jeudi 9 juin 2016

"Le chemin de tables"

Depuis que j'ai découvert l'œuvre de Maylis de Kerangal, je ne manque aucune de ses parutions. Vient de sortir "Un chemin de tables" aux éditions du Seuil dans la collection "Raconter la vie". J'avais lu dans cette collection à caractère sociologique, un ouvrage d'Annie Ernaux, "Regarde les lumières mon amour" où l'écrivaine décrivait le monde des grandes surfaces, des hypermarchés dans la banlieue parisienne. L'objectif de l'éditeur consiste à rendre visible la vie quotidienne et professionnelle. Maylis de Kerangal a donc composé un opus "culinaire" absolument délicieux pour tous ceux qui aiment les restaurants, les brasseries et les bistrots. Pourtant, son personnage nommé Mauro, présente un caractère instable et fonceur. Il change d'employeur dès qu'il a épuisé l'intérêt de l'affaire et il ne cesse d'apprendre à tous moments toutes les recettes et les "trucs" culinaires qui enrichissent son identité de cuisinier autodidacte. Les premières pages concernent un poste à Berlin et les errances du jeune homme dans le maquis des restaurants de l'immense cité. On retrouve Mauro dans une bibliothèque où il découvre la littérature gastronomique. Le rôle des livres prend toute son importance dans la vie du jeune homme. Comment devient-on cuisinier ? Alors que tout le monde sait que c'est un métier harassant et prenant qui ne laisse aucune place au temps libre et la vie familiale. Tout petit, il réalisait un gâteau par jour au retour de l'école... Ses parents artistes éduquent leur garçon à la bonne cuisine, "Ce qui se joue à l'heure des repas est conçu comme un rapport au corps et une inscription dans le monde, l'idée d'une conscience de soi, autrement dit ce par quoi l'homme se distingue de l'animal". Ce jeune garçon a aussi la passion des mots concernant la pâtisserie, les mille façons de cuire, de traiter les aliments. L'auteure très érudite sur ce monde de la cuisine nous offre un festival de vocabulaire et construit son récit sur un Ulysse navigant de restaurant à restaurant jusqu'à inventer le sien en lançant un nouveau concept de lieu de rencontre autour de repas partagés. Mais, notre jeune homme, toujours à la quête d'un ailleurs culinaire, fermera les portes de son restaurant. L'auteur n'oublie pas de nous raconter ce monde impitoyable des chefs, des soixante dix heures par semaine, de la hiérarchie inhumaine... Elle décrit aussi l'énergie de Mauro, sa créativité, son audace et son savoir-faire. Cet ouvrage s'intègre parfaitement dans la collection mais il faut ajouter le talent inouï stylistique de Maylis de Kerangal... Un ouvrage original, littéraire et culinaire, qui nous ouvre les yeux sur cette vocation de cuisinier. Des mots et des plats, quel régal...