jeudi 25 février 2016

Atelier d'écriture

J'ai retrouvé avec un très grand plaisir, Mylène et les collègues en écriture ce mardi 23 février. Nous avons composé notre exercice après la lecture d'un texte, extrait du dernier livre de Maylis de Kerangal, "En ce stade de la nuit". Elle évoque la magie des noms propres, créateurs d'images, de sons, de rêveries fortes et profondes. Notre animatrice, toujours aussi disponible et à l'écoute nous a donné la consigne suivante : "Inspirez-vous de ce texte avec une phrase initiale "Je songe à ces noms" sur les lieux et une phrase intermédiaire, "à des personnages qui se nomment". Voici mon texte :
"Je songe à ces noms propres qui s'appellent  New York, Buenos Aires, Vancouver, San Francisco, Copenhague, Oslo, des villes où j'irai un jour. Je me revois crapahuter en pensée dans les ruelles pentues de Porto et de Sienne. Je partage mon enthousiasme pour un Berlin en chantier permanent. Je me noie d'admiration à Venise et je suspends le temps à Amsterdam. Je me vois déjà découvrir Naples et me perdre dans Pompéi. Je marche sur la plage d'Ilbarritz, dans la forêt d'Iraty et je randonne sur la sublime Rhune. Je rencontre Virginia Woolf à Londres et Fernando Pessoa à Lisbonne. Je trinque avec Socrate à Athènes. Je mange des churros trempés dans un chocolat épais à Madrid et je pleure d'émotion devant le Guernica de Picasso. Je rends hommage au Caravage à Rome et à Morandi à Bologne. Mon odyssée géographique, je l'imagine à chaque heure du jour. Mais, je pense aussi à des personnages qui se nomment Antigone, ma rebelle,  Athéna, ma guerrière,  à Achille et à Hector, mes rudes combattants. Je fais un bond de trois mille ans pour retrouver, à Paris, la petite Cosette que je prends dans mes bras et encourage Marius sur les barricades. Nous chantons la Marseillaise et glorifions la République. Je préviens Emma Bovary de s'intéresser plutôt à son mari qu'à ses amants. Tous les noms propres fouettent mon imagination et se font chair, s'incrustent dans ma propre réalité. En mon nom propre, je suis un lieu, un personnage, un rêve..."
Le deuxième exercice consistait à écrire un tout petit texte à partir d'un nom propre géographique. J'ai choisi Machu Picchu :
"Mon petit chou, mon tout pitchou,
Je suis mapi, j'ai l'âme chuma et le cœur chipi, je pars donc à Machu Picchu, une bourgade au fond d'une vallée perdue que des âmes errantes hantent depuis la naissance du temps. Je pars retrouver la mienne, peut-être."

mardi 23 février 2016

Réforme de l'orthographe

L'orthographe ou ortografe, j'avoue que je préfère la première façon d'écrire ce mot d'origine grecque : ortho pour droit et graphie pour écriture... Encore une idée décalée et inutile de notre ministre de l'Education qui a pourtant des chantiers bien plus importants à gérer que de s'occuper de notre orthographe française. J'ai eu la curiosité de lire les nouvelles consignes que l'on trouve facilement sur Google. J'ai vérifié quelques modifications ou simplifications souhaitées et j'avoue que ces changements me laissent perplexe. Ecrire au singulier, compte-goutte au lieu de compte-gouttes, weekend au lieu de week-end,  tictac et non plus tic-tac, ne plus poser l'accent circonflexe sur certains mots, mettre des tirets aux adjectifs numéraux (deux-cents, vingt-et-un), etc. Pourquoi pas ? Mais il semble que nos fonctionnaires de l'éducation admettent que les deux manières d'écrire peuvent cohabiter... Alors, pourquoi faire cette réforme ? Mystère... J'ai beaucoup apprécié l'article de Cécile Ladjali dans le Monde du vendredi 19 février : "Oublier l'histoire des mots, c'est renoncer à nous-mêmes". L'auteur très sensible aux problèmes de l'illettrisme défend l'orthographe en son état actuel. Son texte plaide pour la mémoire des mots qu'elle compare aux "gracieuses auréoles du bois des arbres". J'ai retenu surtout ce passage : "Nous habitons notre langue et trouvons dans le langage un confort douillet dès lors que l'habitacle est solide."  Elle ne nie en rien que la langue française est difficile, que vaincre l'orthographe demande un effort, une règle, une discipline. Si l'on renonce à cette exigence, le monde sera divisé en deux camps : "d'un côté, les riches de mots qui auront appris le latin ou le grec et orthographieront correctement ; de l'autre côté, les pauvres de mots qui flotteront parmi les signes, en subissant le joug humiliant de ceux qui parleront et penseront à leur place." Je partage entièrement son parti pris contre la "misère linguistique" et l'école de la République doit donner à chaque élève la chance de parler et d'écrire la langue française sans céder au laxisme et à l'abaissement du niveau. Faire des fautes d'orthographe n'est en aucun cas un "crime" linguistique, mais chacun peut réaliser des efforts pour surmonter les difficultés orthographiques en considérant ce devoir comme un jeu d'une jubilation sans fin...

