lundi 17 janvier 2022

"Les forêts de Ravel"

 J'éprouve une grande admiration pour Maurice Ravel, notre monument national de la musique du XXe. Je pense même que la jeunesse d'aujourd'hui pourrait écouter avec intérêt les compositions colorées, rythmées, éclatées comme le lancinant "Boléro", la Pavane magnifique, les concertos vivifiants pour piano. J'ai suivi les conseils d'Alain Finkielkraut dans son émission Répliques. Il avait invité un écrivain que je ne n'avais jamais lu. Il s'agit de Michel Bernard, peu connu du public mais son dialogue avec notre philosophe m'a convaincue de le découvrir. J'ai acquis "Les forêts de Ravel" aux éditions de La Table Ronde dans la collection La Petite Vermillon. Ravel se désespérait de ne pas servir la France pendant la guerre de 14-18. Au printemps 1916, l'armée répond à sa demande malgré ses quarante-et-un an et l'envoie chez les artilleurs où il sera conducteur d'ambulance, rapatriant les blessés du front pour les hôpitaux de Bar-le-Duc : "Il partit un matin d'avril 1916, au volant de sa camionnette, le casque sur la tête et le masque à gaz à portée de main, sur la route nationale de Bar-le-Duc et Verdun". Il s'adapte avec courage à cette nouvelle vie où il croise des hommes broyés par la guerre. Il n'économise pas ses efforts et se fait un devoir d'accomplir ses missions malgré les nombreuses péripéties comme les pannes de camions, les routes saturées, les problèmes d'intendance. Il remarque la "musique du front", "la profonde pulsation de la canonnade". Dans sa vie de musicien, il vient de terminer son "Trio" et se sentait en panne d'inspiration. Les soldats découvrent un jour la véritable identité de leur compagnon quand celui-ci se remet à jouer Chopin dans une salle de l'hôpital où il vient de conduire l'ambulance. Il sera envoyé au Nord Ouest de Verdun dans une forêt où il partage tout avec tous ces soldats du feu. Peu à peu, le désir de composer lui revient quand il écoute les chants d'oiseau dans cette forêt enchantée : "Elle était l'enfance et le refuge, la mère des contes et des songes. Elle était comme l'océan, elle était l'océan sur terre". Il lit Nerval et Alain-Fournier qui l'inspirent dans sa musique.  Epuisé par la vie militaire, il se laisse réformer quand il apprend la mort de sa mère. Cette guerre a décuplé son énergie créatrice avec la composition du "Tombeau de Couperin" et de la "Suite française". Ce beau roman sur un de nos musiciens emblématiques se lit avec plaisir en remarquant le style élégant de l'auteur, la présence de la musique, la personnalité intègre de Ravel, son courage et son "patriotisme", si démodé aujourd'hui. En lisant cet ouvrage, j'ai songé à mon grand-père, sous-officier, présent à Verdun qui a peut-être croisé son compatriote basque sans savoir que ce camarade ambulancier se nommait Ravel... Après avoir lu "Les Forêts de Ravel", j'ai écouté sa "Rhapsodie espagnole". Quand la littérature et la musique se rejoignent dans les mots, les notes ne sont pas loin...