vendredi 14 janvier 2022

"Virginia Woolf, Carte d'identité", 2

 Henriette Levillain aborde avec délicatesse, dans son chapitre, "Bipolaire", la maladie de Virginia Woolf. Elle écrit : "Héroïque, elle chercha inlassablement par la plume à tendre les fils entre les malades et les sains d'esprit, entre les lieux ou les moments de bonheur et les nuits sans étoiles". Virginia Woolf a subi deux pertes irrémédiables dans son adolescence : sa mère et sa demi-sœur. Plus tard, son frère Thoby meurt à 26 ans de la typhoïde pendant des vacances en Grèce. Ces traumatismes successifs ont eu une influence sur la personnalité fragile de la jeune fille. Pour expliquer aussi sa sexualité, la biographe mentionne les attouchements incestueux de ses demi-frères. Toute sa vie, elle a lutté contre ses périodes dépressives et ses envies de suicide. Elle se sentait souvent submergée par des migraines, des insomnies, des changements d'humeur. La psychiatrie de l'époque ne pouvait pas lui venir en aide et elle-même ainsi que son entourage n'évoquaient pas la maladie mentale. Son mari, Léonard, la soignait, la rassurait et lui permettait de surmonter ses crises passagères qui l'épuisaient. Virginia suggérait que son état inquiétant ne l'empêchait pas d'écrire, de penser, de vivre : "Chacun recèle en lui une forêt vierge, une étendue de neige où nul oiseau n'a laissé son empreinte. Là, nous avançons seul et c'est tant mieux". Malgré ce handicap permanent, Virginia Woolf se consacre entièrement à l'écriture quand son état de santé la laisse tranquille. A son journal intime qui lui sert de confident, l'écrivaine déclare : "Lutte, lutte" pour affirmer que seule, sa vocation d'écrivain lui importe. En parallèle, Henriette Levillain décrit les personnages des romans qui portent en eux les souffrances psychiques de Virginia comme Rachel dans "Traversées" et Septimus dans "Mrs Dalloway". Par ailleurs, Virginia a tout anticipé dans le féminisme. Son essai, "Une chambre à soi" reste un livre fondateur de l'émancipation féminine. L'indépendance économique des femmes demeure une condition essentielle de leur liberté. Un homme a partagé la vie de Virginia. Léonard bien qu'écrivain lui-même a sacrifié sa propre carrière en devinant le génie de sa compagne. Ils ont partagé une passion : celle de l'édition. A Londres, leur maison artisanale, la Hogarth Press, créée en 1917, a publié Freud, Joyce, Rilke, Lorca, les grands écrivains russes et des auteurs anglais comme Katherine Mansfield. Lectrice, éditrice, écrivaine, Virginia Woolf vivait pour la littérature. La biographie très documentée et d'une écriture élégante, apporte des éléments nouveaux et donne encore plus l'envie de retrouver la prose woolfienne, toute fluide, poétique, intimiste, intériorisée. La vie amoureuse de Virginia Woolf entre son mari et ses amours féminines participent aussi à sa légende de femme libre. Elle met un point final à sa vie le 27 mars 1941 en s'enfonçant dans la rivière proche de sa maison de campagne. Les poches de son manteau étaient remplies de cailloux. Ses cendres reposent dans le jardin de cette maison si chère à son cœur, Monk' House. Elle avait à peine cinquante-neuf ans... Cette biographie éclaire avec empathie et admiration le génie singulier de cette femme exceptionnelle. Sublime Virginia Woolf.