lundi 22 février 2016

Rubrique cinéma

Le film de Mikhaël Hers, "Ce sentiment de l'été" m'a attirée pour son titre nostalgique et son sujet. Les premières images montrent une jeune femme et son compagnon à Berlin. Ils sont amoureux et elle s'extrait du lit pour aller travailler dans un atelier d'art. A la fin de la journée, elle traverse un parc et s'effondre. Sasha, française d'origine, se retrouve à l'hôpital et meurt peu après. Sa famille et son compagnon se réunissent pour l'enterrement. Mais, le réalisateur ne filme pas les événements factuels, il préfère les "après", les réactions de Lawrence et de la sœur, Zoé. La perte d'un être cher dans toute sa jeunesse surgit brutalement et provoque un séisme affectif insupportable. L'entourage de Sasha est dévasté par le chagrin. Le sujet majeur du film pourrait se résumer dans la question du personnage central à Zoé : "Comment tu fais pour vivre ?" Trois étés nous sont proposés pour suivre le deuil de la famille et de Lawrence. De Berlin à Paris, de Paris à New York, Lawrence et Zoé se rapprochent, se frôlent et l'on se demande si une histoire d'amour va naître entre eux. Zoé se sépare du père de son enfant. Les parents se reconstruisent dans leur maison du lac d'Annecy. Lawrence travaille à ses traductions dans un abattement moral compréhensible. Zoé rejoint Lawrence à New York pour séjourner dans le Tennessee. Leurs retrouvailles amicales et non amoureuses terminent le temps du deuil car chacun va suivre son chemin : un nouvel amour pour le jeune homme et un nouveau projet pour Zoé. "Ce sentiment de l'été" évoque l'après-vie de ceux qui perdent la raison d'aimer. Le temps du deuil permet aussi de se reconstruire et de s'inscrire à nouveau dans un projet de vie. Un beau film intimiste, sobre, dramatique et pourtant teinté d'espoir.

vendredi 19 février 2016

"Quatuor"

Cela fait longtemps que je lis Anna Enquist, une écrivaine majeure de la littérature néerlandaise. Son œuvre romanesque démarre en 1999 avec "Le chef d'œuvre", se poursuit tous les trois ans avec "Le secret", "Les porteurs de glace" jusqu'aux "Endormeurs", publié en 2014. Dès que l'on ouvre la première page d'un "Enquist", on le lit jusqu'à la dernière tellement elle enveloppe son lecteur(trice) avec une musique troublante, liée à la texture du récit et aux thèmes qu'elle orchestre avec une maestria d'une finesse inouïe. Comme l'auteur est aussi une pianiste concertiste, la musique tient le rôle principal dans ses livres, surtout dans son dernier au titre significatif, "Quatuor". L'action se déroule à Amsterdam, de nos jours. Un groupe d'amis forme un quatuor d'amateurs et se retrouve régulièrement pour interpréter un quatuor de Mozart. Leurs relations en dehors de ces rencontres musicales sont tissées d'amitié et s'entremêlent, se heurtent parfois. Caroline, violoncelliste, travaille en tant que médecin. Jochem, son mari, l'alto du groupe, est luthier. Heleen, deuxième violon, assiste Caroline comme infirmière et Hugo, premier violon, dirige un centre culturel. Les membres du quatuor traversent tous une crise particulière : le couple Caroline-Jochem a perdu leurs deux garçons dans un accident de la route, Hugo se débat dans un conflit avec la mairie moins encline à financer la culture. Heleen s'investit dans un échange de lettres avec un prisonnier. Un cinquième personnage, Reiner, un musicien âgé et solitaire, se débat dans les difficultés provoquées par la maladie. Le défi de l'auteur consiste à mettre en scène et en musique ces adultes bousculés par leurs chagrins, leurs doutes et leurs peurs devant un monde inhospitalier et inquiétant. L'irruption violente d'un criminel en cavale au sein de leur quatuor en pleine répétition symbolise pour Anna Enquist la menace d'une société malade et ayant perdu ses repères. La musique classique n'intéresse plus personne, la culture aussi et les Chinois achètent les bâtiments historiques... Anna Enquist, avec un doigté de pianiste, évoque les changements sociétaux que tous les pays européens subissent. Ce roman passionnant se lit d'une traite et, pour ma part, j'ai vraiment apprécié me retrouver à Amsterdam, une ville extraordinaire, écouter même en mots les quatuors de Mozart et de Schubert, accompagner des personnages fragiles et courageux. Lire Anne Enquist réconcilie tous ses lecteurs(trices) avec la littérature, la bonne, la très bonne littérature.

