lundi 5 octobre 2020

Escapade à Paris, 1

 Mon escapade parisienne devait se dérouler en mai dernier pour voir des expositions mais la Covid-19 est passée par là et toutes les manifestations culturelles ont été annulées. Ce premier semestre de confinement-déconfinement est déjà un peu oublié par insouciance ou par inconscience, mais pourtant, cette période de mars à mai sera marquée dans nos mémoires comme une blessure collective. Ne pas aller à Paris cet automne malgré la menace latente du virus m'aurait semblé une défaite, un renoncement, une déroute et j'ai surmonté mon appréhension de la foule parisienne. Cet été, j'ai réservé le TGV, les billets des musées, d'un concert et d'une conférence. En écoutant bien nos grands spécialistes du virus, le masque et le gel hydroalcoolique nous protègent malgré tout. J'ai souvent entendu dans les micros du train, de la gare de Lyon, des musées et de tous les espaces traversés, des recommandations permanentes. Je me suis imaginée dans une série dystopique annonçant la fin d'un monde normal et ouvert. Mardi, j'ai commencé par la BNF, la Bibliothèque Nationale de France, où j'avais rendez-vous avec Pascal Quignard, mon écrivain préféré. Si je m'exile un jour sur une île déserte, j'emporte tous les Quignard dans mon sac ! Il donnait une conférence à l'Auditorium vers 18h et une exposition sur son œuvre démarrait le lendemain. Cela faisait vingt ans que je n'avais pas mis les pieds dans ce lieu gigantesque, un peu trop déshumanisé par une architecture verticale vertigineuse. Décidément, cet espace ultra urbain heurte ma vision même si ces tours ouvertes en forme de livre forment un ensemble spectaculaire. Dans l'auditorium où nous étions une petite cinquantaine, Pascal Quignard s'est avancé en compagnie de la directrice, Madame Engel. Elle a présenté l'écrivain très brièvement en évoquant le don d'un manuscrit, "Boutès", de sa correspondance, des éditions rares, des photographies. Pascal Quignard détruit la plupart de ses manuscrits ne voulant pas garder des traces premières de ses œuvres. Quand je l'ai vu, j'étais émue et fascinée par sa présence d'une simplicité naturelle, non affecté. Il a enchanté son public pendant un heure où il a dévoilé la signification de l'image archaïque. Sur un écran immense, défilaient des scènes de peinture murale romaine, "le Plongeur de Paestum" en particulier, un banquet de Tarquinia, une fresque de Lascaux, etc. Je savourais son érudition profonde et originale, ses analyses éclairantes sur l'apport symbolique des images archaïques, sa voix agréable, la mise en scène d'une pureté monastique : un clerc du Moyen Age, un moine bénédictin savant, une silhouette venue d'un temps lointain, un extra-terrestre du passé grec et romain. Je reviendrai sur cette conférence dans ce blog pour mieux la décrypter car je l'ai enregistrée pour conserver ce pur moment de littérature française. Dans le hall, j'ai revu Pascal Quignard, et j'ai eu l'audace de lui parler. Il m'a écoutée gentiment et comme je lui exprimais toute ma gratitude pour ses ouvrages, il m'a répondu qu'il était honoré de ma présence... Je crois que ces minutes de dialogue resteront gravées dans ma mémoire à tout jamais. Je me tenais devant un des plus grands écrivains contemporains d'une simplicité désarmante et intimidante. Quelle rencontre, même fugace, même brève ! Ecouter sa conférence dans un silence religieux, le voir en "vrai", lui parler : je commençais bien mon escapade parisienne. Je vais me replonger dans son "Dernier Royaume" du tome 1 à son 11e qui vient de sortir. On peut lire et relire Pascal Quignard, et des passages que l'on avait du mal à comprendre s'éclairent cinq ans après, dix ans après, vingt ans après. J'aime cette littérature complexe, interrogative, parfois hermétique, souvent secrète, qui crée un lien intime avec son lecteur(trice). Une belle rencontre littéraire !