lundi 16 décembre 2013

"En mer"

Je viens de découvrir le Prix Médicis étranger 2013, "En mer" du néerlandais Toine Heijmans aux éditions Bourgois. Ce roman m'a laissée songeuse. Pourquoi ai-je éprouvé un malaise en lisant ce livre, écrit à l'économie, compact et angoissant ? Je peux, sans dévoiler la fin de l'histoire, résumer l'atmosphère très oppressante du texte. Donald, un cadre supérieur, est las de sa vie stressante de bureau et commence à comprendre que sa hiérarchie ne le "récompensera" pas. Il prend un congé sabbatique pour réaliser son rêve : naviguer sur son voilier pendant trois mois dans la mer du Nord. Dans la dernière étape, sa femme accepte de lui confier leur fille de sept ans, Maria, qui va le rejoindre sur le voilier. Le narrateur raconte son périple dans les moindres détails : une météo incertaine, des nuages lourds de menaces, une mer agitée, et tous les actes techniques de la navigation. Sa fille Maria est toujours présente dans son champ de vision mais un soir, il ne la trouve plus dans sa cabine et elle est peut-être tombée par dessus-bord. Le père, paniqué à l'idée de la disparition de sa fille, se jette à l'eau pour la récupérer. Il s'éloigne du bateau pour la rechercher, mais il ne l'aperçoit pas dans la mer. Il remonte, après les pires difficultés, sur le voilier et sa fille Maria réapparaît. Mais, je ne donnerai pas les raisons de la panique du personnage. Le roman illustre la paranoïa d'un père qui se sent abandonné par la société, par sa femme, et le seul lien humain qui lui reste, lui échappe aussi dans cet espace pourtant protégé. Ce texte relève de l'hallucination, du cauchemar et de la perte. La fin du livre révèle un événement surprenant pour comprendre l'attitude de ce père, trop aimant, maladroit et malheureux. Sa femme pense qu'il existe "deux catégories de pères. La première catégorie se fiche pas mal des enfants, n'y comprend rien et ne veut rien savoir-ce sont des pères stables qui voient leur famille comme une chose à entretenir. (...) Des enfants comme il faut, qui réussiront, sont aussi importants qu'une nouvelle  BMW. La seconde catégorie ce sont les pères pleins d'entrain, qui se jettent avec enthousiasme sur leurs enfants et s'attendent à toutes sortes de choses en retour. Ils ont été élevé dans l'idée qu'hommes et femmes sont égaux. Si tout le monde est égal dans une famille, le chaos s'installe spontanément. Les enfants ne comprennent pas cette notion. Les enfants trouvent leurs comptes dans la clarté, et la hiérarchie". Ce roman appartient à une catégorie littéraire très contemporaine, héritière de Kafka où la folie rôde et déforme les perspectives.
Un livre à découvrir et un prix Médicis mérité, amplement mérité.