jeudi 18 février 2016

"Lire, vivre et rêver"

Quand j'ai remarqué l'ouvrage avec ce titre-programme, "Lire, vivre et rêver" sur une table de la librairie Garin, je n'ai pas hésité une seconde à l'acquérir en lisant l'annonce suivante : "Vingt et un écrivains racontent avec passion et humour les livres et les librairies qui ont changé leur vie...". Le compilateur du recueil, Alexandre Fillon, a donc convié Olivier Adam, Anne-Marie Garat, Dominique Barbéris, Jean-Philippe Blondel, Nina Bouraoui, Pierrette Fleuriaux pour ne citer que les plus connus. Ce regard d'écrivains sur les librairies, lieux indispensables pour la diffusion des livres (de leurs livres aussi), ne pouvait que me ravir. Je suis persuadée que l'on devient écrivain en labourant les terres de mots des confrères passés et présents. Un écrivain égale un lecteur, un immense lecteur. Je n'imagine pas des écrivains spontanés, hors sol littéraire et n'ayant aucune connaissance des écrits antérieurs. Je crois à la passation des héritages culturels et ce fil tendu ou ce bâton de relais se transmet de génération à génération pour aimer les livres et la littérature. J'ai retrouvé dans ces textes des librairies que j'ai fréquentées à Paris et en région qui ont malheureusement disparus comme la Hune à Saint Germain des Prés. J'ai reconnu des habitudes qu'ont certains auteurs considérant ces lieux comme des résidences secondaires dans leur ville ou qui les cherchent dès qu'ils arrivent dans une ville étrangère. Dans mes escapades européennes, j'ai dans mon programme, la visite des librairies les plus originales, aussi bien les librairies anciennes que les modernes. En lisant cet ouvrage, je découvrais que les amoureux des librairies vivent des expériences communes, liées à l'accueil des libraires, à leur culture évidente et originale. Certains constatent avec regret la fermeture de ces lieux fragiles. Et l'ouvrage évoque un grand nombre de librairies de province. J'ai été moi-même libraire à Bayonne dans les années 70 et ce métier m'a passionnée. Hélas, les impératifs économiques (c'était le temps du prix libre du livre) ont pesé dans ma décision de fermer mon échoppe de livres (nouveautés et d'occasion) pour devenir plus tard bibliothécaire. Les écrivains racontent aussi leurs premiers pas dans l'approche des librairies, matrices de leur imagination pour créer leurs œuvres. Nina Bouraoui écrit : "Les livres forment des ponts entre ceux qui les défendent et ceux qui les écrivent. Des ponts qu'aucune dynamique ne pourra faire tomber. Des ponts qui lient deux rives différentes, jamais opposés." Je ne peux pas passer une semaine sans aller faire un tour en librairie, une balade tout aussi bénéfique que celles que je fais au bord du lac...

mardi 16 février 2016

"Le Tabac Tresniek"

