lundi 28 mars 2022

Paris, culture garantie

 Après le Panthéon, j'ai découvert avec un grand intérêt l'exposition "Les Pionnières" au Palais du Luxembourg que l'on peut voir jusqu'au 22 juillet. A travers la présentation de peintures, sculptures, photographies et d'autres supports, le musée a mis à l'honneur le rôle essentiel des femmes dans le mouvement artistique de la modernité. Je citerai en priorité Tamara de Lempicka, Sonia Delaunay, Chana Orloff, toutes nées à la fin du XIXe qui accèdent aux écoles d'art jusqu'alors réservées seulement aux hommes. Paris devient le centre de ces années folles car beaucoup de femmes artistes choisissent la capitale française pour exprimer leur mode de vie originale. Elles osent s'emparer d'ateliers, de maisons d'édition, de galeries et un vent de liberté souffle dans la ville symbole de toutes les audaces. Elles s'habillent comme elles veulent, s'aiment souvent entre elles, choisissent leur époux ou vénèrent leur célibat. J'ai remarqué des photographies de la libraire, Adrienne Monier, fondatrice de la "Maison des Amis des Livres" au 7, rue de l'Odéon. Dans sa librairie qui est aussi une bibliothèque de prêt, elle accueille de nombreux écrivains comme Paul Valéry, Hemingway, James Joyce, Simone de Beauvoir, Louis Aragon et tant d'autres. Elle fut la compagne de Silvia Beach qui ouvrit la célèbre librairie, Shakespeare and Company, un des foyers les plus actifs de la culture parisienne de l'entre-deux-guerres. Ces années 20, les Années folles, constituent la matrice de la modernité en littérature et dans le monde de l'art. Les femmes ont saisi cette opportunité pour s'affirmer et ont creusé les sillons prometteurs de leur libération. Dans ce quartier, j'ai visité aussi le Musée Eugène Delacroix, rue de Furstemberg, un ermitage agréable avec un beau jardin, un lieu propice à la création artistique. Le peintre aime la nature et la retrouve dans cet écrin de verdure. J'aime découvrir les ateliers d'artiste comme les maisons d'écrivain pour sentir l'esprit du lieu. Le lendemain, je suis retournée au Louvre pour revoir quelques salles surtout celles consacrées à la peinture du Nord de l'Europe. J'ai revu avec plaisir Breughel le vieux, Rembrandt et surtout mon Patinier, un peintre hollandais peu connu et son saint Jérôme fabuleux. Je ne pouvais pas rater les salles des Etrusques et de la Grèce archaïque que j'aime particulièrement. Le Louvre, le plus beau musée du monde que je ne cesse de redécouvrir depuis des années. Evidemment, j'ai assisté à un concert de musique classique, du Schubert magnifique avec sa symphonie tragique et j'ai vu Fabrice Lucchini, avec ses fables de La Fontaine. Ce comédien adore la littérature et il nous communique cet amour avec enthousiasme. Dans ce monde plein de vacarme et de drames, de bruits de guerre, la culture encore vivante de Paris a mis un pansement de consolation à mon âme parfois malmené par les circonstances extérieures... 

vendredi 25 mars 2022

Paris, du Petit Palais au Panthéon

Paris propose toujours des expositions que l'on peut voir rarement en "province". Seules, quelques métropoles dont Lyon peuvent parfois concurrencer la capitale. En mars, j'ai donc découvert au Petit Palais, un peintre finlandais du XIXe, Albert Edelfelt. Ce musée parisien magnifique, face au Grand Palais en cours de rénovation, poursuit son exploration des artistes scandinaves après Carl Larsson et Anders Zorn. Cet artiste a entrepris un voyage à Paris en 1874 pour se faire connaître et décide d'y rester. Son style mêle impressionnisme et réalisme dans les paysages, les portraits et les scènes historiques. J'ai préféré ses tableaux sur la nature finlandaise, imprégnés de douceur et de mélancolie. Ce peintre sensible et délicat est considéré comme le "plus parisien des Finlandais et le plus finlandais des Parisiens". Avant de quitter le musée, j'ai revu la section antique avec de très beaux vases grecs. J'ai ensuite réaliser un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps : visiter le Panthéon. Pourtant, je l'ai contourné plusieurs fois sans éprouver la curiosité de voir l'intérieur en "vrai" tellement les images de cet édifice sont diffusées à la télévision lors des commémorations. J'ai franchi le pas et quand j'ai pénétré dans la salle principale, j'avoue ma stupéfaction de constater le côté grandiose de ce monument de style néo-classique au cœur du Quartier latin dans le 5e arrondissement. Prévu au XVIIIe pour être une église, le bâtiment a changé de vocation après la Révolution française pour accueillir les grands personnages ayant marqué l'Histoire de France. Sa ressemblance avec son grand frère de Rome ajoute encore plus de solennité. J'ai tout de suite remarqué les immenses toiles d'Anselm Kiefer exposées depuis le 11 novembre 2018 à l'occasion de l'entrée de Maurice Genevoix au Panthéon. Deux tableaux monumentaux symbolisent les tranchées et dénoncent l'horreur de la guerre. Six vitrines percutantes accueillent des sculptures constituées de matériaux divers : barbelés, plomb, fumier, bicyclettes, etc. Ces œuvres tragiques et métaphysiques disposées dans la grande salle vont rester au Panthéon de façon pérenne. Ce geste artistique dénonce l'absurdité de la guerre et rend hommage à tous les soldats de 14/18. Je suis descendue dans la crypte pour me recueillir devant les tombes de Simone Veil et de son mari. Elle repose pour l'Eternité avec des compagnons illustres, Jean Moulin et André Malraux. Je ne m'attendais pas du tout à éprouver une certaine émotion au Panthéon, cet édifice historique d'une magnificence toute romaine. 

