lundi 12 avril 2021

"Sandor Ferenczi, l'enfant terrible de la psychanalyse"

 Benoît Peeters, essayiste, biographe et scénariste, a consacré un bel ouvrage à Sandor Ferenczi (1873-1933), le meilleur ami et fils spirituel de Sigmund Freud. L'auteur déclare que son livre "n'est ni un traité savant, ni une véritable biographie. C'est l'histoire d'une amitié peut-être impossible et d'un amour qui ne le fut pas moins". Même s'il n'est pas psychanalyste, Benoît Peeters se saisit du destin des deux hommes les plus marquants de cette science médicale révolutionnaire, née au début du XXe siècle. Le jeune Hongrois et le Professeur (comme l'appelait Sandor Ferenczi) s'échangeront un millier de lettres car l'un vivait à Budapest et l'autre à Vienne. Leurs destins se sont longtemps mêlés et ils seront à l'origine de l'Association internationale de psychanalyse. Sandor éprouve pour Freud une admiration-fascination et considère le Professeur comme son mentor. Il le suivra dans de nombreux voyages et deviendra son plus proche collaborateur. Benoît Peeters évoque l'imbroglio sentimental entre Sandor, sa maîtresse Gizella et Elma, la fille de cette dernière. La confusion amoureuse, digne de Marivaux que vit Sandor, prend une tonalité intimiste dans la biographie. Ferenczi prend les deux femmes en analyse mais même amoureux d'Elma, il se marie avec Gizella, plus âgée que lui. La correspondance entre les deux hommes évoque ce drame familial. Le jeune psychanalyste demandera à Freud de nombreux conseils pour régler son dilemme amoureux.  Sur le plan théorique, la réputation de Ferenczi repose sur la découverte d'un traumatisme infantile, négligé à l'époque.  Il avait remarqué dans ses analyses les violences sexuelles au sein de la famille et lui-même a subi un viol dans son enfance : "Le pire, c'est vraiment le désaveu, l'affirmation qu'il ne s'est rien passé, qu'on n'a pas eu mal, ou même être battu ou grondé lorsque se manifeste la paralysie traumatique de la pensée ou des mouvements". L'inceste à l'époque était nié au sein des familles et de la société. Même Freud le considérait plus comme un fantasme qu'une réalité. Benoît Peeters s'attache à décrire les débuts de la psychanalyse à travers deux médecins exceptionnellement doués. Entre leur pratique professionnelle et leur vie privée, les frontières s'effacent car tout est prétexte à une analyse permanente. Ferenczi inventa une nouvelle pratique relationnelle entre l'analysé et l'analysant, basée sur l'empathie. Leur complicité  finira par se déliter pour des raisons de théorie et de pratique analytique. On peut lire cet essai biographique sans trop connaître les arcanes de la psychanalyse. Pour ma part, j'ai toujours été attirée par Freud et ses découvertes. J'ai lu en particulier le très passionnant "Malaise dans la civilisation" et "L'avenir d'une illusion" qui m'ont fortement marquée. Après avoir lu cet ouvrage d'un accès facile, je vais lire l'essai majeur de Ferenczi, "Thalassa ou psychanalyse des origines de la vie sexuelle". Vaste et ambitieux programme !