mercredi 13 juillet 2022

"La Force des choses", 2

 Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre ont donc conclu un pacte d'alliance assez original pour l'époque qui laissait à chacun une "autonomie sexuelle" à condition qu'ils se révèlent ces relations amoureuses ponctuelles. Ils contrevenaient ainsi à la morale bourgeoise traditionnelle qu'ils considéraient comme hypocrite. Le couple s'interdit le sentiment de jalousie et par contre, leur partenaire respectif devait certainement souffrir de ce pacte fondateur dans leur entente secrète. Peut-être, vivaient-t-ils ce mode de vie libertaire avec une certaine insouciance car ils n'ont pas eu d'enfant et ont vécu chacun dans leur appartement. Ils passent malgré tout beaucoup de temps ensemble pour voyager. Sartre rencontre M., avec laquelle il aura une liaison de plusieurs années. Simone de Beauvoir rencontre Nelson Algren, écrivain américain et amoureux fou de cette Française célèbre. Il veut qu'elle quitte Paris pour le rejoindre mais il lui est impossible de quitter Sartre. Leur relation prend fin et Algren se remarie avec son ex-femme ! L'écrivaine fait face, se ressaisit et assume cette rupture. Quelque temps après, elle démarre une relation avec Claude Lanzmann, plus jeune qu'elle : "Nous savions cependant qu'il y avait entre nous dix-sept années de différence : elles ne nous effrayèrent pas. Quant à moi, j'avais besoin de distance pour engager mon cœur car il n'était pas question de doubler mon entente avec Sartre. Algren appartenait à un autre continent, Lanzmann à une autre génération : c'était aussi un dépaysement et qui équilibrait nos rapports".  Le lien avec Sartre était indestructible. Un élément va entrer en compte : la prise de conscience qu'elle "vieillit" alors qu'elle se trouve dans la "cinquantaine". Elle ressent une perte de vitalité pour entreprendre de longues marches dans la nature et voit apparaître des rides sur son visage. Elle écrit : "Signe de vieillesse : l'angoisse de tous les départs, de toutes les séparations. Et la tristesse de tous les souvenirs parce que je les sens condamnés à mort". Des réflexions sur ce sujet rappellent son essai important sur la vieillesse qu'elle écrira plus tard. Dans "La Force des choses", lui vient l'idée d'étudier la condition féminine : "Je regardai et j'eus une révélation : ce monde était un monde masculin, mon enfance avait été nourrie par les mythes forgés par les hommes". Elle mettra deux ans pour écrire "Le deuxième sexe" qui paraîtra en 1949 et qui va changer la condition des femmes. Ses mémoires deviennent vraiment intéressantes quand elle évoque sa vie d'écrivain : ses essais et ses romans, leur matrice, leur écriture, le temps nécessaire et une solitude certaine pour se consacrer à son œuvre. Dans cette période décrite, elle parle de ses romans, "L'Invitée", "Le sang des autres" et les "Mandarins". La vie littéraire française très imbriquée dans celle de Simone de Beauvoir est racontée avec beaucoup de malice et de recul. Une rencontre avec Colette se lit avec intérêt et elle évoque souvent un Albert Camus, fêtard, infidèle et querelleur. Une image loin de celle qu'il diffusait. Leur amitié prendra fin après la publication de son essai en 1951, "Un homme révolté". Simone de Beauvoir revendique le terme d'intellectuelle : "L'écueil sautait aux yeux : nous étions des intellectuels, une espèce à part, (...) mais, après tout, nous étions des êtres humains, juste un peu plus soucieux que d'autres d'habiller notre vie en mots". Elle fait un éloge permanent de la littérature, une obsession quotidienne pour elle : "une passion, disons une manie. Au réveil, une anxiété ou un appétit m'oblige à prendre tout de suite mon stylo". La suite, demain.