mercredi 23 mars 2022

Paris, le Mémorial de la Shoah

 Après le Carnavalet, j'ai traversé le beau quartier du Marais pour revisiter la Place des Vosges où j'ai revu avec plaisir l'appartement de Victor Hugo. Cet écrivain glorieux ne figure pas dans mon Panthéon personnel. Je préfère Flaubert, Stendhal et Balzac mais j'ai lu des romans de Victor Hugo quand j'étais étudiante en lettres. Comme la littérature me passionne toujours autant, j'aime découvrir les maisons d'écrivain et celle de Hugo conserve son authenticité. Son bureau en particulier où il se tenait debout mérite la visite. Une exposition très originale et assez audacieuse, intitulée "Regards", est proposée par l'institution. J'ai relevé cette citation dans le dépliant de la Maison de Victor Hugo : "Réfléchir sur le regard, c'est s'ouvrir au monde. Cheminer, à travers la lumière, vers soi, vers l'autre, vers l'attendu, vers l'inattendu, vers toutes sortes de révélations, d'interdits, de rêves et de visions, mais aussi de déjà-vu". Après Proust, Victor Hugo, ma journée prenait une ambiance littéraire. J'ai terminé mon après-midi au Mémorial de la Shoah, près de la place des Vosges dans le 4e arrondissement. Ce lieu de mémoire du génocide des Juifs, ouvert en 2005, réunit un musée consacré à l'histoire juive durant la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs espaces comme le Mur des Justes, le Mur des Noms, le Mémorial des enfants et le tombeau du martyr juif inconnu. Un centre de documentation juive contemporaine et une librairie spécialisée complètent ce lieu indispensable et émouvant. Lire les noms de 75 568 Juifs dont plus de 10 000 enfants sur le mur de pierres provenant de Jérusalem demeure un acte grave d'une grande tristesse compassionnelle. J'ai regardé une vidéo sur Simone Veil qui évoquait son expérience des camps de concentration. Cette femme hors-norme dit en quelques mots l'horreur de la Shoah. Cette institution exemplaire accueille les classes, anime des ateliers pédagogiques, propose des expositions, organise des voyages sur les lieux de mémoire comme Auschwitz. Des objets du quotidien, des lettres manuscrites, des vêtements des camps, des affiches sur la France de Pétain, sur l'antisémitisme montrent l'indicible de l'horreur absolu de la Shoah. On ne peut que sortir remuée, meurtrie de cette visite mémorielle. La librairie de ce lieu exceptionnel possède un fonds précieux dans tous les domaines. Une visite indispensable à Paris. 

mardi 22 mars 2022

"Marcel Proust, un roman parisien"

 Je suis "montée" à Paris pour plusieurs rendez-vous, préparés à l'avance (à cause du Covid, les réservations sont encore recommandées) en concentrant en cinq jours les expositions, les spectacles et les balades. J'avais hâte de voir l'exposition "Marcel Proust, un roman parisien", proposée par le somptueux hôtel particulier, le Carnavalet, rénové où l'on peut aussi s'informer sur l'histoire de la capitale. La Commémoration du 150e anniversaire de la mort de l'écrivain a donné naissance à cette très belle prestation. Les liens de l'écrivain avec Paris se dévoilent amplement dans les 280 œuvres exposées : peintures, sculptures, dessins, photographies, maquettes, accessoires, manuscrits, éditions originales, vidéos dont celle de Céleste Albaret. La reconstitution de son univers familier montre un Paris des années 1900. Né à Paris, Marcel Proust a vécu au cœur d'un quadrilatère restreint allant du Parc Monceau à la Place de la Concorde, d'Auteuil au Bois de Boulogne sans oublier la Place Vendôme. Lycéen au lycée Condorcet, il a fréquenté le monde de la haute société et a rencontré des personnalités déterminantes comme le dandy, Robert de Montesquiou. Une cartographie révèle ses lieux de prédilection où il puisait son inspiration pour son œuvre majeure, "A la recherche du temps perdu". Entre le réel parisien et la fiction proustienne, une symbiose s'effectue et les personnages de la Recherche s'enracinent dans la mémoire des lecteurs et des lectrices comme des êtres de chair et de sang. Le Narrateur, Swann, Bergotte, Charlus, Albertine, les Verdurin, Saint-Loup et tant d'autres apparaissent sur la scène comme dans une série contemporaine. Quand je suis arrivée devant la chambre de Proust, j'ai ressenti une émotion devant son lit, sa redingote, sa canne et sa méridienne. C'est donc dans ce lit qu'il a composé sa cathédrale de mots, de sensations, de rêves, de souvenirs ! Il a porté ce vieux vêtement et il s'est reposé dans sa méridienne. Cette plongée immersive dans son espace intime permet de se représenter ses instants de vie. La seconde partie de l'exposition s'ouvre sur le Paris fantasmé de Marcel Proust, celui qu'il a décrit dans sa Recherche. Ce voyage proustien m'a fait revivre une parenthèse enchantée dans un des sommets de la littérature française. Un beau livre d'art raconte cette exposition exceptionnelle et évidemment, je l'ai acheté pour poursuivre avec bonheur mon parcours proustien dans cette année de commémoration. Cette exposition est disponible jusqu'au 22 avril. 

