

"Civilisation"

Régis Debray analyse l'hégémonie américaine dans cet essai, "Civilisation ou comment nous sommes devenus américains", publié récemment dans la collection Folio. Dès que j'ai ouvert le livre de cet écrivain et médiologue, j'avais envie de le lire d'une seule traite, ce qui est particulièrement rare pour un essai. Il faut souvent du temps, de la patience et une lenteur de lecture pour s'aventurer sur le terrain des sciences humaines. Régis Debray appartient à la catégorie des écrivains qui aiment profondément les mots, le style, la langue française. La grande thèse du livre repose sur un constat : notre vieille Europe sur le déclin est devenue une province des Etats-Unis. L'auteur traque les influences américaines dans notre culture nationale où les anglicismes pullulent, où les traditions changent comme Halloween à la Toussaint, où Disneyland attire toujours autant de touristes européens. Pour illustrer avec humour la perte de notre identité, il se met en scène en Hibernatus, cryogénisé dans les années 60 et raconte son retour à Paris :  il déambule dans le quartier latin et tombe sur les coffees, les Mac Do. Les librairies disparaissent, surtout celle des Presses Universitaires de France, remplacée par Nike… Et horreur, le hamburger dépasse le jambon-beurre ! Comme Régis Debray manie l'humour avec un talent fou, sa nostalgie d'un monde disparu se teinte d'une ironie lucide. Archéologue du présent, il décrit une société française américanisée surtout à Paris. Il montre que la civilisation européenne a changé dans son paradigme symbolique. Il dénonce le tout économique, l'homo oeconomicus, car il préfère le politique, l'homo politicus. Peut-on accuser Régis Debray d'antiaméricanisme ? Non, car il admire trop la littérature dont Faulkner,  le cinéma et la culture américaines. Il analyse aussi les notions de civilisation et de culture en proposant ses définitions : "Une culture est célibataire, une civilisation fait des petits". Il dialogue avec ses maîtres, Fernand Braudel et Toynbee, et rassure les lecteurs(trices) en évoquant l'islamisme radical qui ne peut pas se définir comme une civilisation… Régis Debray ne se décourage pas quand il écrit : "Qui a dit que sortir de l'histoire oblige à broyer du noir ?". Il faut donc imaginer Régis-Sisyphe comme un homme heureux… 

jeudi 6 septembre 2018

"Les Portes de fer"

J'ai déjà écrit un billet sur le roman de Jens Christian Grondahl, "Les Portes de fer" en 2016. Mais, je me remets à relire depuis cet été. La relecture possède des avantages certains : revitaliser sa mémoire, renouer avec le plaisir de redécouvrir un roman que l'on a un peu oublié, se rendre compte que le temps a passé, se replonger dans un beau souvenir de lecture. J'ai relu ce livre car une amie m'en a parlé cet été et coïncidence heureuse, je l'avais choisi pour une sélection bibliographique concernant la littérature nordique que je proposerai aux lectrices de l'atelier Lectures, Comme j'ai visité Copenhague en juin dernier, j'ai retrouvé dans le roman l'ambiance de cette ville magnifique. L'écrivain danois brosse le portrait d'un homme dans sa jeunesse et dans sa maturité jusqu'à sa retraite. Trois moments de sa vie décryptés et analysés avec une basse continue mélancolique. Ses jeunes années sont marquées par sa découverte de l'amour avec Erika, une jeune allemande, de la littérature grâce à une femme professeur et de son engagement politique. Il est trahi par cette jeune fille qui lui préfère un homme plus âgé. Il aborde ses années d'adulte devenu professeur en se mariant, puis devient père, divorce ensuite. Encore une rupture inévitable. Le personnage narrateur retrouve sa solitude qui, au fond, lui convient davantage : "J'étais libre de faire selon mon bon vouloir. (…) Cela me réjouissait de prêter attention à la réalité particulière de chaque jour, et j'avais compris que l'on s'en rend compte encore mieux quand on est seul". Il rencontre une nouvelle compagne sans vivre avec elle car il ne veut pas renouer avec la vie familiale. Il accueille un adolescent chez lui, un élève de sa classe, et tombe amoureux de la mère de celui-ci. Mais cette histoire n'aboutit pas. Voilà notre narrateur à Rome, le jour de ses soixante ans et il rencontre une jeune fille étrange, artiste photographe. Leurs affinités culturelles les rapprochent mais le gouffre de l'âge les éloigne l'un de l'autre… Le roman se termine ainsi sur le constat de la solitude intrinsèque de tout homme (ou femme). Il existe pourtant une grande consolation pour l'écrivain : "Nous formons une sorte de société parallèle, nous les rats de bibliothèque, les passionnés de Brahms, nous fonctionnons mieux en tête à tête et nous sommes mal à l'aise dans les grandes fêtes". Quel beau roman sur la vie, sur l'amour, sur la solitude, sur la désillusion, mais aussi sur la lucidité heureuse…  

