mercredi 10 août 2022

Marcel Proust, "Du côté de chez Swann", 3

 Un texte particulier, "Un amour de Swann" se détache dans l'ensemble du premier volume, "Du côté de chez Swann", publié en 1913 à compte d'auteur, Gallimard ayant refusé le manuscrit. Le narrateur revient sur Charles Swann une quinzaine d'années avant sa rencontre à Combray. Le récit est écrit à la troisième personne. A Paris, le salon des Verdurin, de riches bourgeois mécènes, attire de nombreux artistes et des personnalités diverses : le docteur Cottard, l'archiviste Saniette, le professeur Brichot, le peintre Biche qui deviendra célèbre sous le nom d'Elstir, le musicien Vinteuil. Charles Swann, esthète et amateur d'art, rencontre Odette de Crécy, une des habituées du salon et elle l'introduit dans ce milieu huppé. Charles Swann, toujours très élégant, crée autour de lui une grande impression car il fréquente des princes, des ambassadeurs et des académiciens. Séducteur invétéré, cet homme esthète se prend de passion pour Odette qui le fuit pour susciter sa jalousie. Pourtant, sa lucidité ne l'empêche pas de voir Odette comme une femme peu profonde et peu cultivée dont il ignore le passé. Sa passion amoureuse pour Odette est inspirée par l'art car il la compare à une femme de Botticelli. Amoureux d'une image, il finit par s'aveugler et ne perçoit pas en elle une duplicité certaine. Pour contrarier l'amour de Swann, Madame Verdurin joue l'entremetteuse entre Odette et ses amours illicites. Charles Swann est rejeté du salon et cette mise à l'écart le rend fou de jalousie. Il se met à espionner Odette, à la traquer dans Paris, car il la soupçonne d'infidélités. Marcel Proust décrit à travers ce couple disparate l'amour comme une "maladie". Un personnage central, Madame Verdurin, règne sans partage dans ce milieu de snobs. Cette "patronne" est décrite comme une femme ridicule, voire idiote et l'humour grinçant de Proust éclate dans ce portrait haut en couleurs. Une scène mythique se dessine aussi dans la passage sur la sonate de Vinteuil, un passage initiatique vers le monde de l'art. Malgré une lettre de dénonciation concernant la vie débridée d'Odette, collectionnant amants et maitresses, Charles Swann s'obstine à l'adorer. Il l'épouse, aura une fille avec elle mais finira quand même par se lasser d'elle. Cette citation résume la pensée de Marcel Proust sur l'illusion amoureuse : "Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre". Un roman dans le roman, cet "Amour de Swann", fascinant, délirant, la matrice de la Recherche.