lundi 21 mars 2022

Esprit du lieu, Paris

 Comme tous les ans, je me "culturalise" à Paris. En fait, cette ville, notre capitale à tous et à toutes, conserve et conservera son identité unique qui met toujours en avant son rayonnement culturel universellement reconnu. Souvent, dans les médias, j'entends le "Paris" bashing, expression anglaise désagréable à l'oreille : la capitale est sale, polluée, horrible, violente, stressante et j'en passe. Mais, quand il me prend l'envie de la revoir et de vivre à l'heure parisienne, je ne vois pas le côté sombre, appauvri de la capitale où la délinquance règne en maître. Evidemment, je ne traverse que le "beau", le "bon" Paris et je m'abstiens de m'aventurer dans des zones inconfortables. Je préfère les musées, les monuments, les parcs et jardins, les quais de la Seine, les ponts, les statues et tous les citadins et citadines affairées, pressées. Je plonge dans un macrocosme bouillonnant qui m'insuffle une énergie renouvelée. Mardi, après un voyage parfait dans le TGV, j'ai traversé la ville pour atteindre mon hôtel situé près du Louvre. Dès que j'ai déposé ma valise, j'ai retrouvé avec plaisir le Jardin des Tuileries avec ses bassins et ses chaises vertes, ses statues et ses sculptures dont les séduisantes jeunes filles de Maillol. En me baladant dans le quartier des Halles, j'ai découvert l'église Saint-Eustache, relevant du gothique flamboyant et du style Renaissance. J'ai été impressionnée par la hauteur de sa nef, trente trois mètres, supérieure à celle de Notre-Dame. Les 25 chapelles rappellent l'immensité de cette église ainsi que les 8 000 tuyaux de l'orgue, l'un des plus grands de France.  Devant l'église, se trouve une sculpture spectaculaire en grès d'Henri de Miller, "Ecoute", composée d'une tête d'homme allongé, appuyée sur sa main, exécutée en 1986. Cet homme écoute les bruits et les rumeurs provenant du sol et du sous-sol. J'ai vu des enfants jouer autour de la tête et cette sculpture ludique anime le parvis de l'église devant le jardin Nelson Mandela. J'ai conduit mes pas vers les quais de Seine où quelques bouquinistes survivent encore alors que la majorité des boîtes vertes était fermée. Vers 1900, ce vert unique, le vert "wagon" est à l'image des fontaines Wallace et des colonnes Morris. Aujourd'hui, les intempéries et le vandalisme ont abîmé un grand nombre d'entre elles. Mais, quelques résistants culturels maintiennent cette belle tradition autour des livres anciens et des soldes. On compte deux cents bouquinistes avec un stock de près de 300 000 volumes, de gravures, de timbres et de revues. Certains vendent aussi des objets divers made in China comme la tour Effel. Je ne manque jamais de farfouiller dans les bacs pour dénicher un livre rare ou un roman épuisé. Cette institution culturelle perdure tout de même malgré la révolution numérique. Les nouvelles générations fascinées par les écrans de toutes sortes vont-elles encore musarder dans ces boîtes de papier ? J'en doute ! Profitons encore du monde des bouquinistes parisiens, ce commerce livresque si ancien né en 1789 !  J'ai intitulé mon billet "'esprit du lieu". Oui, passer quelques jours à Paris dans son centre historique dans les arrondissements le long de la Seine m'enchante durablement : Le Louvre, Notre Dame, la Conciergerie, l'Ile de la Cité, le Vert Galant, la mairie de Paris, et tant d'autres traces architecturales d'un passé glorieux. Le séjour commençait bien... Je me sentais bien au centre de notre pays, la France. 

