mercredi 9 décembre 2020

"Les Faits, autobiographie d'un romancier"

 J'ai relu récemment "Les Faits, autobiographie d'un romancier" de Philip Roth dans une nouvelle traduction de Josée Kamoun. Cet écrivain américain aurait mérité amplement le Prix Nobel de littérature mais, le jury suédois l'a ignoré jusqu'à la fin. Quel gâchis ! Ce prix a perdu son aura d'origine. Dans cet ouvrage paru en 1988, l'écrivain, disparu en 2018, revient sur son enfance à Newark dans les années 30 et 40, sa vie d'étudiant où il devient un américain modèle, son premier mariage chaotique, ses relations orageuses avec la communauté juive à la parution de "Goodbye Columbus" et ses années de maturité littéraire dans les années 60. Il ne montre aucune complaisance à son égard, se met à nu, explore son passé sans montrer un égo surdimensionné. Ce texte capital permet de comprendre et d'apprécier son œuvre, composée de 24 romans, de nouvelles et d'essais. Il écrit : "Passer les faits au crible a pu être une forme de thérapie pour moi". A cette époque, Philip Roth a perdu sa mère et son père va très mal : "Je me demande si je n'ai pas tiré une consolation immense à me remettre dans ma propre peau au moment de ma vie où le chagrin que peut causer la mort des parents n'était pas à l'ordre du jour". Dans sa préface, il justifie sa démarche autobiographique tout en essayant de changer les noms des protagonistes du récit. Sa sincérité se double d'une malice certaine, ne pouvant pas résister à quelques souvenirs réinterprétés, voire inventés. Quand il évoque ses parents et leur culture juive, il décrit une époque où il était difficile d'être considéré comme américain. Il brosse ainsi le portrait de son père : "Avec son sens du devoir chevillé au corps, son industrie jamais en sommeil, son opiniâtreté intrinsèque, ses ressentiments amers, ses illusions, son innocence, ses allégeances et ses peurs,  mon père devait constituer le moule de l'Américain, du Juif, du citoyen, de l'homme et même de l'écrivain que j'allais devenir". Il décrypte aussi ses relations féminines surtout le naufrage de son premier mariage où sa femme l'a retenu en lui mentant sur sa grossesse imaginaire. Il tente une explication sur sa soumission à cette épouse mythomane et paranoïaque : la haine de soi. Philip Roth révèle les "faits" de son existence qui ont formaté son imaginaire d'écrivain. Ce travail remarquable d'introspection, de "visibilité biographique" porte la marque d'un écrivain hors norme. Ses pages lumineuses sur ses parents, sur son frère et sur sa vocation littéraire appartiennent à la légende dorénavant fabuleuse d'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle.