lundi 27 février 2017

"14 juillet"

Dans le jeudi des livres, j'ai découvert Eric Vuillard et son "14 juillet", publié dans la belle collection "Un endroit où aller" chez Actes Sud. Nos rencontres mensuelles autour de la littérature permettent l'échange et le partage amical provoquant des découvertes inattendues et imprévisibles. Le roman, "14 juillet" évoque un des événements les plus importants de l'histoire de France : la Prise de la Bastille en 1789. Cette date fétiche, ce séisme historique marquent la naissance de la République et de la démocratie. L'auteur déclare dans un article de la revue Page son projet : "En 1789, il n'y a pas de héros. Les héros, c'est le peuple en entier. Or il est peut-être plus curieux et plus difficile pour la littérature de parler d'une collectivité, d'une foule, de quelques personnages." Eric Vuillard s'est inspiré de Michelet, des archives et des témoignages saisissants des protagonistes de l'événement. Cette nuit-là, quatre-vingt dix huit morts ont été déclarés (j'imaginais beaucoup plus...) et le roman évoque ces morts comme des hommes et non comme des chiffres froids et indifférents. Son défi littéraire relève de l'incarnation d'un fait historique intellectualisé par les livres d'histoire. Des personnages, "incarnés" dans des métiers oubliés, se retrouvent dans cette journée avec la révolte chevillée au corps. Le petit peuple misérable de Paris se bat avec bravoure et ne s'imaginait pas vivre la Révolution française. L'anonymat rendait invisible cette foule d'hommes et de femmes et le romancier leur donne enfin une voix, un corps, une espérance. J'ai surtout apprécié dans cette épopée historique le style précis, précieux, original : "De toutes parts, la ville abonde, ruisselle. On se cache des coups de feu. (...) La Bastille est enveloppée par l'humanité. Mais ce ne sont pas les hordes débonnaires qui vont au champ de foire et s'en reviennent ; c'est une multitude armée de piques, de broches, de sabres rouillés, de fourches, de vieux canifs, de mauvais fusils, de pilum et de tournevis. Les armes étincellent, dans un brouhaha extravagant, confusion de voix et de cris." Ce livre singulier souffle un air révolutionnaire venu tout droit de 1789 et rend un hommage puissant aux anonymes modestes et invisibles de l'Histoire de France. Un roman halluciné, historiquement vrai et diablement romanesque...