lundi 14 mars 2022

Atelier Littérature, 3

 Plusieurs lectrices de l'atelier ont lu Jean-Bertrand Pontalis, l'écrivain psychanalyste le plus clair dans son écriture, le plus accessible pour le grand public, le meilleur passeur exemplaire entre la psychanalyse et la littérature française. Il a animé pendant vingt-cinq ans la Nouvelle Revue de Psychanalyse et a dirigé deux collections prestigieuses chez Gallimard, "Connaissance de l'Inconscient" et "L'un et l'autre". Colette a découvert cet auteur original avec "Le songe de Monomotapa", publié en Folio. Cet essai évoque, en une vingtaine de courts chapitres, le thème de l'amitié : de sa naissance à sa dissolution, de son temps long à un moment bref, alliant réflexions et histoires intimes. Quel rôle joue l'amitié dans notre vie ? La Fontaine écrivait qu'un "ami véritable est une douce chose". Mais ce terme de Monomotapa, tiré d'une fable, définit une amitié idéale, fusionnelle comme l'a vécue Montaigne avec La Boétie. A 85 ans, le psychanalyste revient sur sa vie pleine d'amitiés fugaces comme solides, profondes comme contingentes. Geneviève a lu avec plaisir "Avant", paru en Folio en 2013. Pour résumer cet essai lumineux, je cite Pontalis : "Quand il nous arrive de dire "C'était mieux avant", sommes-nous des passéistes en proie à la nostalgie d'une enfance lointaine, d'une jeunesse révolue, d'une époque antérieure à la nôtre où nous avons l'illusion qu'il faisait bon vivre ? A moins que cet avant ne soit un hors-temps échappant au temps des horloges et des calendriers. Je me refuse à découper le temps. Nous avons, j'ai tous les âges". La littérature comme la psychanalyse se ressemblent et se rassemblent autour de la mémoire, du temps, des souvenirs. J.-B. Pontalis se souvient de son patient illustre, Georges Perec, qui prétendait qu'il n'avait aucun souvenir d'enfance car il camouflait la douleur d'avoir perdu sa mère dans les camps. Un manque impossible à combler. Il est question de la réminiscence (le sentiment du déjà vu), de la trace et de l'oubli. Un essai remarquable. J'ai relu à cette occasion "Fenêtres" et j'ai retrouvé ce même bonheur de lecture que procure Pontalis. La fenêtre, symbole d'ouverture, engage le narrateur au "départ" grâce à la pensée rêvante et rêveuse avec des instants de vie réfléchie, des images et des mots du divan, des anecdotes sur ses patients anonymes. L'écrivain raconte sa vie de psychanalyste avec une élégance discrète et un humour feutré. La parole définit l'acte psychanalytique alors que la littérature se fabrique avec des mots écrits. Cette différence s'amenuise quand on pense à la démarche profonde de ces deux "arts", rechercher les clés d'une énigme : soi-même. J.-B. Pontalis a établi un pont indispensable entre ces deux mondes avec un talent incroyable. Je lui laisse les derniers mots : "L'expérience de la lecture préfigure celle de l'analyse. Toutes deux sont transport, transfert, hors de soi. Toutes deux sont épreuve de l'étranger. D'un étranger qui serait le plus près de l'origine". Ce troisième billet concerne exclusivement cet écrivain psychanalyste qui a séduit les amies lectrices de l'atelier. Il faut souvent revenir à lui comme s'il l'on suivait une thérapie littéraire réussie. La lecture, une exploration de notre condition humaine comme la psychanalyse. 

samedi 12 mars 2022

Atelier Littérature, 2

 Parfois, il arrive que les lectrices de l'atelier font un pas de côté dans leur choix et me proposent leur idée qui, souvent, complète ma liste bibliographique. Janelou a donc pensé tout de suite au récit autobiographique de Marie Cardinal, "Les Mots pour le dire", paru en 1975. Je ne l'ai pas intégré dans ma liste car j'avoue que je n'ai plus pensé à cette écrivaine, malheureusement bien oubliée de nos jours alors qu'elle a marqué des générations de femmes comme Gisèle Halimi ou Benoite Groult. Marie Cardinal évoque une démarche psychanalytique dans une confession intime : elle subit des règles abondantes et continuelles. Sa détresse due à ce problème physique ne trouve aucune solution de la part de la médecine traditionnelle. Elle entreprend une psychanalyse et relate avec "ses mots" son enfance en Algérie, la mort de sa sœur, la présence d'une mère toxique. Grâce à l'analyse, elle comprend mieux la source de son angoisse et parvient à mieux affronter le réel. Janelou a donc relu ce récit émouvant et parfois éprouvant en nous confirmant sa modernité actuelle et son intérêt permanent. Après la présentation des "Mots pour le dire", je suis persuadée que certaines d'entre nous le reliront avec un regard nouveau surtout après quelques décennies de plus ! Odile et Geneviève ont aimé le roman de Pascal Quignard, "Les solidarités mystérieuses". Quel rapport avec la psychanalyse ? m'a demandé Odile. Réponse de l'écrivain : "Si je ne me lasse pas de la psychanalyse, c'est qu'elle est à sa manière, un long séjour dans les limbes, dans ce royaume intermédiaire, un royaume sans roi". Claire, l'héroïne du roman, se sépare de son mari et de ses enfants pour retourner en Bretagne. Elle est follement amoureuse d'un ami d'enfance, devenu maire du village breton et pharmacien. Ce personnage féminin en rupture établit des  "solidarités mystérieuses" avec son frère protecteur, son professeur de piano qui l'adopte, des amies bienveillantes. Le pharmacien, marié, ne veut pas quitter sa femme et finit par se noyer (accident ou suicide). A la mort de cet homme, Claire s'enracine dans sa solitude et dans les éléments naturels. Ce beau texte âpre, économe de mots inutiles, propose une méditation sur la vie et une contemplation de la nature. Pascal Quignard ou l'art de l'essentiel. Danièle a parlé de l'ouvrage d'Anne Dufourmantelle, "Défense du secret" en lisant des extraits car résumer ce type d'essai s'avère impossible. La psychanalyste philosophe, disparue trop tôt dans une noyade alors qu'elle voulait sauver deux enfants, fait l'éloge de la discrétion, du jardin secret à l'heure des réseaux sociaux impudiques. Résister à la transparence se transforme en véritable aventure intérieure. Un livre à découvrir en toute intimité. (La suite, lundi)

