vendredi 10 avril 2020

Julia Kristeva

J'avais déniché, dans l'espace librairie d'Emmaüs, l'ouvrage de Julia Kristeva au titre original, "Je me voyage". Cette autobiographie, parue en 2016, se compose d'entretiens retravaillés avec Samuel Dock. Ces mémoires recueillies oralement donnent une dimension plus vivante qu'un récit linéaire. La chronologie reste une balise essentielle pour comprendre la vie de cette intellectuelle de premier plan dans le panorama des sciences humaines en France. Sa notoriété à l'étranger est beaucoup plus importante que dans son propre pays. Née en 1941 en Bulgarie, son père travaille dans l'administration d'une église et sa mère, mère au foyer, a fait des études de biologie. Elle fréquente une école maternelle francophone et l'Alliance française. Venant d'une famille non communiste, elle doit renoncer aux études d'astronomie. Grâce à sa culture francophile, elle part à Paris en 1965 sur une bourse du gouvernement français. En 1973, elle soutient une thèse en linguistique et intègre le groupe "Tel quel". Sa vie intellectuelle se confond avec celle de toute la mouvance de l'époque avec les figures incontournables, Philippe Sollers et Roland Barthes. Elle devient linguiste, sémiologue, enseigne à Paris-Diderot, à New York. En 1987, elle rejoint la Société psychanalytique de Paris comme psychanalyste. Elle est mariée à Philippe Sollers et ils ont eu un fils, David, atteint de troubles psychomoteurs. Le chapitre où elle évoque David est l'un des plus émouvants, car vivre avec cet enfant fragile l'a profondément influencée dans son approche de la douleur, de la différence, de la dépression.  Ses textes, "Etrangers à nous-mêmes" et "Sens et non sens de la révolte" explorent le souci "comme attention à la singularité de chacun, comme contact intense, avec l'étrangeté du prochain comme de soi".  En 2003, elle fonde le Conseil national du handicap pour sensibiliser la population sur la prise en charge des différents handicaps. En 2008, elle crée le prix Simone de Beauvoir récompensant l'œuvre et l'action de personnes contribuant à promouvoir la liberté des femmes dans le monde. Julia Kristeva a publié une trentaine d'ouvrages. J'ai surtout retenu sa trilogie, "Le Génie féminin", sur trois femmes exceptionnelles : Hannah Arendt, Mélanie Klein et Colette. L'autobiographie détaille son engagement féministe, ses multiples missions au sein des institutions universitaires, ses travaux de psychanalyste. Son travail de linguiste me semble un peu ésotérique. Elle a aussi composé des romans comme "Les Samouraïs", "Meurtre à Byzance, "L'horloge enchantée" que je lirai après cette autobiographie introductive. Je n'évoquerai pas les querelles, les critiques et les accusations que Julia Kristeva attire. Il faut laisser ces polémiques de côté et découvrir la pensée originale de cette femme mosaïque, venue de Bulgarie et d'un cosmopolitisme heureux.