lundi 12 février 2018

"En terrain miné"

Alain Finkielkraut et Elisabeth de Fontenay, amis depuis quarante ans, se sont retrouvés dans une aventure intellectuelle de haute volée en s'échangeant des lettres qui forment l'ouvrage, "En terrain miné". Quand on s'intéresse aux sciences humaines et en particulier à la philosophie, la personnalité contestée d'Alain Finkielkraut ne laisse personne indifférent. J'avoue, avec une sincérité audacieuse, apprécier son immense nostalgie de la "culture française" dans son exceptionnelle richesse et il ose même évoquer la notion de "civilisation française", un concept horrifique pour les tenants du multiculturalisme triomphant. Je comprends la nostalgie malheureuse du philosophe face à la perte des repères, des valeurs universelles républicaines, même si son pessimisme fondamental le condamne moralement face aux optimistes "enthousiasmants", tous ceux qui ne craignent ni l'avenir complexe, ni les changements profonds. Ses contradicteurs (et ils sont très nombreux) le taxe de "conservateur", d'homme dépassé par la modernité, par les nouvelles technologies, adulées par les idolâtres des smartphones dernier cri et de l'internet omniscient. La nouvelle planète des bienheureux de la mondialisation connectée ronge Alain Finkielkraut qui se retrouve isolé dans sa nostalgie des temps anciens. Elisabeth de Fontenay, son amie, lui demande d'expliciter ses plaintes dans cet échange épistolaire. Les thèmes abordés divisent les deux philosophes : les ambiguïtés du progrès, l'identité, le féminisme, la transmission des valeurs civilisationnelles, l'antisémitisme. Leur conversation prend des tournures parfois vives quand Elizabeth de Fontenay reproche à son ami ses positions "droitières", son amitié sulfureuse avec Renaud Camus, son pessimisme inconsolable. Cet ouvrage de confrontation intellectuelle redéfinit et précise les "écarts" philosophiques d'Alain Finkielkraut. Il défend avec conviction ses idées et ne renie en rien ses positions philosophiques dérangeantes. Ce livre se lit avec intérêt et plaisir si on aime les débats intellectuels, l'histoire des idées, les positions irréconciliables. Ces échanges de très grande qualité nous montrent la culture érudite des deux amis philosophes. Un régal pour l'esprit "français" très XVIIIe et une ode à l'amitié complice qui perdure même si des égratignures lézardent un peu leur relation...