Ecrivain autrichien, Robert Seethaler vit à Berlin et son roman, "Le Tabac Tresniek" n'a pas obtenu de prix (quel dommage...) car il aurait mérité le prix Médicis étranger. Franz, le personnage principal, vit avec sa mère dans la Haute-Autriche et celle-ci le recommande auprès d'un ancien ami, le buraliste Otto Tresniek, à Vienne. Le jeune homme se fait recruter par le buraliste et commence pour lui son éducation sentimentale et politique. Il rencontre une jeune femme polonaise, Anezka, danseuse de cabaret qui l'initie à l'amour. Mais, elle ne donne pas suite à cette liaison éphémère. Franz, déçu et perturbé, ne comprend pas les femmes et demande conseil à l'un des clients de l'échoppe. Ce client particulier n'est autre que l'immense Sigmund Freud, un grand amateur de cigares, que le jeune homme veut consulter pour qu'il comprenne le mystère féminin. Leur complicité les aide à supporter l'ambiance lourde et terrible de la montée du nazisme dans une ville pourtant célèbre pour sa culture, sa musique, sa littérature. Le jeune Franz assiste à l'arrestation de son employeur car celui-ci a le courage de refuser le tri des clients : il veut vendre sa presse et son tabac aux Juifs comme aux autres. Le jeune homme gère le magasin mais son monde s'effondre quand il apprend l'exil de Freud à Londres en 1938 avec sa famille. Le psychanalyste observe avec désespoir la diffusion pestilentielle du national-socialisme. Dans la revue Lire, le roman est recommandé : "A ces événements tragiques et déjà beaucoup chroniqués, l'écrivain ajoute une touche de poésie, et même un soupçon d'humour, cette politesse du désespoir qu'il saupoudre avec tact." Ce roman vient de sortir en Folio, il faut vite l'acquérir...

lundi 15 février 2016

Rubrique cinéma

Le film d'Anne Fontaine, "Les Innocentes" nous plonge dans la Pologne de 1945. Une jeune femme médecin, Mathilde Beaulieu, travaille à la Croix Rouge et elle est chargée de soigner les soldats français avant de les rapatrier. Un soir, elle remarque la présence d'une religieuse polonaise qui lui demande une aide urgente pour une de ses consœurs. Mathilde accepte de l'accompagner pour rejoindre le couvent où vivent cloitrées une cinquantaine de Bénédictines. La jeune médecin découvre avec effroi que quelques sœurs attendent un bébé. Elle va nouer des relations avec ces femmes en détresse qui ont subi des viols quand des soldats russes ont envahi le couvent. Ces religieuses ont un rapport interdit à leur corps et en particulier à leur grossesse qu'elles vivent avec horreur. Mathilde va peu à peu construire un rapport amical avec l'une d'entre elles qui soutient ses sœurs. Mathilde n'est pas croyante et ne comprend rien à cette vocation religieuse exclusive. Mais, elle se porte au secours de ces femmes avec un dévouement et une solidarité sans faille. La vie de ces Bénédictines est relatée avec une austérité et une simplicité liées à leur mode de vie extrêmement dur et quasiment inhumain. Les bébés sont tout de suite placés dans des familles d'adoption, leurs mères biologiques n'ayant aucun droit et aucune chance de les garder. Mais, Mathilde perturbe ce fonctionnement de la règle stricte. La mère abbesse, au cœur d'acier, nie la situation et emporte un bébé pour le laisser mourir au pied d'un arbre, geste fou du rejet total de la vie. Mathilde et une sœur organisent les accouchements successifs en secret pour que le scandale n'éclate pas. Ce film retrace avec une justesse incroyable le mode de vie des Bénédictines entre les chants grégoriens, les repas, les soirées entre elles. Lou de Laâge, actrice émouvante et attachante, joue le rôle du médecin. Son charme fou donne au film une lumière chaleureuse, soutenue par une musique envoûtante. Il faut découvrir "Les Innocentes" pour son sujet pourtant difficile, ses paysages de neige, la souffrance de ces femmes violées et la présence généreuse de la jeune femme médecin. Un beau film sur la solidarité féminine.