mercredi 5 septembre 2018

La rentrée littéraire

La rentrée de septembre ne prend pas pour moi les chemins de l'école bien que je sois concernée indirectement dans ma famille où mon petit-fils a franchi les portes de son école maternelle à Besançon tel un vaillant petit soldat sans verser une seule larme. Je me disais qu'il entre dans un cycle de vingt ans minimum, voire plus s'il poursuit de longues études. Quelle aventure pour ce petit homme qui va tout apprendre, surtout mon cher alphabet et grâce à cet outil symbolique, il découvrira le bonheur de la lecture. Il a encore le temps de vivre dans le monde merveilleux des livres et en attendant, ces compagnons de papier l'accompagnent dans son quotidien. Cette sortie de l'été caniculaire signifie pour moi le retour de la rentrée littéraire, un rite de l'automne qui m'intéresse toujours autant. Ce phénomène très français intrigue souvent la presse internationale, mais sans cette tradition, notre pays perdrait sa réputation de patrie des lettres même si l'influence de ce rite s'atténue un peu au fil du temps. En septembre, les revues littéraires proposent leur propre sélection qui ne laisse pas trop la place à de grandes surprises. La revue Lire met donc à l'honneur Jérôme Ferrari, "A son image", Maylis de Kerangal, "Un monde à portée de main", Serge Joncour, "Chien-Loup", pour en citer quelques uns. Pour les romans étrangers, les critiques évoquent Zadie Smith, Javier Cercas, Carole Fives, Stefansson, etc. Le Nouveau Magazine littéraire se penche aussi sur les nouveautés avec plus d'éclectisme et plus de choix dans la production éditoriale. Un dossier m'a vraiment fait plaisir car il concerne Philippe Lançon, l'écrivain de l'année selon la rédaction. Son livre, "Le Lambeau" s'est vendu à plus de cent mille exemplaires, un record de vente pour un ouvrage retraçant la tragédie de l'attentat de Charlie Hebdo et la reconstruction de l'auteur, gravement blessé. J'ai aussi trouvé dans une maison de la presse l'excellent hors série de l'hebdo "Le Un" sur les coups de cœur des libraires (très surprenants), des articles sur les bibliothèques d'écrivains dont celle de Charles Juliet. La rentrée littéraire s'annonce sous de bonnes augures. Les listes des prix littéraires vont bientôt apparaître et le goulot d'étranglement va se préciser pour ne retenir que les valeurs sûres. Les revues littéraires permettent de choisir nos futures lectures et j'aime aussi flâner dans les librairies de Chambéry pour feuilleter les nouveautés et lire les premières phrases qui me donnent envie de poursuivre ou d'arrêter… Une rentrée littéraire prometteuse.

