vendredi 23 février 2018

"Carnets, Mai 1935-Février 1942"

Quand Albert Camus écrit dans ses cahiers, il a à peine 24 ans ! Et déjà, le lecteur(trice) peut deviner le génie de l'écrivain. D'une curiosité insatiable, ses notes se succèdent sans plan ; anecdotes sur sa vie de jeune homme, commentaires sur ses lectures, projets d'écriture, propos philosophiques, descriptions poétiques, voyages. Ses textes s'apparentent à des "miscillanées", genre littéraire particulier composant une sorte de mosaïque, de fragments, de mélanges divers sans unité évidente. J'ai relu cet ouvrage, édité en coffret chez Gallimard, dans la collection Folio avec un regard très différent et cette expérience de "relecture" m'attire au fil des années qui passent. Plus on lit, plus on relit... Et j'éprouve un sentiment de gratitude envers ces grands classiques contemporains qui m'ont nourrie pendant cinquante ans. Albert Camus traverse les années sans subir le tunnel de l'oubli tellement son univers demeure actuel. Ses interrogations sur la condition humaine me semblent plus modernes que toute l'œuvre d'un Sartre, d'un marxisme trop clivant. Ce jeune Camus aime profondément la vie sans nier son propre désespoir : "Et même dans cette tristesse en moi, quel désir d'aimer et quelle ivresse à la seule vue d'une colline dans l'air du soir". Il est touché par l'Italie, la Grèce, où son exaltation s'exprime ainsi : "Lécher sa vie comme un sucre d'orge, la former, l'aiguiser, l'aimer enfin comme on cherche le mot, l'image, la phrase définitive (...), écrire, ma joie profonde !". La genèse de ses livres se dessine dans ses carnets passionnants quand il note des plans, des esquisses d'histoire, des extraits. Ces carnets confirment la profonde humanité de Camus dans sa morale exigeante ("Ne pas renoncer. Ne jamais renoncer), sa fidélité à ses origines modestes, sa recherche de l'équilibre entre bonheur et désespérance. J'ai redécouvert aussi son talent poétique dans ses descriptions de la nature, du soleil et de la mer dans son pays natal, l'Algérie. Il écrit ainsi : "Il suffit d'un grand morceau de ciel et le calme revient dans nos cœurs trop tendus". Il n'oublie pas de noter l'atmosphère étouffante de la Guerre à Paris et l'écriture se teinte d'inquiétude et d'anxiété. Journaliste à Paris-Soir, l'écrivain doit se réfugier à Oran. Il se marie à cette époque et commence sa carrière d'écrivain, une vie exemplaire vouée à la littérature...