jeudi 11 février 2016

Poésie/Gallimard, 50 ans d'âge

Ils sont nombreux les lecteurs(trices) qui ont ouvert avec gourmandise un fascicule de cette collection fêtant son cinquantenaire en 2016. Ces ouvrages en poche ressemblent  à un Poche, un Folio, un 10/18 ou un Points/Seuil. Mais, son format rectangulaire, sa couverture blanche d'une sobriété élégante, son papier de qualité et la photo du poète sur la couverture en bande-annonce le distinguent de toutes les collections de poche. D'un coût modique (à partir de 9 euros), ils forment sur une étagère un ensemble d'une présence rassurante. Née en 1966 sous l'égide de Claude Gallimard, la collection a réuni les poètes français classiques de Villon à Aragon (le record de vente pour Apollinaire, vendu à plus de deux millions d'exemplaires). Viennent ensuite Baudelaire, Eluard, Rimbaud et Francis Ponge et tous les ans, plus de 350 000 exemplaires rejoignent les tables de chevet des lycéens et des amoureux de poésie. Encore des chiffres pour compléter mon portrait de la collection : 503 titres disponibles en librairie et 249 auteurs.  André Velter, poète et homme de radio, dirige la collection et lui a donné une dimension internationale en proposant une quarantaine d'édition bilingue. Dante, Lorca, Neruda, Sappho, Rilke, Pasolini sont ainsi proposés dans leur langue originelle. Ces plaquettes de poésie m'accompagnent depuis longtemps et quand j'étais libraire, je me souviens d'un jeune lycéen qui m'avait dérobé un exemplaire de la collection. J'avais fermé les yeux, me réjouissant qu'il emporte dans son sac, ce trésor de mots. A chaque création de bibliothèque, je me devais de rassembler une bonne centaine de titres pour le secteur poésie. C'est réjouissant de vérifier que certaines références culturelles perdurent dans le temps et je remercie la maison d'édition Gallimard de diffuser la poésie classique, les contemporains français et étrangers, les anthologies variées (Oulipo, les Haïkus, les poésies nationales, des siècles passés, etc.). Je livre quelques noms de poètes que je feuillette régulièrement : Georges Perros, Pierre Reverdy, Pessoa, Ponge, Guillevic, Lorca, et bien d'autres. Je m'efface devant cet phrase de Pierre Reverdy : "La poésie semble donc bien devoir rester le seul point de hauteur d'où il puisse encore, et pour la suprême consolation de ses misères, contempler un horizon plus clair, plus ouvert qui lui permette de ne pas complètement désespérer. Jusqu'à nouvel ordre (...), c'est dans ce mot qu'il faut aller chercher le sens que comportait autrefois celui de liberté".

mardi 9 février 2016

"Les Portes de Fer"

J'ai déjà évoqué cet écrivain danois dans le cadre de l'atelier de lectures de janvier. Son avant-dernier roman, "Les Complémentaires", avait été apprécié par l'ensemble des lectrices de l'atelier. J'ai tout de suite acheté en librairie son tout dernier livre, "Les Portes de Fer", publié chez Gallimard. J'ai retrouvé le même état d'esprit dans ce texte attachant. Jens Christian Grondahl nous brosse le portrait d'un homme dans trois moments de sa vie : sa jeunesse, sa vie d'adulte et sa maturité. Le narrateur revient sur ses jeunes années, sa découverte de la littérature allemande (Thomas Mann en particulier),  son engagement communiste. Il doit aussi assumer une vie de famille avec une mère souffrant du cancer, un père débordé et une sœur accaparée par son couple. Il part à Berlin rejoindre la fille de son professeur de lettres et découvre la sensualité. Mais cet amour de jeunesse va s'éteindre brutalement, et il entreprend sa période d'homme adulte, devenu père de famille et professeur de lycée. Lors de la quarantaine, il finira par divorcer et vivra un célibat volontaire. Il semble que ce volet "famille" se referme et le narrateur choisit sa solitude sans éprouver de regret. Intervient dans le roman la période "serbe" comme un thème central car il accueille chez lui un étudiant immigré des Balkans qui lui présente sa mère dont il tombe amoureux. Mais, cet intermède fera long feu. Ensuite, la soixantaine le libère des obligations sociales et professionnelles. Il s'est éloigné de son père, de sa fille, de son ex-femme. Il part à Rome et décrit son séjour solitaire. Il rencontre une jeune photographe danoise qui va peut-être lui redonner le goût de vivre. Ce livre offre une musique "grondahlienne" où on entend murmurer les confidences de l'écrivain sur l'amour, le couple, la famille, la société. Le sentiment de solitude domine le texte et malgré les amours et les relations, le narrateur vit une sorte d'exil intérieur, une difficulté de vivre que l'on retrouve dans toute son œuvre. L'année commence bien avec Jens Christian Grondahl, un grand écrivain contemporain venu de Copenhague...

