lundi 22 février 2021

"Le colibri"

 Sandro Veronesi a obtenu le prix Strega, le Goncourt italien, pour "Le Colibri", son huitième roman, publié chez Grasset. Pourquoi ce titre d'oiseau ? Luisa, la femme aimée, écrit à Marco Carrera : "Tu es un colibri parce que, comme le colibri, tu mets toute ton énergie à rester immobile. Tu réussis à t'arrêter dans le monde et dans le temps, à arrêter le monde et le temps autour de lui, et même parfois, à retrouver le temps perdu". Marco, le protagoniste, établit le bilan de sa vie. Paradoxalement, il pratique un métier clairvoyant, celui d'ophtalmologiste, mais il passe son temps à ne pas voir la réalité comme elle est. Autour de lui, tout se délite, se désagrège, se défait, telle une vaste entropie. Mais, sa grande qualité se résume à ce verbe : tenir. Il n'oublie jamais la citation de Beckett : "Je ne peux pas continuer. Je vais continuer". Un jour, le psychanalyste de sa femme lui téléphone pour l'avertir qu'un grave danger le menace. Il apprend la mythomanie pathologique de sa femme, le fait qu'elle va le quitter pour refaire sa vie et surtout, il mesure son propre aveuglement sur son mariage : "Elle lui avait toujours menti. Mais lui avait fait pire : il l'avait crue".  A partir de ce cruel constat sur la faillite de son couple, il se lance dans une analyse rétrospective sur ses identités cumulées : fils, mari, père, frère, amant, ami, etc. Il évoque la mésentente de ses parents : "Le malheur, ils l'avaient en fait toujours sécrété (...) comme certains organismes produisent du cholestérol". Il perd sa sœur dans une noyage et la soupçonne d'avoir mis fin à sa vie. Son frère a pris ses distances et part vivre en Amérique. Le tableau familial est loin de ressembler à une idylle. D'autant plus que sa petite fille commence à ressentir "un fil, accroché dans son dos" et ce toc révèle un trouble psychique longtemps nié. Devenue adulte, elle aura une conduite risquée dans le sport qui finira par l'emporter dans un accident. Elle laisse une petite fille sans père que Marco prendra en charge et deviendra sa seule raison de vivre. Il entretient aussi depuis sa jeunesse un amour par correspondance avec Luisa. Chacun a fondé sa propre famille mais ils poursuivent un rêve d'amour fantasmé qui ne se concrétisera jamais. La vie en mille morceaux de Marco s'est heurtée au Réel, un réel de rendez-vous manqués, d'épreuves traversées, de drames subies. L'écrivain italien utilise le registre de la comédie à l'italienne, toujours teintée d'ironie mordante. Cette fresque familiale s'étalant de 1974 à 2030, composée de matériaux disparates (lettres, listes, courriels, cartes postales), ressemble à un patchwork rapiécé d'histoires variées qui finissent par raconter la vie de Marco, un Italien d'un certain âge, un homme attachant d'un courage héroïque, qui, malgré toutes les difficultés, reste debout et conserve une énergie vitale pour affronter les vicissitudes de la vie. Un roman fort et émouvant !