lundi 28 juin 2021

"Anne-Marie la Beauté"

 Je poursuis ma découverte de Yasmina Reza avec son roman théâtral, "Anne-Marie la Beauté", édité chez Flammarion en janvier 2020. Ce texte a été joué au théâtre de la Colline. Anne-Marie Mille, une vieille actrice, évoque son passé en évoquant une amie, Gisèle dit Gigi,  actrice et rivale plus célèbre qu'elle. Elle vient de mourir et sa disparition n'a pas "fait tellement de bruit". Cette remarque confirme à la narratrice cet adage : "Il ne faut pas oublier une chose, madame, dans notre monde, on tombe de haut". Anne-Marie, dans son long monologue, répond à une journaliste. Originaire du Nord, la comédienne, dans sa jeunesse, passe une audition à Clichy et interprétera des rôles secondaires au théâtre. Le cinéma ne s'est jamais intéressé à elle. Sa carrière plus que médiocre était due selon elle par un "visage qui n'allait pas" alors qu'elle se trouvait une ressemblance avec Brigitte Bardot. Son amie Gigi a raflé tous les beaux rôles comme Bérénice, Elvire et semble même avoir eu des liaisons avec Alain Delon et même Ingmar Bergman. Anne-Marie s'est sentie comme une "stagnante". Elle raconte aussi son mariage avec un mari très pragmatique qui lui a laissé un petit capital. Sa lucidité impitoyable lui fait dire : "Tu commences petites gens et tu finis petites gens". Son fils s'occupe un peu d'elle mais elle ne se fait aucune illusion sur lui : "Les enfants ne tiennent pas chaud très longtemps". Sa logorrhée est imprégnée de la banalité du quotidien : ses courses chez Picard ou Monoprix, sa prothèse au genou, sa toute petite famille, ses envies culinaires, sa jalousie envers Gigi. Les réflexions-clichés d'Anne-Marie reflètent une réalité prosaïque, dénuée de romantisme. Au fond, une vie au théâtre comme celle de la narratrice peut aussi se dérouler dans un anonymat obscur alors que son amie Giselle rencontre le succès. Cette vieille dame solitaire fouille son passé, cherche des traces heureuses sur sa vie d'avant et avec une verve populaire, elle revisite son destin de comédienne ratée avec une certaine ironie. La plume de Yasmina Reza s'épanouit dans ce registre caustique sur les hauts et les bas de toute existence, ses aléas, ses échecs comme ses succès. Anne-Marie éprouve certainement des regrets sur son manque de célébrité mais son amour des planches même dans des rôles plus que modestes a transformé sa vie. L'écrivaine rend hommage à ces comédiennes-ouvrières qui ont consacré leur existence au théâtre. L'écrivaine et dramaturge connaît ce milieu à merveille. Ce texte court, théâtral, ironique est un petit bijou littéraire...