lundi 8 février 2016

Rubrique presse

J'ai toujours pratiqué la lecture de mensuels littéraires et de temps en temps, j'ai envie d'en parler. En ce début d'année, le Magazine littéraire, nouvelle formule,  propose un grand entretien  sur la littérature contre le Mal, avec un dialogue entre Mathias Enard et Kamel Daoud. La revue est devenue beaucoup plus éclectique et dans son sommaire, j'ai enfin compris sa composition : des articles sur l'esprit du temps, un grand entretien, un portrait (Olivier Adam), des critiques fiction et non-fiction. Les romans commentés dans la revue parviennent à se distinguer dans la masse des écrits publiés car une critique parue dans ce magazine relève déjà d'une distinction équivalente à un prix... Le dossier du mois de février propose "l'art de la ponctuation : un point, c'est tout". Hélène Cixous, Gérard Genette, Michel Deguy, et d'autres évoquent cet art si complexe de la place des virgules, des points-virgules, des deux points dans une phrase... On a repéré dans un texte de Proust 10 points-virgules, 119 virgules, 8 parenthèses, 1 point. Ce numéro, malgré la technicité du dossier, traite d'un sujet original et comme on parle de réforme de l'orthographe, et que l'on va perdre l'accent circonflexe sur certains mots, la ponctuation sera-t-elle mise en question car trop compliquée ? La deuxième revue, Lire, pose la question essentielle : "Pourquoi lire, délivre : la lecture contre l'ignorance, l'écriture contre la terreur." J'ai lu avec plaisir, dans ce numéro, des portraits d'une bibliothécaire de prison, d'une animatrice d'un club de lecture, d'une professeur de français, d'un libraire itinérant des Ardennes. En plus des critiques des nouveautés, de nombreuses informations sur le monde des livres, j'ai remarqué un entretien très intéressant d'Yves Coppens qui parle de son dernier livre sur la Préhistoire, "Des pastilles de préhistoire, le Présent du passé". La troisième revue de littérature, Transfuge, met à l'honneur Edouard Louis avec son "Histoire de la violence", un coup d'essai en coup de maître d'après la revue. Cette revue plus spécialisée dans la littérature étrangère et le cinéma tient une place particulière dans le milieu culturel plus branché, plus citadin et international. Lire des romans et des essais passe en amont par la découverte de ces livres dans la presse spécialisée...  

vendredi 5 février 2016

"Eboulement"

L'exposition, "Eboulement", de Jean-Luc Parant s'affiche sur de nombreux panneaux dans la ville. Par curiosité, je me suis rendue au musée des Beaux Arts de Chambéry lundi dernier. J'avoue que je ne connaissais pas cet artiste et en saisissant la plaquette de présentation, j'ai vite compris que j'avais devant mes yeux une exposition extrêmement originale et surprenante dans ce cadre institutionnel. Il est question de boules noires, présentées en sculptures, en peintures, en empreintes. Dans la première salle, deux textes du poète-sculpteur sont écrits sur deux murs où il est question de soleil et de terre, de dimensions, d'espace, de yeux. Etrange, ce texte et le deuxième évoque aussi le soleil, "son feu est la lumière qui éclaire le monde". Au milieu de la salle, trône une sphère noire fendue au milieu. Sur les murs, une série de toiles raconte la vie d'une boule noire. Je vais de surprise en surprise en pénétrant dans la deuxième salle volontairement obscure comme une caverne, une grotte. Dans un coin, un amoncellement de boules noires forme une colline. Sont étalées, à côté, les empreintes plates de ces sphères. Dans les vitrines, encore des boules... Devant une œuvre pareille, que ressentir ? L'art contemporain représente souvent à mes yeux un mystère à déchiffrer. Pourquoi pas ? Je déchiffre des textes en grec ancien avec mon professeur et j'aime bien me confronter à ces difficultés linguistiques ou artistiques. La plaquette sur Jean-Luc Parant me renseigne sur sa démarche de poète-sculpteur, obsédé par une thématique unique. L'artiste a choisi la boule qui "représente un morceau de temps et leur accumulation, un temps infini". Et puis, devant cette montagne de boules noires de toutes dimensions, je me permets d'interpréter cette œuvre singulière : libérons toutes ces boules noires en nous, des nœuds en chacun de nous, qui nous empêchent de vivre pleinement et ces objets sphériques me font penser sur le plan freudien à notre inconscient, terre submergée, refoulée, inaccessible, sauf pour les artistes et les visionnaires... Une exposition à Chambéry à voir pour connaître ce sculpteur-poète, qui provoque beaucoup d'interrogations. N'est-ce pas le rôle de l'art contemporain ?

jeudi 4 février 2016

"La vraie gloire est ici"