vendredi 11 mars 2022

Atelier Littérature, 1

 Nous étions une dizaine de lectrices à nous retrouver cet après-midi pour parler de littérature. Pourtant, en ces temps sombres où la guerre fait rage près de chez nous en Europe, évoquer des romans et des essais semble dérisoire et futile. Pourtant, il faut préserver notre fabuleuse liberté en paix, celle de retrouver ces instants conviviaux qui prennent encore plus de valeur. Pendant les deux heures de rencontre, nous avons seulement abordé le thème de l'apport de la psychanalyse dans les romans et dans les essais. Odile a présenté le roman d'Italo Svevo, "La conscience de Zeno", publié en 1923. Ce grand écrivain de Trieste n'a pas convaincu notre amie lectrice car le personnage principal, Zeno, n'attire aucune sympathie tellement ses problèmes tournent autour de son nombril. Pourtant, il veut arrêter de fumer et sa confession sur sa vie semble un peu datée. Il choisit une épouse par défaut dans une famille de marchands triestins. Ses états d'âme où l'indécision semble le qualifier finissent par agacer et par lasser notre patience bienveillante. J'ai moi-même abandonné la lecture de ce classique italien comme l'a fait Odile. Les critiques dithyrambiques rappellent le côté ironique et cocasse "d'un homme sans qualités" et cet homme souvent ridicule, horripilant et machiste ne semble plus séduire les lectrices contemporaines. Il arrive que des chefs d'œuvre littéraires laissent de marbre comme le "Ulysse" de James Joyce. Véronique et Janelou ont choisi l'essai autobiographique de Lydia Flem, psychanalyste et écrivain, "Comment j'ai vidé la maison de mes parents", paru dans la collection Points. Cet ouvrage les a beaucoup intéressées car chacune d'entre nous a vécu cette expérience douloureuse : perdre ses parents et mettre de l'ordre dans la transmission de l'héritage. Je laisse la parole à Lydia Flem : "Un jour, alors que l'enfance sera déjà loin, nous deviendrons orphelins. Une fois nos disparus enterrés, nous devrons accomplir cette tâche impudique : vider la maison de nos parents. Pour chacun des objets et souvenirs de leurs vies, nous n'aurons que l'un de ces choix : garder, offrir, vendre ou jeter. Puis, dans le désordre des émotions, nous fermerons leur porte, qui est aussi un peu la nôtre". Si l'on veut poursuivre la conversation intime avec Lydia Flem, il faut aussi lire "Lettres d'amour en héritage" et "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".  Agnès et Odile ont été surprises par  le thriller psychanalytique, "Mensonges sur le divan" d'Irvin Yalom. Ernest Lash, psychanalyste reconnu, s'interroge sur ses méthodes en mêlant la sexualité à la thérapie. Une de ses patientes pourrait accepter ce pari risqué car elle veut se venger de son mari qui l'a quittée. Irvin Yalom dévoile les coulisses d'un milieu complexe où parfois, le mensonge règne en créant une confusion des sentiments. Ce drôle de roman policier évoque aussi les travers de la psychanalyse poussés à l'extrême. (La suite, demain)

mercredi 9 mars 2022

Marcel Conche, hommage

 Né en mars 1922, en Corrèze, le philosophe Marcel Conche est mort le 27 févier à l'âge impressionnant de 99 ans ! La philosophie semble prolonger la vie surtout celle des hommes, sensés partir plus tôt que les femmes. Peu connu du grand public, ce philosophe est surtout reconnu dans le monde de la philosophie en France. Pourtant, ce sage n'était pas prédestiné à devenir professeur à la Sorbonne. Dès son enfance, il travaille dans la ferme de son père agriculteur. Entre les moissons et les soins aux animaux, le petit Marcel travaille bien à l'école et grâce à son intelligence précoce, il choisit de prolonger ses études pour devenir instituteur. Il passe son agrégation de philosophie en 1950 et devient professeur de philosophie dans les lycées de Cherbourg, d'Evreux et de Versailles. Durant ses études, il tombe amoureux de son professeur de français, Marie-Thérèse, qu'il épousera plus tard. A la Sorbonne, il obtiendra un poste de titulaire à la chaire de métaphysique en 1978 après écrit son essai, "Orientation philosophique". Sa passion de la philosophie a pris naissance avec la lecture du stoïcien Marc Aurèle et des "Pensées" de Pascal, ses deux livres de chevet. Il a joué un rôle d'éclaireur pour les philosophes grecs comme Héraclite, Parménide, Pyrrhon et surtout Epicure. Son ouvrage "Epicure en Corrèze", publié en 2014, le rendra accessible aux non-initiés. Il a aussi consacré un ouvrage lumineux sur Montaigne, son compagnon de route. Il veut comprendre le sens de la vie en cherchant la vérité : est-elle dans les réponses données par la religion ou par la philosophie ? Ses premières interrogations nourrissent ses essais sur son propre univers philosophique. Il abandonne la croyance en Dieu après la découverte des camps de concentration et aussi la souffrance des enfants, le mal radical à ses yeux. Il accorde sa confiance à la notion de Nature et il déclare : "L'absolu pour moi, c'est la nature". Pour ma part, j'ai découvert ce philosophe avec ses essais sur les philosophes grecs et j'ai lu récemment le premier tome de son journal intime, "Journal étrange", commencé en 2006 (cinq tomes au total) et qui constitue une œuvre personnelle, inhabituelle pour un philosophe classique.  J'ai écouté sur France Culture cinq épisodes sur lui où il parle de son parcours intime et surtout philosophique avec des mots simples, des concepts éclairants mâtinés d'une modestie liée certainement à ses origines.  Métaphysicien, moraliste, écrivain, Marcel Conche a passé sa vie dans les livres et dans l'enseignement pour rendre la philosophie accessible. Si Monsieur Nobel avait eu l'idée de célébrer la  philosophie, j'aurais décerné ce prix sans aucune hésitation au philosophe corrézien.   

