mardi 13 avril 2021

"Agent secret"

 Un personnage mythique de la scène littéraire m'intéresse depuis longtemps : il s'agit de Philippe Sollers, l'un des plus grands écrivains français du XXe. J'ai donc lu "Agent secret" dès sa sortie en mars, publié dans la très belle collection du Mercure de France, "Traits et Portraits". Lui, l'homme de lettres par excellence, le "Lettré", le "Cultivé", écrit dès la première page : "Contrairement aux apparences, je suis plutôt un homme sauvage, fleurs, papillons, arbres, îles. Ma vie est dans les marais, les vignes, les vagues". Il se livre avec une totale liberté dans ce texte autobiographique et revient sur les grandes étapes de sa vie. Mais, Philippe Sollers à 84 ans, donne encore une leçon de vie. Il ne deviendra jamais un octogénaire plaintif et nostalgique de son passé et semble avoir passé un pacte avec une jeunesse éternelle. Ses identités multiples rappellent le titre qu'il a choisi pour cet essai autobiographique : "Agent secret". C'est vrai qu'il aime le secret, notre écrivain bordelais. Comment le définir entre son goût pour l'Eglise catholique, son admiration pour la Chine maoïste, sa passion du XVIIIe siècle, sa fascination pour la littérature d'avant-garde ? Cet homme d'une culture encyclopédique rejette le prêt à portée de la pensée contemporaine. Unique, Philippe Sollers. Il a aimé Dominique Rolin, l'écrivaine belge, de vingt ans son aînée et il a vécu cet amour secret à Venise. Il partage sa vie avec l'éminente écrivaine et psychanalyste, Julia Kristeva dont il a un fils. Il n'oublie pas non plus son premier amour d'adolescent : Eugenia. Dans cet ouvrage émouvant, il parle de son enfance à Bordeaux, de ses parents merveilleux, de ses aïeux, de sa vie d'écrivain et de voyageur.  Il rend un hommage vibrant à ses artistes et écrivains de prédilection : "Je suis Ulysse, Nietzsche, Baudelaire, Watteau, Rimbaud, Cézanne, Proust, Poussin et Hölderlin, bien sûr". Son pêle-mêle des rencontres nourrit le texte, l'enrichit en éclats lumineux. L'écrivain rappelle sa passion de la liberté individuelle : "Il y a des personnes, et pas de généralisations possibles (...) Tout communautarisme me paraît imbécile. Pas d'inconscient collectif non plus, que des inconscients super-privés". Plus loin, il réaffirme : "Toi, c'est toi, moi, c'est moi, et voilà, et bonne chance". Philippe Sollers évoque ses paradis géographiques : l'Ile de Ré et Venise. Ses descriptions de ces lieux magiques où un certain bonheur est possible pour lui font partie de son art de vivre et d'écrire. Cet ouvrage scintille d'intelligence, de culture, d'amour, de gratitudes envers tous les êtres qu'il a rencontrés dans sa vie aussi bien ses femmes amoureuses que des écrivains fascinants. Je laisse la parole à cet écrivain singulier, libre, vivant : "Agent secret, c'est s'exposer à une extrême solitude. Isolé absolu, indéfendable. On risque beaucoup. Etre contre le mensonge social, le mensonge humain en général. Contre la résignation, contre la soumission dans laquelle, hélas, tout porte à croire que nous sommes rentrés de nouveau". A la fin de son récit autobiographique, illustré de très belles photos privées, il se compare à Ulysse, l'homme aux mille tours et se sent protégé par Athena... Cette énième identité ajoute à sa carte de séjour terrestre une aura particulièrement placé sous le signe d'un destin assez remarquable. Philippe Sollers, un écrivain délicieusement français, un libre-penseur du XVIIIe et un amoureux de la vie.