François Cheng est un poète français, né en Chine en 1929. Son œuvre, constituée de romans, poèmes, méditations et essais, lui a valu la "gloire" d'intégrer l'Académie française. Quand il est devenu français, il a lui-même choisi son prénom en hommage à Saint François d'Assise qu'il admire par dessus tout. Pourtant, il ne se revendique pas comme un auteur chrétien et n'évoque pas la culture religieuse. Son inspiration poétique se rapprocherait de la philosophie taoïste. Quand François Cheng évoque "la gloire d'ici bas", il prend le monde en témoin et se veut "frère" de tout ce qui vit, bouge, respire, et même se manifeste tout simplement dans une présence visible et concrète. Sa démarche poétique s'inspire d'une attitude proche de l'extase face à la vie simple, dépouillée, attentive comme l'a vécue le Saint italien. Il s'adresse à un galet ("toi, qui survis à tout, garderas-tu mémoire de cette singulière rencontre ?"), aux arbres, aux nuages, à la mer, à tous les éléments naturels dans lesquels nous vivons sans parfois ressentir leur existence. Chaque poème composé dans un langage clair et cristallin représente une expérience vitale. De forme classique ou court comme un haïku, le message du poète n'est-il pas dans ces deux vers : "Or voici, le vrai silence vient au bout des mots ; mais les mots justes ne naissent qu'au sein du silence". Il n'élude pas la douleur, la mélancolie, la peur, le doute et n'écrit pas avec un esprit de ravissement béat et stupide. Sa poésie de la célébration évoque aussi la mort, l'absence. Cette leçon de poésie apporte un réconfort tranquille et serein. Nous avons besoin, en ces temps assombris par les événements tragiques de l'année passée, de la voix des poètes. François Cheng murmure à nos oreilles que vivre ici bas constitue une "vraie gloire"...

mercredi 3 février 2016

Atelier d'écriture

Comme nous sommes très nombreuses à l'atelier d'écriture (douze exactement), Marie-Christine nous donne une seule consigne. Elle a lu trois textes courts de Claude Rignot, un auteur régionaliste, sur Valloire, en Savoie. Il s'agissait d'un facteur, d'une télébenne et d'un colporteur. Elle nous a demandé d'établir une liste des métiers et des objets disparus. J'ai choisi pour ma part, le solex.
Solex, le soleil de ma jeunesse,
J'ai commencé vraiment à grandir grâce à mon solex. Avec mes copines, nous étions la bande aux solex. Que de trajets sous la pluie, le vent, l'orage, la brume sans broncher, sans se plaindre ! Nous portions un poncho noir qui brillait sous les gouttes tel un soleil noir. Quand nous arrivions au lycée telles des cavalières de l'Apocalypse, nous descendions de nos chevaux à roues à la conquête du savoir. Pendant les vacances, nous enfourchions nos solex impériaux pour atteindre quelques territoires de notre Pays Basque authentique et secret. Attention à la panne d'essence lors de ces périples odysséens, il suffisait que l'on s'accroche à un bras ami pour se faire tirer jusqu'à la maison. Le solex ne nécessitait pas de permis. Economique et léger, ce cheval de fer avec son moteur un peu ridicule à l'avant, nous offrait un espace de liberté magnifique. Quel beau mot, commençant par sol comme solitude, solaire, et ce petit x pour boucler l'extrême modernité de l'outil ambulant ! Qui a vécu en solex jeune, vivra plus tard en "Deux chevaux", la fameuse et mythique "deuch" que j'ai achetée à un agriculteur béarnais, deux cent mille kilomètres au compteur... Ma jeunesse s'est enroulée autour de cette bécane mythologique et s'est achevée avec ma petite voiture qui m'a transportée là où je voulais. Ma jeunesse a roulé, roulé, roulé sur les chemins de mon petit coin d'Atlantique...