mardi 8 mars 2022

Rubrique cinéma italien, "Pour toujours"

 J'aime bien aller au cinéma, au minimum une à deux fois par mois car la magie du cinéma d'antan opère encore sur moi. J'étais seule, vraiment seule dans la salle du Forum de Chambéry-le-Haut et je me suis demandée si l'opérateur allait envoyer la bobine sur l'écran. Devant moi, les fauteuils rouges vides, derrière moi, idem. A l'heure dite, vers 14h30, les images ont commencé à défiler ave un son parfait. Voir un film sur un grand écran demeure un spectacle presque vivant. J'ai donc vu un film italien, "Pour toujours" du réalisateur Ferzan Ozpetek. Arturo et Alessandro vivent en couple depuis quinze ans. Mais, ils traversent une crise qui fait basculer leur vie amoureuse. Un jour, Annamaria, la meilleure amie d'Alessandro, atteinte d'in cancer, confie ses deux enfants à son ami. Elle doit subir des examens et être hospitalisée. Les deux compères vont prendre en charge les enfants et dans ce contexte, leur histoire personnelle va évoluer. La mère prévient ses amis qu'elle n'a pas le choix car elle ne veut pas confier sa famille à sa propre mère en Sicile. Elle a rompu les liens avec sa Sicile natale. Les enfants s'adaptent à leur nouvelle vie et vont bousculer leurs nouveaux parents avec des péripéties assez trépidantes. En même temps, Alessandro découvre la liaison d'Arturo qu'il entretient avec un artiste peintre. Le couple décide de se séparer et ils vont annoncer à Annamaria qu'ils ne peuvent plus assumer la prise en charge des enfants. Ils contactent la grand-mère qui accepte à contrecœur de prendre le relais pour ses deux petits-enfants. Mais, quand ils conduisent les petits à Palerme, ils prennent conscience que cette femme est odieuse, homophobe, cruelle. Ils changent d'avis et sauvent les deux petits des griffes de leur grand-mère. Cette belle histoire digne de la comédie italienne traditionnelle se regarde avec un plaisir certain surtout quand on remarque que l'homoparentalité est traitée avec délicatesse et avec humour. Entendre parler italien m'a confirmé les efforts de mon apprentissage de la langue pendant une bonne année. Ce film mérite le détour !

lundi 7 mars 2022

Escapade à Antibes, 6

 Après d'Antibes, j'ai pris le chemin (l'autoroute !) jusqu'à Mougins. J'avais repéré sur les guides un musée dont je n'avais jamais entendu parler. Il s'agit du Musée d'Art classique, installé dans une demeure médiévale entièrement rénovée mais qui conserve son harmonie avec le patrimoine mouginois. Le concept de ce musée privé m'a semblé original car il met en scène l'Art antique avec des œuvres modernes et contemporaines, influencées par le monde antique. Les trois étages du musée présente l'art égyptien, l'art grec et l'art romain. Et on peut voir, face à un buste antique, un buste d'Yves Klein, et un portrait de Warhol. Au milieu des natures mortes antiques, des natures mortes modernes exécutées par des peintres contemporains. La mise en perspective historique de l'art, du plus ancien au plus moderne, permet de renouveler le regard grâce à Chirico, Chagall, Picasso, Cézanne, Dufy, etc. Cette confrontation d'un passé lointain avec le nôtre m'a vraiment agréablement étonnée. Mon intérêt permanent pour le monde antique greco-romain influence mes escapades en Europe et quand je trouve en France des musées spécialisés dans cette catégorie, j'ai toujours le désir de les découvrir. J'étais ravie de voir toutes ces collections à Mougins. J'ai constaté des vitrines remplies d'épées, de casques, de boucliers montrant l'éternelle guerre que mènent les hommes entre eux depuis des millénaires jusqu'à nos jours désolants au cœur de l'Europe. Après ma découverte du musée, j'ai visité le village de Mougins que Picasso appréciait tout particulièrement. Une tête du peintre se fait l'hôte des visiteurs avec ses deux mètres quarante de haut. Baptisée Pablo et réalisée par Gabriel Sterk, elle rappelle que Picasso s'est installé à Mougins en 1961 avec Jacqueline et il mourra dans son mas provençal en 1973. Ce joli village possède une trentaine de galeries d'art et je ne préfère pas imaginer l'affluence touristique pendant la haute saison estivale. En février sur la Côte d'Azur, j'ai eu la chance de bénéficier d'une météo printanière. J'ai vu la mer pour respirer er admirer l'horizon, j'ai visité et admiré des belles villas historiques, j'ai retrouvé l'atmosphère feutrée et silencieuse des musées où la beauté rend le monde habitable. Cette escapade à cinq cents kilomètres de Chambéry m'a permis de revoir une des plus belles régions françaises, proche de la Riviera italienne. La France que j'ai longtemps négligée (à part la Côte basque et Paris) me réserve de belles surprises. 