mardi 4 septembre 2018

Patrick Boucheron

Patrick Boucheron commence à être connu du grand public. Cet historien remarquable a été élu au Collège de France en 2015 pour une chaire intitulée "Histoire des pouvoirs en Europe occidentale du XIIIe au XVIe siècle". J'ai remarqué cet historien sur Arte à l'occasion de la diffusion d'une série d'émissions intitulée, "Quand l'Histoire fait date". Je me souviens de Pompéi, d'Alexandre le Grand, d'Hiroshima, de Nelson Mandela. Patrick Boucheron nous fait vraiment aimer l'Histoire tout en conservant la rigueur scientifique nécessaire sans la vulgariser. Il intervient sur France Culture, dirige la revue "L'histoire", Cet été, j'ai lu sa passionnante biographie intellectuelle, "Faire Profession d'Historien", publiée dans la collection Points Poche. Il évoque son parcours d'étudiant, sa vie de professeur à la Sorbonne, son champ d'études sur les cités italiennes au Moyen Age. Il communique à ses lecteurs sa passion pour l'Histoire et renoue avec la tradition française littéraire des Georges Duby, Fernand Braudel, Emmanuel Le Roy-Ladurie. Ensuite, j'ai emprunté "l'entretemps", un essai ambitieux mêlant littérature et histoire à partir du célèbre tableau de Giorgione, "La tempête". J'aime bien explorer une œuvre et j'ai poursuivi mes découvertes avec un ouvrage de circonstance, "Prendre dates" sur l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015. Ce livre écrit à deux plumes dont celle de Mathieu Riboulet prend acte de ce fait divers tragique, une première étape d'une guerre civile souterraine qui a sidéré le pays et peut-être aussi réveillé le sentiment d'appartenance à notre civilisation occidentale menacée. J'ai terminé ce matin un petit opuscule, "Comment se révolter" signé de l'historien aux éditions Bayard. Ce livre s'adresse aux enfants (évolués, quand même) et Patrick Boucheron évoque l'idée de la révolte, parle de Robin des Bois et d'Ivanhoé, des jacqueries pendant le Moyen Age. J'ai retenu ces deux citations : "ce travail patient de l'historien qui se penche vers les mots du passé, espérant y entendre le bruit frêle, ténu, fragile et intermittent d'un murmure ancien" et "Ne pas se laisser faire, ne pas se laisser gouverner, inventer sa propre vie, opposer de manière tenace et libre son mode d'existence". Patrick Boucheron a dirigé une "Histoire mondiale de la France", ouvrage salué par la presse et aussi critiqué à sa sortie pour une vision excentrée de notre passé national. Un historien à découvrir… 

lundi 3 septembre 2018

"Les Ombres errantes"

Dans mon programme de lectures estivales, j'ai retrouvé la voix inimitable de Pascal Quignard. Je lis ce drôle d'écrivain depuis des années, peut-être à partir des années 80... Trente huit ans de fidélité, de complicité et d'amitié avec "Pascal", si j'ose me permettre d'employer son beau prénom, d'influence philosophique. Car les écrivains que l'on aime forment une communauté amicale indispensable pour vivre en bonne intelligence. Sans la littérature, sans la musique (classique), sans l'art, il me semble que la vie serait plus banale et trop ennuyeuse. Pascal Quignard m'intrigue toujours autant et j'aime frotter ma pensée à son univers mental qui m'attire particulièrement. J'ai donc relu le premier tome de la suite, "Dernier Royaume", "Les Ombres errantes", publié en 2002. Prix Goncourt à la surprise de tous les critiques, cet ouvrage s'est vendu à quelques milliers d'exemplaires, l'un des Goncourt les moins "rentables"... On ne résume pas une œuvre de Pascal Quignard. Ecrivain du bref : chapitres courts et ramassés, bouts de prose qui jouent à saute-mouton, phrases teintées de philosophie, anecdotes historiques, utilisation des contes et légendes, pensées profondes et originales, moments intenses d'érudition sur le monde antique, références littéraires, éléments autobiographiques dévoilés, poèmes en prose… L'aventure littéraire du "Dernier Royaume" semble unique et originale et il ne faut pas craindre cette opportunité rare. On entre dans ce royaume de fragments avec les yeux ouverts, les oreilles attentives, le toucher sensoriel d'une prose française, héritée d'une longue tradition classique. Je lis un ouvrage de cet écrivain avec un crayon à la main. Je souligne souvent des passages et j'en livre quelques uns pour goûter le style et la pensée de cet écrivain fabuleux  : "Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas une attente. Lire, c'est errer. La lecture est l'errance". Plus loin, il cite un personnage réel ou inventé qui déclare : "J'ai cherché dans tout l'univers le repos et je ne l'ai trouvé nulle part ailleurs que dans un coin avec un livre". Et encore, "Poissons qui montent à la surface. Une goulée pour ne pas mourir. Goulée : lecture". Je pourrai citer tout le livre, il vaut mieux se saisir de l'ouvrage et se lancer sur les traces de l'univers quignardien… Le dixième tome du "Dernier Royaume" parait le 12 septembre et j'ai hâte de l'acheter en librairie pour le découvrir…