mardi 2 février 2016

Rubrique cinéma

J'ai vu la semaine dernière un très beau film, "Carol" du réalisateur américain, Todd Haynes. Adapté d'un roman de Patricia Highsmith, le spectateur se retrouve dans les années 50 à New York. Le personnage central, Carol, femme bourgeoise et élégante, remarque une jeune vendeuse dans un grand magasin à la veille des Fêtes de Noël. Elles se plaisent manifestement et Thérèse prend soin de la commande de sa cliente. Celle-ci oublie ses gants sur le comptoir et Thérèse saisit l'occasion en les renvoyant chez elle. L'histoire démarre ainsi dans une sobriété de regards échangés, d'envie de se connaître et de se rencontrer. Thérèse doit se marier et Carol veut divorcer. Leur différence d'âge et surtout, leur situation sociale respective volent en éclat devant leur amitié. Dans ces années-là, il n'était pas facile d'afficher des aspirations différentes en amour. La contrainte normative empêchait ces relations de naître et de s'épanouir. Carol veut se séparer de son mari mais celui-ci lui fait du chantage affectif pour la garde de leur petite fille. Thérèse se débat dans une hétérosexualité plus subie que choisie. Le film aborde ces questions avec une élégance parfaite d'autant plus que les actrices, la sublime Cate Blanchett et la fragile Rooney Mara, jouent leur rôle à la perfection. Carol invite Thérèse pour un long voyage à travers le pays. Elles vont enfin s'aimer en secret lors de cette virée en voiture. Mais, le mari délaissé a embauché un détective privé pour les confondre et priver sa femme de l'enfant. Carol décide de ne plus voir Thérèse pour éviter le scandale qui provoquerait la perte de sa petite fille. Mais ce renoncement sera-t-il définitif ? Thérèse, grâce à Carol, utilise ses dons de photographe pour rejoindre la presse. Carol attend son divorce. Je ne dévoilerai pas la fin de ce film plein de charme, de glamour, d'esprit, de beauté féminine. Elles étaient d'un courage insensé, les femmes qui s'aimaient entre elles à cette époque...

lundi 1 février 2016

Atelier de lectures, 3

J'avais choisi cinq écrivains d'Israël pour l'atelier de janvier : Amos Oz, Zeruya Shalev, Aaron Appelfeld, Meir Shalev, Avraham B. Yehoshua. Je ne vais pas évoquer Yehoshua et Meir Shalev car aucune lectrice n'avait découvert ces deux auteurs. Je vais donc essayer de parler des trois autres en commençant par Zeruya Shalev. Trois de ses romans ont été lus : "Ce qui reste de nos vies", Prix Femina en 2014, "Théra" et "Mari et femme". L'univers de cette femme écrivain est basé sur l'intimisme du couple et de la famille. Ce thème majeur rebondit de roman en roman et cette obsession de l'harmonie amoureuse se déchire sans cesse au fil de ses pages. Lire Zeruya Shalev n'est pas de tout repos. Elle entraîne son lecteur(trice) dès les premiers mots car la crise arrive dès le début : un mari paralysé du jour au lendemain, symbole de la rupture conjugale, des épouses insatisfaites, la difficulté d'être mère, la souffrance de la perte, la fuite et la lâcheté des hommes rarement impliqués dans les relations familiales. Son regard lucide et sans complaisance sur le chaos familial, son sens aigu de la psychologie féminine, son style "volcanique" comme si la lave de l'inconscient dévalait sur les flancs de son être, tous ces éléments distinguent l'œuvre forte et passionnante de Zeruya Shalev de tous ces confrères. Certaines d'entre nous ont lu Amos Oz. Son roman, "Femme fuyant l'annonce" avait marqué la rentrée littéraire en 2011. Cet immense écrivain a déjà une œuvre accomplie et traduite dans le monde entier. Il peut concevoir des romans-sagas comme le passionnant "Une histoire d'amour et de ténèbres" qui mêle les souvenirs de famille avec l'histoire d'Israël. Il raconte aussi sa formation intellectuelle et les racines de sa vie d'écrivain. Sa "Femme fuyant l'annonce" évoque la randonnée de la mère d'un soldat qui ne veut pas affronter une mauvaise nouvelle effrayante, la mort de ce fils qui a choisi une mission périlleuse. Les nouvelles, "Entre amis" et "Scènes de la vie villageoise", de cet écrivain frappent le lecteur(trice) par leur finesse psychologique à la façon d'un Tchekhov. Il décrit la vie quotidienne des personnages familiers avec un humour élégant et une lucidité critique. Amos Oz a vraiment obtenu l'unanimité à part deux lectrices qui ne sont pas parvenus à entrer dans ses romans les plus denses et les plus complexes. Le troisième écrivain évoqué dans l'atelier, Aaron Appelfeld, compose une œuvre basée sur les horreurs de la guerre et de l'Holocauste. Son roman "Tsili" raconte l'histoire d'une petite fille, abandonnée des siens et qui se bat pour survivre. Il faut surtout découvrir son autobiographie, "Histoire d'une vie". Si ces trois écrivains d'Israël ont été appréciés dans l'atelier, il reste à découvrir tous les autres...