vendredi 4 mars 2022

Escapade à Antibes, 5

 Antibes dans ses murs, c'est une enfilade de rues et de ruelles où se côtoient des petits commerces, des restaurants et des services, des places dégagées, des églises et des monuments. Cette urbanité baigne dans une certaine quiétude et une sérénité certaine. Peut-être que la présence de la Méditerranée adoucit les mœurs, les us et les coutumes. A côté du Château de Grimaldi, la cathédrale Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception est bâtie sur les fondations d'un temple consacré à Diane et à Minerve, puis est devenue une église paléo-chrétienne au Ve siècle. Détruite par les Sarrasins en 1124, elle est reconstruite un an plus tard. A l'intérieur, j'ai remarqué un très beau retable, peint en 1515 par Louis Brea, un peintre primitif niçois. Après la visite de cet édifice religieux, j'ai découvert la chapelle Saint Bernardin du XVIe à la façade néo-gothique. Puis, en me baladant dans le quartier des Safraniers, je recherchais une plaque sur une maison qui a abrité l'écrivain grec, Nikos Kazantzakis. J'aime rechercher les traces d'écrivain dans chaque ville que je visite. Je l'ai trouvée, cette modeste maison, avec cette plaque sur laquelle sont gravés ces mots : "Je ne crains rien, je n'espère rien, je suis libre". Il est très agréable de sentir une ville dans ses quartiers parfois chics, parfois modestes. Le port d'Antibes héberge de nombreux yachts... La richesse insolente de ces propriétaires (russes ?) gâche un peu l'élégance de ces objets flottants. Quelques quartiers excentrés ne présentent pas un intérêt majeur mais de nombreuses résidences de luxe attirent des retraités (pas mal d'Italiens) qui apprécient le climat favorable de la Côte d'Azur. Avant de repartir, j'ai parcouru le Cap d'Antibes en arpentant avec un grand plaisir le sentier de Tirepoil (exotique à souhait !) loin des constructions urbaines. Aménagé par des chemins naturels et par des escaliers dans les zones escarpées, le sentier se parcourt en deux heures et se situe face à la Baie des Anges et à Nice avec les Alpes en panoramique. Dans cette randonnée, j'ai vu des mouettes, des sternes, la flore marine, les lavandes de mer, des pins d'Alep, la roche volcanique par endroits, travaillée par l'érosion et j'ai longé une muraille où se cachent des propriétés magnifiques dont le Château de Croé, longtemps habité par le Duc de Windsor et acquis aujourd'hui par un oligarque russe. Au début du XXe siècle, ce littoral a été occupé et privatisé par les résidents de ces belles demeures. La Loi Littoral a permis la reconquête de cet espace enfin accessible au public... Ah, le rôle de l'Etat, indispensable souvent ! 

jeudi 3 mars 2022

Escapade à Antibes, 4

 J'apprécie les villes en bord de mer et Antibes appartient à ce palmarès des villes où la mer comme à Biarritz définit son identité. Antibes, Antipolis, la ville d'en face, possède un passé antique impressionnant. Née cité grecque fort ancienne, ensuite romaine et chrétienne, son destin de comptoir commercial et de port important attire beaucoup de touristes. Dès que l'on se promène sur les remparts, la mer est là, toujours aussi fantastiquement bleue d'un bleu profond qui se confond avec le ciel d'un même bleu. Au bout des remparts, après la plage de la Gravelle, une sculpture monumentale de dix mètres de haut, "Le Nomade" du catalan, Jaime Piensa, veille sur l'horizon marin. Réalisée en aluminium, cette haute silhouette est composée de lettres de toutes tailles, peintes en blanc. Les enfants que j'ai croisés la considéraient comme un espace de jeu tant cette sculpture transparente séduit tous les promeneurs(ses). Cette œuvre d'art, accessible à tous, porte le beau titre de "l'Ame des mots". Je suis restée un bon moment autour de ce Nomade magnifique qui dialogue avec le lointain. J'ai pensé à Paul Valéry et à son vers fameux : "Le vent se lève, il faut tenter de vivre". Poésie, art, hommage aux lettres et aux mots, la mer comme une métaphore poétique, cette balade sur les remparts du port s'est poursuivie jusqu'au la maison où Nicolas de Staël s'est jeté d'une fenêtre. Une plaque signalait cette fin tragique. Le musée Picasso, installé dans un château de Grimaldi. bâti en 1395, propose une série de tableaux du Maître. Le peintre espagnol travaille dans ce bâtiment exceptionnel face à la mer en 1946. Il lègue à la ville d'Antibes 23 peintures et 44 dessins. On peut aussi voir des céramiques et des tapisseries. Je suis toujours étonnée par le génie de Picasso à l'imagination débridée et fantasmagorique. Mais une salle mythique du musée m'attendait tout spécialement car j'étais seule à admirer les toiles de Nicolas de Staël dont celle du "Concert" que j'aime vraiment beaucoup tellement il fait l'éloge de la musique. Sa peinture à la limite de l'abstraction concentre une énergie vitale. Pourtant, Nicolas de Staël met fin à ses jours à 41 ans, terrassé par un chagrin d'amour. L'art moderne est aussi bien représenté avec Arman, Combas, Modigliani et bien d'autres artistes contemporains. Des sculptures magnifient le jardin face à la mer et, en particulier, celles de Germaine Richier, juchés sur le mur du Château.  Ce très beau musée d'Antibes, joyau architectural et écrin pour deux artistes majeurs (Picasso et Staël) m'a vraiment enchantée pour la deuxième fois à dix ans de distance. Et je crois que je l'ai apprécié davantage comme si j'avais relu un chef d'œuvre littéraire. Une étape culturelle magique. 

mercredi 2 mars 2022

Escapade à Antibes, 3

 J'ai réservé le matin de lundi à la Villa Kérylos et lundi après-midi, j'ai aussi visité près de Beaulieu-sur-Mer, la belle demeure de Béatrice Ephrussi de Rothschild (1864-1934) à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Construite entre 1905 et 1912 sur un sommet de la presqu'île du Cap Ferrat, la Villa rappelle un palais italien de la Renaissance. Constituée de nombreux salons, de patios et d'appartements d'inspirations diverses, la résidence est meublée de chefs d'œuvre uniques : tapisseries du XVIIIe, porcelaines de Sèvres, sculptures et peintures de Fragonard et de Boucher, objets précieux, etc. Chambre bleue, chambre Directoire, salon chinois, grand salon, petit salon, la Baronne pouvait recevoir un nombre incalculable de relations mondaines. Mais, le plus spectaculaire de la villa réside dans l'exceptionnel parc et jardins où cascades, bassins, pergolas et kiosques romantiques forment un lieu enchanté au bord de la mer, toujours présente à l'horizon. La forme du jardin rappelle un paquebot "Ile de France" où l'on peut remarquer les arbres les plus méditerranéens : oliviers centenaires, camélias, aloès, figuiers de barbarie, roseraies, lavande, pins d'Alep. Je me suis presque égarée dans ce labyrinthe végétal et un coup de vent digne des Cyclades agitait la végétation d'une façon inhabituelle. Le fantôme de la Baronne se promenait dans cet espace enchanté. Sa vie ressemblait à un conte de fée mais un conte de fée à l'amertume prononcée. La richesse ne garantit pas le bonheur : mariage malheureux, aucun descendant, la maladie en elle avec la terrible tuberculose. Elle avait des exigences bizarres comme le port d'un bonnet de marin que portaient ses nombreux jardiniers. Cette personnalité originale a régné dans son vaste domaine avec une poigne de fer en organisant des fêtes grandioses pendant les Années folles en 1920 et ce monde disparu m'a fait penser à celui décrit par Marcel Proust, ce Grand Monde constitué d'aristocrates de naissance et de bourgeois enrichis. La passion du jeu et le casino occupaient ses journées et elle vivait entourée de singes, d'oiseaux et de mangoustes. Béatrice Ephrussi de Rothschild voyageait beaucoup et s'éteignit à Davos, en Suisse, victime de troubles respiratoires liés à sa tuberculose. Ce vaste domaine en bord de mer avec ses neuf jardins et sa villa méritait bien une visite approfondie. Encore un voyage dans une certaine "recherche du temps perdu" !

mardi 1 mars 2022

Escapade à Antibes, 2

 Dès le matin, régnait un ciel d'un bleu pur sans nuages. Je suis partie à Beaulieu-sur-Mer pour visiter la villa Kérylos, située sur la pointe rocheuse de la baie des Fourmis derrière laquelle se dressent les falaises d'Eze. En février, je savais que les touristes ne seraient pas nombreux pour déambuler dans cet espace exceptionnel et j'ai eu la chance d'arpenter les salles avec un public très restreint. Une aubaine m'était donc offerte dans cette belle météo de février. Comme j'aime tout particulièrement la Grèce antique, je ne pouvais pas manquer cette véritable invitation au voyage dans la civilisation grecque. Ce rêve architectural est né dans la tête de Théodore Reinach, archéologue et homme d'Etat français, député de Savoie en 1906, qui a inventé cette villa avec l'architecte Emmanuel Pontremoli. La demeure est une œuvre d'art dans une reconstitution scrupuleusement fidèle. Sa construction est composée de matériaux les plus précieux : stucs à l'antique, marbres de Carrare, bois exotiques pour le mobilier. La décoration somptueuse révèle des mosaïques et des fresques de scènes mythologiques. Un péristyle, vaste cour intérieure, entouré de 12 colonnes en marbre, symbolise le cœur de la maison et au rez-de-chaussée se trouvent les salons, la salle à manger, la bibliothèque et les thermes. Les chambres et les salles de bain se situent au premier étage. La famille Reinach passait les vacances dans ce lieu singulier d'une beauté que l'on rencontre sur une île grecque. Ce même Reinach possédait le château de la Motte-Servolex. A sa mort, il légua sa propriété, classée monument historique, à l'Institut de France. Les frères Reinach, issus d'une famille de banquiers d'origine allemande, ont montré des capacités intellectuelles exceptionnelles. Le roman biographique de cette famille, écrit par Adrien Goetz, "Kérylos" raconte le destin des trois frères que la passion de l'archéologie réunissait. L'un des frères a dirigé le Musée national de l'Archéologie à Saint Germain en Laye. Hellénistes convaincus, ils ont vécu à l'antique dans cette merveilleuse bâtisse. La mer berce la villa et chaque pièce de vie offre un panorama sublime sur la baie de Beaulieu. J'ai parcouru le jardin ponctué de statues et de plantations méditerranéennes. Je m'imaginais en vacances dans ce lieu magique lisant Homère et Platon, dégustant de la pastèque et des yaourts grecs et levant les yeux sur ce bleu profond et nu de la mer toute proche. Un rêve, cette villa grecque et grâce à la générosité de Monsieur Reinach, nous pouvons la visiter avec un billet d'entrée, un billet vers un paradis de la Grèce antique. Une distorsion historique très appréciable. Un lieu incontournable de la Côte d'Azur pour les amoureux(ses) de la Grèce antique.